Jacques HM Cohen le 20 9 2023
Sur les ondes de RCF: LIEN
Avec nous, par téléphone, on retrouve le Professeur Jacques COHEN, pour la chronique d’actualité. Professeur bonjour.
Bonjour.
Vous étiez avec nous, il y a quelques jours, pour nous parler du conflit Arménie-Azerbaïdjan. On a parlé d’un feuilleton avec des épisodes qui s’enchaînent, et cela va tellement vite dans cette saison que l’on est obligé de vous retrouver aujourd’hui, Jacques COHEN, parce qu’il faut dire que les évènements se précipitent.
Oui. L’événement important est que Bakou a décidé d’anéantir la capacité militaire des arméniens du Haut-Karabagh. Il faut bien faire attention. Il ne s’agit pas des arméniens de la République d’Arménie et donc de l’armée arménienne, mais il s’agit du réarmement discret comme milice de la population du Haut-Karabagh. Je vous rappelle, non pas toute l’histoire, mais que les arméniens n’avaient pas tout à fait respecté ou traînaient les pieds, suite à l’accord de cesser le feu, après la guerre de 2020 et n’avaient pas libéré totalement le corridor reliant le Nakhitchevan, qui est dépendant de Bakou, qui est azerbaïdjanais et fait partie de la République d’Azerbaïdjan en réponse de quoi, les gens de Bakou avaient plus ou moins bloqué, puis totalement bloqué le Corridor de Lachin qui lui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie, et puis on en était là.

Arménie. La province sud du SYUNIK conditionne l’accès au corridor entre le Nakhitchevan et le reste de l’Azerbaidjan. Il y a peu de routes nord sud dans cette région montagneuse. C’est l’enjeu aujourd’hui du prochain épisode du conflit.
Sauf que les arméniens du Haut-Karabagh ont commencé une espèce de guérilla en posant quelques mines sur le chantier de l’autoroute qui doit relier l’Azerbaïdjan à ce Haut-Karabagh, par l’Est, c’est à dire depuis le territoire de Bakou. Là-dessus, donc Bakou a sauté sur l’occasion de décider d’anéantir cette mini force militaire, qui n’était de toute façon par prévue dans les accords. Parce qu’il faut rappeler que le Haut-Karabagh est en Azerbaïdjan au point de vue administratif, depuis le début de l’Union Soviétique, et que même l’Arménie n’a jamais remis cela en cause. Lorsque l’Arménie a envahi cette zone, et accessoirement, toutes les zones de l’Azerbaïdjan autour, il n’y a pas eu de rattachement à proprement dit du Haut-Karabagh à l’Arménie et on est resté sur une situation de front gelé avec des tranchées. Puis, la nouvelle guerre a, cette fois-ci, renversé les choses. Lorsqu’en 1990-1992 et 1994, les gens de Bakou avaient perdu la guerre, les populations azerbaïdjanaises en avaient été chassées. Ou elles s’étaient sauvées ou les deux à la fois. Lors du cessez le feu sous l’égide russe, récemment, après la dernière guerre, la population du Haut-Karabagh restait sur place et il devait être négocié, quel était leur degré d’autonomie culturelle ou autre, dans le cadre de la République d’Azerbaïdjan. Là, Bakou a sauté sur l’occasion de reprendre un contrôle total de l’enclave à partir du moment où, inconsidérément, les arméniens de cette enclave ont commencé à essayer de saboter militairement, sous forme de guérilla, la construction de la route les reliant vers Bakou.
Il y a une grande incertitude qui reste sur le prochain épisode. Est-ce-que les gens de Bakou vont chasser les arméniens restant du Haut-Karabagh ou est-ce-que ceux-ci vont se sauver ou vont-ils rester et finalement entamer une coexistence ? Plutôt plus forcée que voulue, mais dans des conditions qui leur seraient octroyées par Bakou et que la Russie garantirait. En effet, tout cela dépend aussi de la position de la Russie. Alors, la Russie, elle a laissé faire alors qu’elle a une force d’interposition d’une part, parce que cela ne correspondait pas à l’accord qui était passé sous l’égide de la Russie et de la Turquie entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, il y a peu de temps, mais aussi parce que l’Arménie a voulu diversifier un peu ses protections et a fait une mini-manœuvre, 130 soldats, avec les Etats-Unis, il y a à peine quelques jours.
Mais de là, Jacques COHEN, quel est le jeu de la Russie, finalement ?
Et bien, je pense qu’elle a toujours été le principal arbitre de la région et qu’avec ses difficultés actuelles, l’Arménie a tenté de voir un peu si elle pouvait jouer sur plusieurs tableaux. En particulier sur celui des américains et que ça, les russes ne l’ont pas apprécié. Moyennant quoi, ils ont fait sentir que les américains aiment peut-être les arméniens mais qu’ils sont loin, et que la seule chance pour les arméniens de ne pas voir Bakou poursuivre, c’est de s’aligner sur la Russie. Là, il y a encore des épisodes prévisibles, hélas. Le corridor sud n’est toujours pas réglé. Celui qui relie à travers l’Arménie, l’Azerbaïdjan au Nakhitchévan et il y a aussi la question de la route qui descend vers ce corridor, qui fait du crochet ou du tricot avec la frontière où les arméniens ont fait une attaque il y a quelques mois pour conquérir des positions stratégiques. Moyennant quoi, ils ont la possibilité, les gens de Bakou, de couper cette route et donc de couper l’Arménie de sa zone sud et donc du corridor quand ils veulent, en quelque sorte. La négociation c’est aussi le respect de tout cet accord ou bien la poursuite de la part de Bakou de pousser ses pions jusqu’à ce que l’Arménie se réarme et que l’on rentre dans un nouvel épisode. L’Arménie a acheté de l’équipement en Inde, récemment, par exemple. Puis, elle doit être en train de négocier des armes américaines parce que les rapports de force militaire, lui sont, pour l’instant, très défavorables et que si on n’arrive pas à une coopération pacifique dans la région, il y a aura encore de nouveaux épisodes assez régulièrement. C’est d’autant plus dommage que, stratégiquement, comme plateforme et comme nœud de communication, c’est ensemble que les deux pays pourraient avoir une position, j’allais dire, de « roi du pétrole » dans la région. Malheureusement, comme je vous l’ai dit la dernière fois, les hommes ne font pas toujours ce qui est dans leur intérêt et les passions et, en particulier, la guerre, prennent souvent le dessus.
On a quand même l’impression que chacune des parties joue quand même un peu à un double jeu. Finalement, il faudrait avoir des accords et s’y tenir. Mais cela n’est pas chose réussie d’avance, Jacques COHEN.
Absolument, parce que des accords cela gère une situation à un moment donné et celle-ci peut évoluer favorablement et défavorablement. Tant que la logique des uns et des autres est une logique de conflit jusqu’à récupérer leurs objectifs et que ceux-ci sont antagonistes, les accords ne pourraient être imposés que par des puissances tutélaires et comme la puissance tutélaire de la Russie vacille ces temps-ci, et bien les accords ne sont pas forcément respectés. Les buts de guerre pour Bakou ce sont de contrôler tout le territoire de la République d’Azerbaïdjan et tant qu’à faire de « bouffer » le corridor permettant de relier le Nakhitchevan à sa patrie, si j’ose dire, à la partie principale de l’Azerbaïdjan et puis, pour cela donc, de couper toute possibilité réelle de l’Arménie de contrôler son secteur sud. Du point de vue arménien, et bien c’est le contraire. C’est de récupérer le Haut-Karabagh, qui a toujours été peuplé d’arméniens, éventuellement relié solidement à l’Arménie. Et puis d’autre part, d’embêter Bakou en les gênant pour les liaisons du Nakhitchevan, qui est à l’ouest de l’Arménie, vis à vis du pays principal d’Azerbaïdjan. Et comme je vous ai dit, les intérêts des uns et des autres pourraient être préservés dans un accord. C’est ce que croient les russes et les turcs qui pensaient avoir chaperonné un accord. Et puis chacun semble reprendre ses velléités de revenir à ses objectifs initiaux, à moins semble-t-il que les arméniens n’aient pas de contrôle sur la population du Haut-Karabagh, qui s’appelle elle-même Artsakh, et qui veut être une république autonome, ce que même Erevan ne voit pas d’un très bon œil. Il se peut aussi que les choses soient tout simplement une initiative locale de cette population isolée n’ayant pas très bien intégré l’évolution de la géopolitique.
Un grand merci Professeur de nous avoir éclairé sur ce conflit Arménie-Azerbaïdjan qui se poursuit. Certainement qu’il y aura d’autres épisodes, dans ce feuilleton, d’autres séries.
D’autres saisons, ici on ne dit plus maintenant feuilleton et épisode, on dit série, saison et numéro.
Et bien voilà !
Je l’ai appris récemment.
Je vous sens au taquet Professeur. A très bientôt.
A très bientôt.