Jacques G Cohen 16 11 2023
Sur les ondes de RCF:LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous en ligne par téléphone. Jacques Cohen, Bonjour.
Bonjour.
Aujourd’hui vous voulez nous parler des hallucinations des artilleurs de l’US Army, pourquoi vouloir faire un focus spécifiquement sur ce sujet aujourd’hui Professeur ?
Parce que c’est une situation très exceptionnelle et nouvelle. Des syndromes post-traumatiques, des troubles psychiatriques post-guerre, c’est malheureusement connu depuis des siècles et des siècles. Là il s’agit de quelque chose de très particulier, avec une population très étroite qui est concernée et avec des conséquences en physiopathologie psychiatrique qui sont très importantes. Alors de quoi s’agit-il ?
Il y a un certain nombre d’artilleurs après leur retour d’Iraq qui ont fait des syndromes dépressifs. Jusque-là vous me direz que c’est totalement banal. D’autre qui ont dérivé dans des tableaux psychiatriques de schizophrénie ou de désinsertion sociale, etcetera, … Mais la grosse particularité c’est que ces troubles se sont concentrés sur des artilleurs qui n’ont jamais vu un cadavre. Les artilleurs en question tiraient avec une artillerie lourde à 10 ou 15 km de Mossoul par exemple, et ils n’ont jamais participé au moindre combat, ils n’ont jamais été menacés de quoi que ce soit, ils n’ont jamais vu le résultat de leurs tirs. Et d’autre part, c’est une population très restreinte, et même si la schizophrénie par exemple débute couramment chez des sujets de leur âge, la concentration des cas a fait se poser des questions. Alors qu’est ce qu’ils avaient exactement ? Et bien ils avaient des éléments de dissociation et des éléments d’hallucination. Mais les hallucinations, ce n’était pas des hallucinations du delirium tremens ou des syndromes des drogués, puisqu’il y avait cela abondamment dans l’armée américaine. Il s’agissait d’hallucinations beaucoup plus complexes, ils étaient persuadés qu’il y avait tel ou tel personnage dans la maison qu’ils avaient rencontré ou que c’était un personnage qui leur voulait du mal, donc des hallucinations complexes exactement comme les hallucinations de certains schizophrènes ou de psychoses graves. Ils avaient pour parler comme certains sur cette antenne, des visions. Alors très curieux parce que les psychoses graves qui ne soient pas médicamenteuses, on a même pensé à un moment aux fumées par exemple de leurs obus, non seulement cela ne court pas les rues, mais c’est un tableau qui finalement ressemble beaucoup à la schizophrénie grave, à la dissociation, et le mécanisme qui a été envisagé est quelque chose de très inattendu. Ils ont tiré des coups de canon, épouvantablement, plus de 1000 par jour pendant des mois. C’était des forçats des obus à porter et à lancer. Et chaque fois qu’ils tirent, il y a une onde de choc. Et cette onde de choc, elle leur passe à travers le corps, le faisant vibrer, et elle passe à travers le cerveau. Et donc ils ont eu des milliers de passages d’onde de choc dans leur cerveau et il est envisagé que l’élasticité du cerveau n’étant pas à la même selon les endroits ou les résonances avec l’os, etcetera, il puisse y avoir des dégâts qui chez eux seraient, d’après les modèles expérimentaux qui ont été tentés, principalement concernant les axones entre la substance grise et la substance blanche. Ce n’est pas par exemple la même chose que les traumatismes des Parkinsons, les Parkinsons induits chez les boxeurs ou chez les footballeurs maintenant qu’ils font des têtes à tire-larigot, et bien on sait très bien ce que c’est, mais ce n’est pas le même choc. Et là d’ailleurs l’onde de choc qui traversait des milliers de fois ces artilleurs n’est pas la même.

Tir de Canons de 155 Ici des Caesar français
https://www.nytimes.com/2023/11/05/us/us-army-marines-artillery-isis-pentagon.html
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27291520/
C’est donc très important parce qu’on n’a pas de modèle jusqu’à présent de schizophrénie en fait, de dissociation hallucinatoire. Et donc un modèle qui conduit à comprendre des hallucinations complexes, ça pourrait être très important. Donc voilà pourquoi ces malheureux artilleurs deviennent des sujets d’étude tout à fait intéressants dans les malheurs qui leur arrivent.
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Jacques Cohen, sur les ondes de RCF, on aurait bien envie non pas de mener une étude parce que ça serait un petit peu long, mais au mois de comprendre quel mécanisme peut amener à ça, Professeur ?
Alors la seule chose qui n’est pas complètement élucidée, c’est qu’ils ont été exposés quand même à beaucoup de fumée des explosifs, et que là on n’a pas tellement de données sur ce qu’ils ont ingurgité. Mais l’onde de choc, l’agitation mécanique extrêmement importante et extrêmement répétée, ça paraît une piste tout à fait intéressante. Au passage, on n’a pas regardé ce qui était arrivé à nos artilleurs, ceux qui tiraient avec des Caesars. Mais il faut dire qu’ils tiraient pratiquement à peine 10 % des obus tirés par les Américains qui avaient une tactique extrêmement simple qui était de saturer Mossoul jusqu’à ce qu’il n’y ait plus pierre sur pierre avec des tirs d’artillerie lourde à 10 ou 15 km. Donc, on n’est pas absolument certain du mécanisme, mais de toute façon le tableau en lui-même est tout à fait intéressant, principalement avec des hallucinations. Parce que les hallucinations, il y a des hallucinations simples, on voit dans les delirium tremens par exemple qui voit des bêtes grouiller sur le mur. Mais là des hallucinations avec des personnages, avec un comportement prêté au personnage, c’est finalement très rare. Alors cela a existe en psychiatrie.
Jacques Cohen, puisque vous compariez avec d’autres situations il y a quelques instants, est-ce-que l’on connait aussi d’autres exemples ? On pense notamment à Romain Gary.
Il y a un très beau roman de Romain Gary qui rapporte un cas de ce genre, qui est « La Danse de Gengis Cohn ». Donc il s’agit d’un nazi qui en Pologne massacrait des milliers et des milliers de juifs, et puis un jour il y en a un qui a sauté du camion avant de se faire abattre au bord de la fosse en lui disant « Kish mir im toukhès ». Et aucun autre juif n’a voulu dire à ce nazi, à ce SS, ce que ça voulait dire. Donc il a cherché très longtemps et il n’a pas compris. Et cela l’a frappé. Et quelques années plus tard en Allemagne il retrouve ce type assis dans son fauteuil, puis assis au bord du lit, etcetera, etcetera… Et en plus c’est un clown, le gars en question. Et « Kish mir im toukhès » vous êtes certainement très avide de savoir ce que ça veut dire.
Evidement qu’on veut savoir professeur.
Même si c’est sur l’antenne de RCF je dois le dire, vous me l’accordez ?
On vous l’accorde.
C’est un défi de ce type qui va se faire abattre qui lui a dit « baise mon cul ». Et ensuite le personnage du SS a une identification, il va s’identifier à sa victime, aller à la synagogue, etcetera. Donc ça ce sont des tableaux psychiatriques connus qui sont dus au diable ou au bon dieu, qui sont des remords. On ne sait pas très bien ce que c’est que le remord ou une terreur d’une vengeance venue de l’au-delà. https://www.youtube.com/watch?v=i4f8YkBcnwo
le commissaire Schatz, ancien nazi mal épuré, que trouble le remords. Le véritable héros est un esprit : l’âme de Gengis Cohn, comique juif que Schatz, pendant la guerre, a exterminé et qui est devenu son Dibbouk (démon de la tradition juive qu’on ne chasse qu’à coups d’exorcisme).

Gengis Cohn surgit toujours quand son assassin ne l’attend pas. ( Ici ce dernier a remis son uniforme à la demande de sa maitresse… et Cohn aussi a remis le sien ).
Dans Romain Gary « la danse de Gengis Cohn » là c’est un mécanisme psychologique, c’est une affaire qui n’a aucun substratum anatomique. C’est de rappeler que la petite voix de la conscience, ou la terreur de l’au-delà pour certains, peut conduire à des comportements tout à fait inattendus qui ne sont malheureusement pas les plus fréquent, mais il y a de temps en temps la possibilité quand même que chaque homme finisse par regarder ce qu’il a fait,
Mais chez les artilleurs US, on est pas du tout dans ce genre de chose, on est dans les hallucinations de type dissociation, de type bouffée délirante et même si d’autres causes sont possibles, en particulier avec les drogues, là on a l’impression que ceux-là n’ont pas pris plus de drogues que les autres soldats US ou qu’ils n’en ont pas pris du tout, n’ont pas été exposés à des situations traumatisantes et pourtant, c’est chez eux que se concentrent ces cas d’hallucinations complexes et de dissociation. Qui ont cette fois un substratum anatomique plausible. Bien loin de Romain Gary et du clown Cohn.
Et bien merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés par cette chronique sur les hallucinations des artilleurs de l’US Army. Et pour plus d’informations c’est sur votre blog, jhmcohen.com, on imagine avec des illustrations et puis davantage d’explications.
Oui, dans quelques jours. Dans quelques jours, mais ça sera fait je vous le promets.
Nos auditeurs ont de la patience, Jacques Cohen, ne vous en faites pas, tout va bien. A très bientôt Professeur.
A bientôt.