Mouvements étudiants: prémices ou fin de ParcourSup ?

Chronique du vendredi 13 avril 2018

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JPB : Jacques Cohen, bonsoir ! Alors, justement, on évoque beaucoup les étudiants en ce moment. Il semblerait quand même qu’à Reims il n’y ait pas un gros gros mouvement. A Troyes ce n’est pas non plus un mouvement exceptionnel. Est-ce que l’on peut dire qu’en 2018 ce mouvement ressemble à celui de 68 ? Parce qu’il y a quand même eu des évacuations de l’université dans quelques lieux de France.

Alors, il y a des ressemblances, il y a des différences. Vous savez que Karl Marx a dit que l’histoire se répétait toujours deux fois, la première fois en tragédie et la seconde en farce. Ce n’est pas toujours vrai, mais il y a quand même des éléments de vérité. Il y a des ressemblances dans les déroulements puisqu’il y a eu quelques incidents et évacuations de facultés occupées, à Nanterre, même endroit que la dernière fois, à la Sorbonne également. Mais il y a d’énormes différences parce que les violences ont été d’emblée très importantes, avec des destructions, un vandalisme important, ce qui n’était pas le cas en mai 68 où les violences sont arrivées bien après le mouvement de masse, comme une façon de le tuer. Et là, avant même tout mouvement de masse, c’est quand même un gros handicap pour l’émergence de ce mouvement de masse.

mai 68 A

Une ambition certaine…

Alors, les ressemblances ? Il y a des ressemblances qui sont que l’origine du mouvement étudiant, à l’époque, ne parlons pas aujourd’hui des mouvements sociaux en 68, vient de l’hésitation du système gaulliste par rapport à l’université. Il y avait deux options possibles qui étaient une université avec des sélections à l’entrée pour des filières, avec des quotas, ou une régulation interne parce que tout le monde savait qu’il y aurait forcément une régulation…

Un peu comme en médecine, parce qu’il y a quand même une régulation par quota en médecine ?

La médecine c’est ce qui a été choisi, j’allais dire, un peu plus tard. Les quotas n’ont pas été créés en 68, mais deux ou trois ans plus tard. Il s’agissait donc de répondre à un besoin que personne ne discutait, une formation de masse de la jeunesse, de niveau supérieur, car la société française, il faut le rappeler, était en croissance rapide, tout le monde prévoyait que nous dépasserions l’Allemagne dans les années 90. Tout cela n’a été cassé qu’à partir de 72-74. Donc, dans ce mouvement avec des forces vives considérables, il y avait des carcans en matière de mœurs, d’habitudes sociales, etc., et des carcans d’universités très sous-dimensionnées. Le régime avait prévu d’étendre ces universités avec plusieurs options de taille, dont un exemple à Reims qui était très intéressant. C’est que l’on avait envisagé une croissance faible de l’université, mais avec de gros pôles, et la fac de sciences de Reims aurait été le dédoublement de la fac de Paris. Finalement, ce qui a été retenu c’est de mettre des facs partout, donc Reims n’a été qu’une fac parmi d’autres, mais c’est une opportunité qui a failli être saisie, mais qui nous est passée sous le nez parce que les choses ont changé. Justement grâce à mai 68, où il a été compris qu’il fallait une université absolument massive. Mais à l’époque, on a choisi de ne pas fermer à l’entrée, et de faire une autorégulation interne avec des différentiations entre des facs, des filières, qui donnaient des débouchées et d’autres qui en donnaient beaucoup moins. Mais surtout, à l’époque, même avec des débouchées moindres il y en avait quand même, il y avait beaucoup moins de chômage, quasiment pas…

On avait du travail !

Tout le monde finissait par trouver quelque chose, après quelques années, qui pouvait être éducatives ou récréatives à la fac.

Sans caricaturer, Jacques, et ce n’est pas votre propos en général. Il y a quand même plusieurs types d’étudiants, et il y a quand même des étudiants qui sont, malheureusement, des étudiants sur le parking et le parking se remplit de plus en plus. Alors, il ne faut pas caricaturer… Vous avez des classes préparatoires, et là, c’est un peu particulier quand même ?!

Le système sélectif s’est maintenu avec, d’une part, l’entrée dans des classes préparatoires qui ouvrent elles-mêmes la porte aux grandes écoles, et ceci reste le sommet de notre système éducatif de 3e cycle, l’enseignement supérieur, qu’on le veuille ou non. Dans les facultés, malheureusement, s’est créée une très grosse différentiation entre des filières significatives, j’allais dire, en termes de formation et de débouchés, et des filières parking dont certains premiers cycles sont boursouflés à avoir 60 % d’étudiants qui n’iront pas plus loin, qui donc sont venus, pour certains, chercher de la connaissance sans trop savoir, et pour d’autres chercher tout simplement les APL.

Mais d’ailleurs, là, cela pose quand même un problème de fond, Jacques Cohen, c’est de voir tous ces étudiants qui font des études, et au bout de leurs 3 ans ne trouveront pas de travail parce qu’ils se sont engagés quand même dans des filières…

C’est pour cela que le système informatique de l’entrée à l’université est la quadrature du cercle. Ou il y a des concours avec un quota par filière, donc après les gens se présentent et ils l’ont ou ils ne l’ont pas. Ou il y a un système d’orientation. Et, il y avait un système informatique qui, quand cela débordait, avait fini par crier et dire « pouce », « on s’arrête là, on va faire tirage au sort au-delà ». On a un nouveau système qui doit « en même temps » permettre à tout le monde de faire ce qu’il a envie de faire, en lui disant quels sont les prérequis dont il a besoin avant, ou qu’il doit acquérir dans une étape transitoire avant de faire la filière de son choix. Mais au bout du compte, il y a des gens qui ne seront pas capables de les remplir ces prérequis, et ce système qui évite le tirage au sort représente quand même aussi un système avec des portes latérales, des « rejoignez la prison sans passer par la case départ », etc. qui font qu’au bout du compte, il ne peut pas résoudre la quadrature du cercle. Si l’on maintient l’illusion d’un système universitaire homogène, on maintient en même temps le fait que plus de la moitié des étudiants sont là-dedans en attente de quelque chose et dans une conjoncture économique où il ne se passera rien. Et c’est très dangereux d’attendre le Messie… !

Donc ça, c’est pour le constat et la différence avec 68. Alors si l’on revient cette fois aux violences, parce qu’il faut quand même l’aborder avant la fin de cette émission. Il y a eu des casseurs quand même, il faut le dire, mais c’est des casseurs avant la manif’, c’est ça que vous vouliez dire ?

Plus exactement, en 68, les premiers incidents étaient absolument minimes comme violence, il y a eu des dégâts considérables en fin de mouvement, par ce que l’on appelait d’ailleurs à l’époque les Katangais, je ne sais pas si vous vous en rappelez ?

Je m’en rappelle, mais très vaguement….

Et donc, cela a contribué d’ailleurs à casser et à terminer d’effondrer le mouvement de masse. Là, on a d’emblée des violences et des dégradations significatives dont le seul rôle pourrait être d’empêcher l’émergence du mouvement de masse.

Ils sont manipulés ?

Les gens sont toujours manipulés ou feront toujours, plus exactement, ce qu’ils ont envie de faire en pensant que c’est le mieux. Il y a ceux qui cassent parce que ce sont des radicaux qui considèrent que le monde doit être détruit et que pour construire un jour il faut commencer par faire table rase. Et puis il y a aussi des gens qui ont intérêt à cela et qui peuvent mettre de l’huile sur le feu, mais la question est d’abord dans la désespérance de la jeunesse qui s’exprime de différentes façons.

Justement, cette jeunesse-là, si ça n’éclate pas en 2018, cela pourrait peut-être éclater quand même un jour parce que si le système continue… Est-ce que l’on ne vend pas, j’allais dire, un peu du vent, c’est-à-dire que l’on fait croire aux gens que les études servent à quelque chose, mais que plus on va faire d’études… si on ne trouve pas de travail, si cela ne débouche pas sur le marché de l’emploi, on est quand même mal comme on dit aujourd’hui !

Il est certain que ceux qui sont dans des filières sans espoir n’ont absolument rien à la sortie. La question se situe là : il y a des filières qui donnent du travail, qu’elles soient à l’université ou qu’elles soient dans la formation professionnelle en alternance, etc. Ce qui est inquiétant c’est que l’on ne dissuade pas les gens de s’empiler dans des filières sans issue.

Il faut les éclairer !

Merci de l’avoir fait un peu pour nous, Jacques Cohen. Rappelons que vous-même vous êtes un universitaire.

Je suis un universitaire et j’ai un âge suffisamment avancé pour avoir été un très jeune leader lycéen en mai 68.

Mais vous n’étiez pas Katangais ?

Ah certainement pas !

Merci, Jacques Cohen, d’avoir été avec nous.

J’étais pire !

Je m’en doute ! 18 h 25 à la semaine prochaine. Bonne semaine !

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