Des médicaments lutteront-ils un jour contre le vieillissement cérébral ?

Jacques H Cohen 8 septembre 2023

Sur les ondes de RCF: LIEN

Tous nos producteurs font leur rentrée. Il n’en manquait plus qu’un, Jacques COHEN, qui est avec nous pour sa chronique d’actualité. Professeur bonjour.

Bonjour.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, on a envie de vous demander, est-ce que vous avez passé un bon été ?

Ça dépend sur certains aspects, oui, les autres on n’en parlera pas.

Bon en tout cas, on va essayer de retenir le positif et puis on espère que pour le reste ça va s’arranger ou que c’est déjà rentré dans l’ordre. Professeur Jacques COHEN, pour cette rentrée, vous tapez fort. Vous voulez nous parler de médicaments qui permettent de lutter contre le vieillissement cérébral. Alors c’est vrai qu’ici on a un Directeur, Jean-Pierre BENOIT, qui nous dit toujours, « je suis bien entretenu, moi c’est grâce à la crème Nivéa ». Mais là, on parle bien de vieillissement cérébral. Professeur Jacques COHEN, comment lutter contre le vieillissement ? Est-ce que c’est possible, même ?

Pour l’instant, c’est impossible. Il faut quand même le dire ces médicaments n’existent pas. Mais on a quelques pistes pour le futur. C’est de cela que je voudrais vous parler aujourd’hui. En effet, on sait depuis longtemps que de transfuser du sang de jeunes souris, jeunes rats, à des animaux vieillissants, on retarde leur vieillissement. Et puis, on a progressé, on a trouvé une protéine chez le rat qui semble l’expliquer. Alors, les biologistes qui ont trouvé ça, qui avaient une culture classique, et ce n’est pas du tout négligeable, lui ont donné un nom. Ils l’ont appelé Clotho ( Κλωθώ ). Est-ce que vous savez qui est Clotho ?

clotho

Clotho est à gauche qui file le fil de la vie et donc le destin de chacun. Ses soeurs sont à droite Lachesis lisse le fil et Atropos le coupe…..

Je ne connais pas du tout ce personnage.

C’est une dame, c’est une des trois Moires. Clotho est une des trois déesses qui filent, tissent, tendent et coupent le fil de la vie. Et Clotho est la plus importante, parce que c’est elle qui file et qui donc prépare le fil, ses sœurs se contentant de le tirer, puis la troisième de le couper au bout d’un certain temps, hélas. Clotho c’est une déesse scientifique. Elle a inventé l’alphabet avec Hermès qui l’a distribué aux hommes, ce n’est quand même pas bête. Elle a fait plein d’autres choses qu’on ne verra pas aujourd’hui, mais au passage simplement, c’est la divinité protectrice des SAMU, parce quand Tantale a découpé son fils en morceau pour le donner à manger aux dieux, c’est elle qui a été appelée à la rescousse pour recoller les morceaux. Elle y est à peu près arrivée, sauf une épaule, qui avait déjà été mangée, je crois par Aphrodite et qu’elle a remplacée par une prothèse en ivoire. Vous voyez que c’est une déesse très scientifique.

Mais, j’allais dire quelque part Jacques COHEN, ces histoires de déesses nous paraissent bien loin de l’histoire d’aujourd’hui.

Mais si, on va y arriver, car Clotho a aussi persuadé Zeus qu’il fallait tuer Asclépios. Et Asclépios, pourquoi a-t-il été liquidé par Zeus ? Parce qu’il avait eu la bonne idée, non pas la mauvaise, mais la bonne idée de ressusciter des morts et de faire vivre donc des gens indéfiniment. Pour les dieux c’était quand même très très vilain car cela ruinait leurs pouvoirs puisqu’ils n’existaient que parce qu’ils avaient une différence avec les humains, c’est qu’eux étaient immortels. Et donc un médecin qui rend les gens immortels ça n’allait pas avec le système grec des dieux et des mortels et donc Asclépios a été liquidé d’un coup de foudre par Zeus à l’instigation de Clotho.

Passons aux choses modernes. Cette protéine Clotho on vient de se rendre compte récemment qu’elle fonctionne via un facteur secrété par les plaquettes qui sert à la coagulation, ce facteur servant à stimuler la cicatrisation. Quand vous avez une plaie, vous coagulez, il y a des plaquettes, cela libère des facteurs et après il faut refaire des fibroblastes, refaire la peau, refaire tout ce que vous voulez. Et donc, on a trouvé que Clotho interagissait par l’intermédiaire de ce facteur de croissance des plaquettes. Et en souris, enfin en rongeurs, ça marche. On peut retarder le vieillissement avec ce facteur. Alors évidemment, on est très loin de pouvoir faire la même chose chez l’homme, ne serait-ce que parce que la souris et les rats sont des espèces à croissance continue, donc elles ont un gros renouvellement cellulaire, alors que nous, notre potentiel spontané lors de renouvellements cellulaires cérébrales est assez faible, comme vous avez pu le constater autour de vous. Et donc, d’autre part, c’est un facteur plaquettaire qui contribue aussi à des thromboses, donc ce n’est pas sûr du tout qu’il puisse être directement chez l’homme, c’est même assez loin, mais pour la première fois, on a une piste. Ça a l’air quelque chose de science-fiction ou un rêve de l’humanité. Mais le rêve progresse de pouvoir faire se régénérer le cerveau de façon à garder sa jeunesse, au moins de ce point de vue-là, et ce qui serait une très bonne chose, et je suis sûr que votre rédacteur en chef ne me contredira pas.

On lui demandera son avis lorsqu’il sera avec nous parce qu’il n’est pas là aujourd’hui. Jacques COHEN, mine de rien, s’il y a des essais qui sont en cours, cela veut dire qu’on peut avoir une idée des éventuels effets thérapeutiques ?

Alors les essais ne sont pas humains. Attention, on n’est pas encore là. Mais c’est une perspective et cela pose un problème en termes d’évaluation des médicaments. Parce qu’imaginons, j’avais dit que c’est de la science-fiction, que nous ayons le produit qui marche avec peu d’effets secondaires ou du moins qu’on puisse espérer que les effets secondaires soient tolérables. On va faire une phase 1, une phase 2. Cela va prendre deux à trois ans, mais derrière la phase 3 classique, elle est impossible. Il faudrait faire une phase 3 classique sur une génération, c’est à dire sur 20 à 30 ans, au moins. Imaginons donc toujours que cela marche, peut-on retarder la diffusion pour l’espèce humaine d’un produit extraordinaire sous prétexte que les canons de la médecine basés sur les preuves et de l’évaluation rigoureuse et de l’AMM ne sont pas réunis avant la « saint glinglin ». Il faut aussi voir la question dans l’autre sens. C’est à dire de se dire qu’il y a une question de liberté individuelle. A partir du moment où on aura une première approche disant que cela peut marcher, sans trop de casse, il faudrait à mon sens, laisser les gens choisir. C’est une question de liberté individuelle. S’ils veulent prendre un risque pour un gain ou s’il faut attendre que tout soit prouvé, ce qui risque de mettre très très longtemps, une génération, et de dire que cela ne concernera que les enfants ou les petits-enfants. Mais je pense personnellement que les gens ont le droit de faire des choix sur leur mode de vie et sur les produits qu’ils veulent bien manger. Mais cela montre aussi les limites de la médecine basée sur les preuves et d’un système rigide qui ne peut pas être maintenu en toute circonstance. Mais pour l’instant ce dilemme ne se pose pas. Parce que pour l’instant, nous n’avons pas encore la pilule tous les matins pour garder la cervelle jeune.

Jacques COHEN vous êtes dans un scénario fictif, cependant cela rappelle quand même des problématiques, j’allais dire, que l’on a déjà connu, notamment une ressemblance avec l’Ozempic.

Ah oui c’est la question de l’obésité. Alors l’Ozempic, nous le savons déjà, c’est un médicament extraordinaire contre le diabète de type II et qui, non seulement, est bon pour le diabète, mais fait maigrir et semble-t-il serait aussi bon pour le cœur. Donc de ce point de vue-là, si j’ose dire, il n’y a pas de discussion. Si bien qu’on maintient en France de ne le donner qu’après avoir perdu au moins six mois avec un vieux médicament la Metformine, mais ça c’est secondaire. Ce médicament marche aussi sur l’obésité, non seulement les grandes obésités et les baleines, mais j’allais dire les petites obésités, non pas vous et moi, mais d’autres personnes autour de vous. Et de réduire l’obésité est aussi une façon de réduire ses complications potentielles, c’est à dire des complications diabétiques, hépatites, cardiaques, etc… Mais beaucoup de gens se sont mis à en prendre, parce qu’ils voulaient maigrir, tout simplement. Parce qu’ils se trouvaient un peu gros et c’était généralement vrai, puisque 40% de la population française, par exemple, est en surpoids et 17% répond aux critères d’obésité. Ils voulaient maigrir parce qu’ils ont un schéma corporel auquel ils voulaient ressembler et, bien évidemment, ce médicament a permis de le faire. Alors des tas de gens aujourd’hui disent que c’est très vilain, peut-être parce qu’ils ont une éducation judéo-chrétienne et que le plaisir sans peine c’est très vilain de ces cas-là, mais aussi parce que c’est du confort. Moi je crois, que la médecine est destinée non seulement à guérir les maladies, mais à donner du confort aux gens et alors, laisser le choix des gens de ce qu’ils veulent faire. C’est une opinion qui est extrêmement combattue par beaucoup de gens, mais cela me paraît un bon exemple. Le sujet de la chronique du jour « y aura-t-il des médicaments régénérateurs du cerveau à partir de la filière Clotho ou d’autres » ramène aussi à cela, car il y aura inévitablement à faire des choix individuels, si ça marche. Parce que tant que ça ne sera pas prouvé avec une étude de 20 ou 30 ans, on ne sera pas absolument certain de ce que cela donnera, de même pour ce qui est des effets secondaires, là il faudra au moins attendre 5 à 6 ans pour voir ce que cela donne. Mais je crois que la vie comporte des risques et qu’il faut aussi que les gens aient la liberté de choisir ce qu’ils veulent assumer.

Et ça sera votre conclusion pour la première de l’année. A très bientôt Professeur Jacques COHEN.

A bientôt.

Laisser un commentaire