Jacques HM Cohen 3 11 2023
Jacques HM COHEN 3 /11/2023
Sur les ondes de RCF: LIEN
Avec nous aujourd’hui Jacques Cohen. Jacques Cohen, bonjour.
Bonjour.
Aujourd’hui question d’actualité et un sujet dont on parle beaucoup sur RCF, c’est évidemment Reims ville des sacres, avec évidemment on parle beaucoup d’abord, Jacques Cohen, du musée des sacres. Qu’est-ce que vous en pensez de ce fameux musée des sacres.
Je pense que c’est une erreur de mettre en tête d’affiche le thème des sacres à Reims car nous avons un atout universel qui est la cathédrale, alors que les sacres sont un sujet très marginal et très daté. Le musée du Tau, au palais Tau, doit redevenir le musée de la cathédrale parce que la cathédrale a une situation universelle. Elle renseigne de façon intemporelle sur les ambitions et les aspirations des hommes qui l’ont construite. On peut la comparer à Angkor qui est de la même période, ce n’est pas la peine d’être un spécialiste du bouddhisme et du petit et du grand véhicule pour apprécier Angkor. Et bien pour la cathédrale de Reims c’est pareil.
Elle parle à tous les hommes, quelques soit leurs croyances et même quand ils n’en ont pas. Alors que les sacres c’est complètement le contraire, il faut bien se rendre compte que c’est une légende miraculeuse inventée par Hincmar, l’évêque du IXème siècle, pour que les sacres aient toujours lieu à Reims. C’est lui le bienfaiteur de l’office du tourisme. Hincmar. a inventé qu’une colombe, donc que l’Esprit Saint ou quasiment, est descendue avec une huile sacrée, dans une fiole, pour permettre Saint Remi d’oindre Clovis avec lors de son baptême. La file a ensuite atterri dans le tombeau de Saint-Remi et qu’il en a su par là qu’il fallait que cette huile sacrée, ce Saint-Chrême soit utilisée pour oindre chaque Roi de France et lui donner ainsi une essence divine. Car avant Hincmar, on sacrait un peu partout. Et après, cela n’était possible qu’à Reims. Enfin presque, car Henri IV par exemple n’a pas été sacré à Reims, puisqu’il était fâché avec l’Archevêque, trop lié au parti catholique des Guise, qu’Henri IV avaient vaincu militairement.
Je vous interromps 30 secondes Jacques Cohen. Vous allez faire hurler un certain nombre d’historiens qui vraiment considèrent que c’est un événement majeur et que les sacres c’est très très très important, et pour vous vous dites que dans l’histoire d’une cathédrale, qui a une vocation universelle, le sacre n’est qu’un petit bout de l’histoire.
Totalement et en plus c’est un petit bout qui est très daté, parce que les sacres c’est déjà comme je vous ai dit quelque chose qui donnait une onction divine au pouvoir royal, c’est l’ingérence divine dans le temporel ou vice versa avec les nostalgiques de la royauté et de « la-France-fille- aînée de l’église », qui seront l’essentiel du public intéressé par cela.
Pour les autres Français et pour le monde entier les sacres c’est une culture ésotérique dont la dernière resucée, si je puis dire, a eu lieu il y a près de deux siècles en 1825. Elle y était très pâlichonne puisqu’on a déjà fait un peu l’impasse sur le toucher des écrouelles. Parce que le roi devenu divin devait faire des miracles en touchant les écrouelles qu’il devait guérir. Alors les écrouelles ce sont des fistules tuberculeuses cervicales qui guérissent effectivement quand on donne à manger aux gens et qui traînent quand les gens sont en malnutrition chronique. Donc c’est pour cela que c’était un miracle relativement facile à organiser en faisant toucher au roi, au nouveau roi, les écrouelles des pauvres mal nourris et en les mettant à l’hospice Saint Marcoux pour quelques semaines pour qu’ils se retapent correctement. Alors ça c’était une petite parenthèse médicale n’est-ce pas. Donc les sacres sont un thème marginal et qui n’a pas une audience universelle, ce n’est pas du tout l’impact qu’a notre cathédrale.
Le thème général des sacres en plus pris comme thème général est complètement marginal et donnera à Reims une image passéiste et j’allais dire rétrograde, quand on parle par exemple de la voie des sacres c’est justement quelque chose de pitoyable. Parce que cette voie des sacres et bien elle a évolué avec le temps et ce n’est pas le quartier le plus spectaculaire si on peut dire de la ville.
Mais vous n’êtes pas sans savoir, Jacques Cohen je vous interromps, qu’ici à Reims il y a une mobilisation tous azimuts autour de cette voie des sacres, qu’il va y avoir prochainement, et nous-même nous en faisant la promotion, des conférences autour de la voie des sacres. Nous avons, on va le citer, Jean-Marie Beaupuy qui intervient pour soutenir. Y’a quand même des gens qui promeuvent et peut-être à juste titre, Jacques Cohen. Vous leurs dites non vous êtes à côté de la plaque ?
Que l’on fasse quelques cavalcades régulièrement de Saint-Remi à la cathédrale c’est tout à fait souhaitable mais de saboter la circulation automobile et les flux pour créer une espèce de promenade permanente sur une voie qui architecturalement est surtout bordée de maisons assez minables dont les rez-de-chaussée sont tous ou quasiment tous défigurés, par des magasins j’allais dire contemporains !
Et bien si vous la prenez depuis le début la voie des sacres, vous avez place Saint-Timothée trois maisons médiévales effectivement qui sont les seules survivantes. Vous êtes déjà parti de Saint-Remi où vous avez un espèce d’univers minéral et géométrique assez raté. Parce que transformer des places c’est bien gentil mais ça implique de savoir d’abord ce qu’il y a autour, parce qu’une place elle est définie par ce qu’il y a autour, pas par ce qu’il y a au milieu, au milieu c’est un trou. Et donc le fait d’avoir refait le parvis de Saint-Remi n’a pas ressuscité les choses autour, donc elle est toujours aussi creuse si je puis dire. Donc depuis la place Saint-Timothée, vous descendez dans le seul segment, qui va être un segment besogneux, industrieux, artisanal, avec quelques boutiques. Il y a même un horloger, des choses comme cela. Ce quartier a son charme populaire. Et bien tout ça va être balayé par le sabotage de la circulation et de plus l’architecture de ces maisons n’a pas grand intérêt. Vous avez le rectorat, qui n’est pas non plus un bâtiment extraordinaire. Vous avez le collège des Jésuites mais malheureusement on ne peut pas y entrer, on a qu’une façade aveugle sur la voie des sacres n’est-ce pas. Et puis au-delà, tout cela va continuer. Il y a le conservatoire qui est pas mal, mais il y a très très peu de maisons intéressantes sauf celle de Kallas mais elle est minuscule. Le mur de Saint-Sixte, on peut l’abattre mais ouvrir sur un jardin privé à regarder sans y entrer, ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire non plus. La place des Six-Cadrans, des Loges-Coquault, elle est très très dévalorisée actuellement et pas par l’œuvre d’art qu’on a laissé rouiller et qu’on va avoir du mal à remplacer. Donc en fait cette voie avec des sens uniques qui vont l’un vers l’autre et avec une voie extrêmement étroite et restreinte, cela ne sera pas une voie royale, pour parler d’Angkor et de Malraux. Ça sera une transformation paysagère à la mode, c’est-à-dire surtout en herbes folles, pour complaire à la mode de réserver le centre-ville à ceux qui y habitent et y font du vélo. Car les commerces qui s’y trouvent voient là leur arrêt de mort.
En prenant cette position, Professeur Jacques Cohen, vous avez conscience que vous allez heurter j’allais dire toute une démarche actuellement qui est faite pour promouvoir justement cette voie des sacres.
Mais je vois de la part de la municipalité une constance dans l’erreur. Il y a déjà eu la candidature de Reims pour être ville européenne de la culture qui était partie sur une base complètement erronée et qui s’est fait retoquer d’ailleurs : le bid book a pris un « E ». Mais il y a là-dessus une constance dans l’erreur et l’erreur c’est de vouloir réserver le centre-ville à ses habitants en coupant systématiquement tout ce qui fait qu’on puisse y entrer. La démolition du pont Charles De Gaulle va suivre et on aura une ville réservée aux bobos un peu comme les condominiums brésiliens ou de toutes les zones où il y a d’un côté des ghettos de pauvres et de l’autre des ghettos de riches. Et là on aura donc une ville avec un peu de verdure pour les bobos du centre-ville et les maisons de retraite de leurs parents. C’est une ambition qui ne me paraît pas tout à fait celle qu’on devrait avoir pour Reims. On retourne d’ailleurs à des choses plus anciennes, le maire Bride dans les années 50 s’était beaucoup battu lui aussi contre le développement de la ville et finalement Jean Taittinger l’avait emporté et avait commencé un développement important, développement qui a été coupé à la racine par justement des gens qui voulaient pouvoir dormir avec Reims et que Reims ne se développe pas.
On peut dire, Jacques Cohen, pour terminer qu’on aura l’occasion de reparler de ce sujet mais votre prise de position est importante parce que ce que vous mettez en avant finalement c’est que la cathédrale est un élément universel et que certes c’est quand même, et je reviens ce n’était pas une provocation Jacques Cohen, mais c’est quand même la cathédrale des sacres, c’est quand même une particularité de Reims. Mais vous dites faut pas s’arrêter à cette particularité, Reims c’est bien au-delà, c’est universel.
C’est universel parce que la beauté de la cathédrale témoignant des ambitions et du savoir-faire des hommes qui l’ont construite, parle à tout le monde sur la planète, et de même que de leurs aspirations, parce qu’il y a des sourires sur des visage apaisés. Pas seulement aux portails, mais les anges des tabernacles sont aussi souriants. Dans un monde qui était un monde d’horreur, un monde de guerres, bien pire que le nôtre. Et pourtant, et bien dans ce monde-là la cathédrale représentait l’aspiration à la paix et au bonheur que tous les hommes ont. Une espèce d’îlot, un havre, un refuge dans un monde qui était affreux dans sa réalité quotidienne. Et bien cela tout le monde le perçoit. De même qu’on perçoit le sourire d’Angkor, comme le sourire de Reims.
Comme l’extraordinaire équilibre géométrique de son architecture que chacun ressent.
Et cela c’est un atout majeur, les sacres ne sont qu’une petite chose marginale et nous n’avons certainement pas intérêt à nous complaire et nous restreindre à un espèce de folklore d’un miracle de pacotille. Et moi je maintiens la position du conventionnel Ruhl qui après avoir brisé la fiole sur les marches de la statue de Louis XV, appelé à l’époque Louis le fainéant, a écrit en envoyant les débris à la convention « le hochet sacré des sots n’existe plus ».
Merci Jacques Cohen, une prise de position qui fera sans doute réagir sur notre antenne. En tout cas merci Jacques Cohen d’avoir été avec nous et puis si vous le voulez bien on se trouve vendredi prochain pour ouvrir avec vous une nouvelle page de question d’actualité. Bonne semaine, à bientôt.
A bientôt.
