Titan autour du Titanic, de l’importance des détections sous-marines

JHM COHEN 22 6 2023

Sur les ondes de RCF: LIEN

Avec nous par téléphone, on retrouve le Professeur Jacques COHEN pour sa chronique d’actualité. Professeur bonjour.

Bonjour.

Et aujourd’hui, vous voulez nous parler des sous-marins, c’est vrai que cette semaine on a cherché un sous-marin disparu, puisqu’il était parti rechercher, voir en tout cas, observer l’épave du Titanic. Jacques COHEN une photographie de cette histoire.

On a perdu le contact, et il n’a pas refait surface, avec un sous-marin de poche de très grande profondeur avec 5 personnes à bord qui allaient observer le Titanic dont comme passagers un ou deux milliardaires et un ou deux analystes pour regarder encore des choses possibles pour l’interprétation de ce qu’il est arrivé à l’épave. Alors, ce qui est spectaculaire d’abord, c’est qu’on a recherché avec des moyens aériens mais qui ont bien sûr desonars. Ils larguent aussi des bouées en mer et on a fini par entendre des coups de marteau toutes les demi-heures. Ce qui veut dire quand même qu’on est capable dans les moyens de détection de détecter un coup de marteau sous 4 km d’eau. Si c’est vrai, c’est quand même très spectaculaire côté l’efficacité.

On apprend qu’en fait la marine des USA savait depuis le premier jour que le sous-marin avait implosé. Ce qui montre l’efficacité de la détection par leur réseau d’hydrophones ou par sismologie d’une implosion de quelques mètres cubes à peine.

D’autre part, on ne l’a toujours pas retrouvé, mais le temps passe et l’oxygène s’amenuise. On ne peut pas faire de pronostics pour l’instant. Lorsqu’on l’aura retrouvé, il ne sera pas sauvé en un instant. Il faut le temps de le remonter, ce qui n’est pas absolument évident si lui-même n’est plus capable de chasser ses ballasts ou de larguer ses gueuses et d’aider à remonter.

simson sous marin 2

Homer Simson coincé au fond dans un petit sous-marin manque d’O2

Mais ce qui est plus spectaculaire encore, c’est de réfléchir aux moyens de détection des sous-marins. Parce que détecter des sous-marins, c’est quelque chose d’essentiel en matière militaire. D’abord, il n’y a pas de sous-marins qui ne soient pas militaires et l’essentiel de la fonction des sous-marins c’est d’être cachés, soit pour torpiller d’autres bateaux, soit pour pouvoir lâcher des missiles généralement nucléaires sans crier gare en pleine mer pour aller n’importe où dans le globe. Et cela, il y a longtemps que l’on cherchait à l’éviter. Alors, il y a une détection par les hydrophones, par le bruit, ce qui semble cette fois-ci avoir fonctionné et il y a toute une chaîne de micros qui ont été ainsi posés au fond de l’eau pour essayer de détecter les passages des sous-marins russes et je pense que les russes en ont fait autant dans l’autre sens. Mais cela ne suffit pas parce que les sous-marins modernes font, comme on dit, autant de bruit qu’une crevette sous l’eau, ce qui ne fait quand même pas beaucoup de bruit, comme vous le savez. Alors, il y a d’autres moyens de détection qui sont envisagés pour lesquelles, je vous le dis de suite, aucun n’a abouti pour l’instant.

Mais c’est un enjeu essentiel parce que construire des sous-marins, cela revient extrêmement cher et cela prend très longtemps. Vous avez peut-être suivi l’histoire du contrat avec l’Australie sur des sous-marins à propulsion classique qui devaient se faire sur 15 ans. Les australiens ont fini par changer d’épicerie et par surprise acheter chez les américains, mais là aussi c’est du 15-20 ans. Or, dépenser des milliards, puisqu’un sous-marin à lui tout seul pour ce genre d’engin c’est déjà l’échelle du prix et s’il est nucléaire, c’est de l’ordre de 5 milliards facilement. Donc, il s’agit d’engager des sommes considérables sur des temps considérables en pariant sur l’invisibilité, parce que le jour on l’on saura les détecter, les avantages des sous-marins s’effondreront instantanément. Alors, il y a des tentatives de détection laser, je ne vous fais pas tout le détail. Il y a des tentatives de détection magnétométrique. Il y a des tentatives de détection de bulles d’air puisqu’un sous-marin finalement c’est une bulle d’air, mais loin sous l’eau.

Puis, il y a une chose particulière pour les sous-marins atomiques, et là cela peut être assez intéressant et amusant de le raconter. Tout réacteur atomique dégage des neutrinos. Aucun matériel ne peut masquer ou dévier des neutrinos. Toute la question, c’est celle des détecteurs de neutrinos. Pendant très longtemps pour détecter les neutrinos, il fallait quelque chose de plusieurs dizaines de m3 enfoui pour éviter le bruit de fond sous un ou deux kilomètres de mine ou de tunnel, mais maintenant on en est à faire des détecteurs qui font la taille d’un gros baril de pétrole et qui permettent de surveiller les centrales nucléaires. Car quiconque ralentit une centrale pour en sortir des crayons ou autre peut ainsi être détecté, si c’est un site qui a accepté l’inspection de l’Organisation Internationale de l’Energie Atomique qui pose ce genre de truc avec des télémesures à proximité. On a d’ailleurs un centre de recherche à ce sujet qui a été fait en France autour de la centrale de Chooz parce les neutrinos ont une particularité, c’est qu’ils n’ont pas le même goût, si je puis dire, quand ils sont tout frais et quand ils ont un peu voyagé. Alors rassurez-vous, ce n’est pas comme les poissons, il faut très, très peu de temps. Mais un neutrino tout neuf ça se différencie d’un neutrino cosmique, par exemple. Ce qui n’était pas le cas avant. Bref, le jour où on saura détecter les neutrinos dans la condition réelle d’un réacteur nucléaire sous l’eau eh bien tous les sous-marins nucléaires au monde deviendront des ferrailles obsolètes. Sauf ceux qui sont capables d’être transformés en remettant un moteur classique et, je crois d’ailleurs, que les français sont les seuls qui l’ont étudié ou du moins qui sont ainsi adaptables, même si on ne l’a jamais fait pour l’instant, en croyant nous aussi à un terme indéfini de la non détection des sous-marins nucléaires sous l’eau. Enfin, ça donc on verra, enfin je ne sais pas si c’est moi qui verrais, mais on verra, parce que la révolution en la matière peut se produire dans 6 mois, dans 2 ans ou bien dans 50 ans. D’autre part, les progrès techniques du temps de plongée des sous-marins classiques s’allongent. Nous revenons à notre sujet de départ. Il s’allonge parce que beaucoup de sous-marins ont ainsi des systèmes de retraitement et peuvent maintenant tenir de l’ordre de plusieurs semaines sous l’eau, tout en ayant assez d’énergie, pour ce qui est des sous-marins classiques, pas des sous-marins nucléaires. Et l’avantage du nucléaire diminue quand même quelque peu, même s’il n’est pas encore complètement aboli. Mais là malheureusement, le petit sous-marin de recherche en question n’a que des bouteilles et ses bouteilles se vident inexorablement et je crains que l’on ne finisse par remonter un sous-marin avec des cadavres et non pas un sous-marin avec des gens encore vivants dedans. Mais tant que ce n’est pas fait, il faut s’acharner et il faut essayer de les sortir de là. On va donc voir ce qui va être fait dans les 2, 3 prochains jours.

Jacques COHEN, vous n’êtes pas vous dans les fonds marins de l’Atlantide. Vous êtes avec nous pour évoquer ce sujet. Vous parliez de la détection des sous-marins et pour être vraiment sur le sujet du jour avec ce sous-marin qui est enfoui lorsqu’ils sont allés voir l’épave du Titanic, c’est vrai qu’on entend vous l’avez dit des bruits à intervalles réguliers d’une demi-heure. Ça peut être quoi la provenance de ces coups Jacques COHEN finalement ? ça peut être un sous-marin bloqué, des bruits moteur ? Le fait qu’il y ait des intervalles réguliers, ça paraît assez surprenant, par exemple ?

Non non non au contraire, c’est de la part des gens qui sont enfermés dans cet engin, un calcul délibéré. D’abord, il ne faut pas s’agiter parce qu’il faut consommer le moins d’oxygène possible et des coups toutes les demi-heures, c’est encore la meilleure façon d’indiquer que ce n’est pas un bruit accidentel, de quelque chose qui ballote dans le sous-marin, donc, c’est une façon tout à fait logique de signaler une présence vivante.

Mais vous l’avez dit, on est quand même face à une opération de sauvetage compliquée désormais, plus les heures passent, plus le temps compte ?

Absolument et on ne sait pas exactement quelles sont leurs ressources en oxygène en fait. On pense qu’il y en avait pour 4 ou 5 jours donc il ne resterait qu’une ou deux journées, mais on ne sait pas exactement.

Et puis, vous avez aussi souligné, lorsque vous parlez de stratégie militaire, que la France semblait avoir un temps d’avance. Ce temps d’avance pourra éventuellement un jour remplacer les moteurs, il est précieux, il va falloir pouvoir le conserver. Peut-être que ce genre d’affaire ça va aussi donner des idées à d’autres pays ?

Alors, pour ce qui est de la plongée de repérage en eaux très profondes, il n’y a pas beaucoup de pays équipés. Nous en avons et d’ailleurs un engin va arriver sur zone ce soir. Les Etats-Unis en ont également. Je pense que les russes en ont également, mais nous ne savons pas. Peut-être même que les chinois en ont développé. Mais enfin, c’est très compliqué de faire des sous-marins de très très grands fonds. Les sous-marins atomiques, par exemple, qui sont d’attaque ou stratégiques, ne descendent pas si profond. On peut dire approximativement, qu’ils descendent à quelques centaines de mètres, peut-être 600 mètres, mais pas plus. Tandis que là, il s’agit de sous-marins pour aller à 4000, 5000 mètres, c’est très différent. Au point de vue détection, évidemment ça va continuer avec une affaire comme celle-là, même si elle est anecdotique, si on prend l’échelle, elle va rappeler que les moyens de détection des sous-marins sont quelque chose d’important à la mesure de ce que peuvent faire ces sous-marins. C’est pour cela qu’à chaque fois qu’il y en a un qui reste au fond de l’eau, on va le chercher, parce qu’on essaie de comprendre ce qu’il s’est passé.

Merci Professeur Jacques COHEN et en tout cas d’avoir essayé de décrypter avec nous aujourd’hui cette affaire et puis de nous avoir parlé stratégie militaire à travers tout cela. A très bientôt Professeur.

A bientôt.

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