Jacques HM Cohen 15 9 2023
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques COHEN. Professeur bonjour.
Bonjour.
Vous voulez revenir sur un événement qui a touché, qui a marqué le monde entier. En tout cas ce tremblement de terre au Maroc, et nous allez parler de la logistique des catastrophes. Professeur Jacques COHEN, pourquoi ce choix aujourd’hui ?
Parce qu’il y a une illusion dans l’opinion publique de penser que les catastrophes, c’est une affaire médicale, voire à la limite, c’est une affaire de charité. Ce n’est pas du tout cela et les choses doivent avoir été prévues pour fonctionner. Les catastrophes, c’est un problème de logistique. La logistique, c’est d’accéder aux lieus. Alors, c’est donc de dégager les routes, mais auparavant, cela peut être des accès en hélicoptère, quand il s’agit de zones isolées. C’est l’électricité, mais c’est surtout l’eau.
L’électricité ce sont des groupes électrogènes, mais ce qui est bien plus vital, c’est l’eau. Car il faut apporter ou restaurer de l’eau propre, et il faut éviter l’eau sale. C’est à dire que les épidémies, ce ne sont pas les cadavres, mais c’est l’eau. C’est l’eau et les saletés apportées par le balayage de l’habitat que cela souvent représente dans les catastrophes, ou par les survivants.

Le minaret de la mosquée récente qui semble avoir un chassis de béton, a résisté, sauf à la base de son clocheton, tandis que toutes les maisons en terre alentour se sont écroulées. C’est le même phénomène de résonnance à la base de son clocheton sommital qui a endommagé le minaret de la mosquée Koutoubia de Marrakech, pourtant du 16éme siècle.

Pendant la secousse tellurique, on voit de la « fumée », de la poussière de pierres broyées en fait, provenant de la plateforme du clocheton sommital.
Alors, ce n’est pas dire pour autant qu’il n’y a pas de rôle pour les ONG. Par exemple, l’eau, il faut la contrôler. Par exemple, d’avoir des stations de mesure de la qualité de l’eau, ce que j’avais fait avec Médecins du Monde il y a de nombreuses années en Honduras après des inondations. Avoir des stations capables de vérifier si l’eau est à nouveau potable ou pas, ou d’assurer sa potabilité, ce sont des choses qui sont dans les cordes de certaines ONG, à condition d’y mettre un minimum de technicité. Mais globalement, ce sont des choses que des États doivent faire. Il faut de même pouvoir éviter que les ruptures de stations d’épuration ou d’évacuation conduisent à des contaminations secondaires de la population et l’eau, c’est vital, parce qu’on ne peut pas s’en passer longtemps. On peut retarder la nourriture d’un jour ou deux sans trop de problème, mais pas l’eau. Donc l’essentiel des catastrophes, c’est d’assurer la restauration des circuits de l’eau en amont et en aval.
Alors, il y a ensuite bien d’autres choses. Bien sûr, donner à manger, mais d’abord à loger. C’est-à-dire, soit de mettre en place des tentes ou autres, de chauffer parce que les catastrophes se produisent pour la moitié en été, pour la moitié en hiver, bien sûr. Et d’avoir les moyens d’assurer des conditions de survie.
Puis après, au-delà, il y a la reconstruction et là, ce n’est pas du tout la même chose. Ce sont des investissements lourds et qui demandent une planification et non pas une distribution anarchique, ce que doivent faire les États.
Est-ce qu’il n’y a vraiment pas d’activité médicale ? Si, pas tellement du sang, qui est surtout un symbole. Le Roi du Maroc a d’ailleurs donné son sang à Marrakech. Il y a un petit peu de chirurgie, mais c’est bien rare en catastrophe qu’il faille beaucoup transfuser. Ce qu’il y a comme activité médicale, surtout pour les ensevelis, ce sont les dialyses rénales parce que les crush syndromes, cela comporte des insuffisances rénales et il y a souvent une grande insuffisance d’installations de dialyses permettant de faire passer le cap aux gens qu’on a dégagé des décombres. Pour cela, on peut effectivement prévoir de faire débarquer des capacités mobiles. Mais tout cela, ce sont des éléments de logistique relativement lourds, ce n’est pas de la bonne volonté individuelle, laquelle peut bien sûr trouver à s’appliquer ultérieurement quand on constate que les gens sont démunis. Ce sont souvent des gens qui l’étaient déjà et qui le sont à nouveau, et bien plus après la catastrophe.
Donc vous voyez l’illusion du raisonnement, j’allais dire commun, de penser que c’est d’abord une question de médecins, de secouristes, de sauveteurs, de chiens. Cela, c’est très rare. Les situations où cela peut être utile, c’est dans les 3, 4, 5 premiers jours maximum. Mais il y a bien d’autres choses à faire pour éviter qu’une catastrophe ne conduise à des décès secondaires en nombre bien plus important à partir d’infections alimentaires, par exemple, et de l’eau contaminée.
Justement, Jacques COHEN, vous parlez de choses plus importantes à faire. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Quels sont, j’allais dire, les bons réflexes ?
D’abord les réflexes, ils doivent être préventifs. C’est une question de protection civile, qui selon les pays, est souvent la cinquième roue du carrosse, alors que c’est un élément très important et il y a des pays où les ministères des situations d’urgence sont bien plus importants que les SAMU. Chez nous, c’est un peu le contraire. C’est une question d’infrastructures développées, de stocks mis en cocon. Parce que, par exemple, les tentes, on ne va pas se mettre à les coudre et à les fabriquer à la dernière minute. Il faut avoir des plans et des planifications qui tiennent compte des ressources locales et de la possibilité d’y intégrer des ressources extérieures. La solidarité internationale n’est pas, effectivement, quelque chose à rejeter. Mais il faut d’abord un plan local d’envergure pour obtenir une action coordonnée et non pas d’avoir des volontaires errants un petit peu n’importe où sur le terrain, avec une activité très peu productive. Donc tout cela, c’est d’abord une planification d’État de la protection civile qui doit être organisée, des stocks prépositionnés, même en sachant qu’ils ne servent qu’une fois tous les 10 ou 20 ans. Et il ne faut pas oublier de les entretenir.
Malheureusement, cette catastrophe, maintenant elle a eu lieu. Il y a encore des secousses qui sont ressenties. Comment on agit concrètement maintenant sur le terrain ?
Je pense que la première phase de reconnaissance est terminée, que le dégagement des victimes dans des constructions où il y a très peu de dalles en béton ou de structures métalliques dont tout est en miettes, et malheureusement les miettes sont lourdes sur les victimes, il n’y a plus grand chose à faire. Bien sûr, il faut sortir les corps. Mais l’essentiel, comme je vous l’ai dit, c’est de restaurer la chaîne de l’eau propre et l’alimentation électrique, après avoir, bien sûr, restauré les voies de communication. Parce que si on peut au début distribuer de l’eau et des choses d’urgence par hélicoptère, ce n’est pas une solution durable.
Après, il y a la question de la reconstruction et il y a celle, par exemple, puisque l’on est sur un tremblement de terre, des normes sismiques. Malgré les apparences, les normes sismiques du Maroc sont assez élevées. Elles ne sont pas toujours respectées, comme partout, mais elles sont assez élevées. En revanche, ce qui est la même chose qu’ailleurs, c’est que tout ce qui est ancien n’y répond pas ou plutôt n’y répond pas, sauf à l’épreuve du temps. Parce que les tremblements de terre, il y en a régulièrement et, par exemple, toute bâtisse du 12ème, 13ème et 14ème siècle qui a résisté aux tremblements de terre dont Lisbonne en 1720, elle a été, si j’ose dire, testée sur place. Sauf qu’aussi les bâtiments vieillissent et la question devient peut-être là un peu différente. Donc, le respect des normes sismiques est important.
Une des choses les plus catastrophiques, ce sont les maisons en terre dont le rez-de-chaussée est creusé par les boutiques. C’est à dire qu’elles ont un étage souple, comme on dit, qui malheureusement est en bas et qui donc, fait que tout ce qui est au-dessus s’écrabouille dès que l’étage souple finit par céder. Donc là aussi, il y a, non seulement des normes de construction à voir, mais également des normes de transformation ou des normes de réhabilitation/consolidation, de façon à éviter toute cette famille de dégâts possibles qui sont essentiellement ce qui a tué au Maroc dans le sud à partir de Taroudant.
Évidemment avec vous Professeur, on parle du bâti. On a aussi parlé des villes juste avant. Il semblerait que pour cette intervention, ces interventions en tout cas, les secours soient arrivés trop tardivement et qu’il y ait eu des petits blocages. Comment vous analysez, vous aussi, cette situation à ce niveau-là ?
C’est très dur à dire. D’abord, parce qu’il y avait déjà eu une catastrophe à Al Hoceïma, il y a quelques années, qui avait déclenché la mise en place d’un plan d’intervention de l’État chérifien, qui semble avoir été mis en œuvre tout à fait convenablement. On entend beaucoup de bruits au nord de la Méditerranée sur les gens qui n’ont pas été accueillis. Je pense qu’il y a, outre quelques exploitations politiques de part et d’autre, une incompréhension. Il ne faut pas gaspiller de moyens pour ce qui ne va pas servir. Et la logistique dont je vous ai parlé qui est à développer, c’est la logistique prioritaire. On n’a pas à ce moment-là de moyens à distraire pour accueillir, j’allais dire des touristes humanitaires. J’ai travaillé à plusieurs reprises avec des pays qui ne souhaitaient pas voir d’humanitaires étrangers sur leur sol, mais qui était tout à fait désireux que l’on planifie avec eux les plans destinés à intervenir dans telle et telle circonstance et qui, ensuite, les ont mis en place. Ils les ont même mis en œuvre, parce que le temps a passé, avec succès, dans l’un des cas sur lesquel j’avais travaillé. Ce qui est toujours une récompense considérable de voir qu’on ne s’est pas, j’allais dire, « décarcassé » pour rien et que donc, effectivement, la mise en place d’une logistique humanitaire est plus importante que de faire débarquer « de nouveaux personnels humanitaires ». C’est ce qui peut avoir conduit à quelques incompréhensions.
Merci Professeur Jacques COHEN de nous avoir éclairé sur la situation sanitaire au Maroc suite à ce tremblement de terre et puis on vous retrouve la semaine prochaine. Plus d’informations, en attendant, ça se passe sur votre blog jhmcohen.com.
A bientôt Jacques.
A bientôt.