Jacques HM Cohen 9 7 2024

Sur les ondes de RCF: @Lien en attente

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen, avec nous par téléphone pour la dernière de la saison. Professeur Cohen, Bonjour.

Bonjour.

Aujourd’hui, Professeur Jacques Cohen, vous voulez de nouveau sortir la boule de cristal, cette fois pour parler de la présidentielle, en particulier du 2^ème tour de la présidentielle, Jacques Cohen, qu’est-ce que vous voulez nous dire par rapport à cela ?

Et bien, il y a un élément qui pour l’instant n’a pas sauté aux yeux, c’est de savoir qui sera opposé à Marine Le Pen, et c’est loin d’être évident. Parce qu’il faut rappeler la règle électorale, ce sont les deux candidats classés en tête au premier tour qui sont retenus pour le second. Il n’y a pas d’accord politique, de désistement, de ceci, de cela. C’est de façon irrévocable celui qui est en deuxième position qui est qualifié contre celui qui est en première position. Alors, vous avez vu ce que cela avait donné il y a quelques années quand L Jospin avait été éliminé, j’allais dire, par surprise, et bien là on a un problème qui fait qu’on sait déjà qu’il y aura trop-plein. On sait déjà qu’il y aura trop-plein, même si on ne voit pas très bien qui fera le trop-plein, mais vu les multiples courants, il y aura plein de candidats qui ont, j’allais dire malheureusement ou heureusement je ne sais pas, des chances d’être dans un mouchoir de poche. Il y aura une photo finish non pas pour la première place, mais pour la seconde.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1057808s

Et à ce moment-là, cela peut être une grosse surprise. Parce que si le même principe que d’habitude s’imposait de refuser au RN d’être au pouvoir, et bien, à ce moment-là, quiconque aura gagné, j’allais dire aux séries, puisqu’on s’approche des Jeux Olympiques, qui sera qualifié par les séries et bien sera second, aura avec de très bonnes chances d’être élu derrière. Or cela, c’est un problème de démocratie aussi parce qu’on ne sait pas très très bien qui ce sera, de quel courant, s’il y a de nombreux candidats qui font un score proche les uns des autres, parce qu’on peut avoir des votes pour des courants, mais on peut aussi avoir des votes qui font délibérément gonfler une baudruche parce que les Français ont décidé de démontrer que le système ne colle pas. Je pense par exemple aux écologistes qui pourraient d’un seul coup récupérer plein de voix indépendamment de leur ligne. Exactement comme on a vu plusieurs municipalités importantes à Lyon, à Strasbourg, à Bordeaux, passer entre leurs mains. Avec les résultats qu’on a vu depuis, simplement par défiance ou défi suivant l’opinion que les électeurs avaient des autres courants.

Comme vous le savez, il y a une histoire rémoise à ce sujet. C’est Condorcet, qui est un ancien élève, non pas de Sciences Po mais du Collège des Jésuites, et qui était mathématicien, qui est le théoricien des systèmes électoraux ayant démontré le premier que quand on a un système binaire, tout va bien, mais que dès qu’il y a plusieurs options, c’est paradoxalement la moins soutenue numériquement qui peut être celle qui passe. C’est très amusant parce qu’il a calculé cela directement, et même juste avant la Révolution française, puis il a développé parce que sa théorie avait de quoi s’appliquer.

https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thode_de_Condorcet

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Condorcet

Condorcet a proposé un correctif à cet inconvénient par la simulation des duels multiples qui prend ainsi en compte ce qu’on appellerait aujourd’hui les coefficients de rejet. Mais l’anticipation de plus en plus incertaine avec leur nombre des résultats des duels multiples conduit à ce que les électeurs ne sachent plus très bien ce qu’ils font, et à des prophéties auto-réalisatrices. Le paradoxe de Condorcet semble hélas rester après presque deux siècles et demi sans solution pratique.

On peut d’ailleurs relever un clin d’oeil de la part de Condorcet dans la citation peu électoraliste, éloge de la volonté, qu’il a choisie pour la couverture de son ouvrage :

« Quod si defisiant vires audacia certe laus erit, in magnis et voluisse sat est »

Si l’on est à court de moyens, l’audace sera certainement un motif d’éloge. Pour faire de grandes choses, il suffit de l’avoir voulu.

Donc on a cette grosse incertitude d’une présidentielle future qui comporte beaucoup plus d’imprévus que le système des législatives à deux tours, avec les possibilités de maintien, la possibilité d’avoir des bi, tri, quadrangulaires, là il y a un couperet. Et je ne suis pas sûr que les Français s’en rendent réellement compte, mais cela viendra à mesure que les choses vont se rapprocher. Alors vous pourriez me demander si c’est pour 2017 comme on l’attend, ou si cela se passera avant.

2027, professeur Cohen, si je peux me permettre.

Oui, Oh là. Oh là là. Pour 2027, j’étais déjà parti dans un voyage dans le passé en allant chercher L Jospin puis Condorcet. Et maintenant j’ai oublié de me recaler la tête sur la bonne date.

Et bien donc on n’est pas tout à fait certain de la date, et là ma boule de cristal ne peut pas vous dire si cela va se passer très bientôt où cela va se passer à la date prévue de 2027, tout dépend du Président. D’ailleurs le Président a des options considérables. Il peut continuer à présider, il choisit qui il veut comme premier ministre, de garder le gouvernement indéfiniment, puisque l’Assemblée sera incapable de le renverser, et de même il peut décider de s’en passer. Alors là vous allez peut-être être surpris, mais la Constitution de la 5^ème République lui permet aussi de dire que puisqu’il n’y a pas de solution, on a une crise majeure. Il peut très bien le dire, et bien les intérêts supérieurs de la nation sont en jeu parce qu’il n’y a pas de solution sans dissoudre à nouveau, je n’ai pas le droit de dissoudre à nouveau avant un an, et en attendant et bien je gouverne tout seul. Cela s’appelle l’article 16, il n’est contrôlé que par le Conseil Constitutionnel qui doit à 2 mois je crois, puis à 6 mois, dire si c’est bien justifié. Alors il faut qu’il se soit mis d’accord avec L Fabius ce qui n’est pas le plus facile, mais enfin cela pourrait arriver. Ceci dit, cela ne me paraît pas l’hypothèse la plus probable et de loin.

De toute façon, il ne le dirait pas tout de suite, il fera faire un tour de piste à 2-3 prétendants des différents courants auparavant.

A gauche, surtout à LFI, il y a une illusion magique: penser être aux portes du pouvoir. Auparavant c’est le RN qui avait avalé la petite pilule du bonheur électoral. Avant de laisser traîner la boite reprise par le NFP qui y pioche abondamment. Le plus ennuyeux, c’est qu’une large part de leur électorat le croit aussi. Et que les déçus RN plus les déçus NFP vont eux faire une très large majorité dans le pays.

Et bien justement, Professeur Jacques Cohen, puisque vous en parlez, c’est quoi pour vous l’hypothèse la plus probable ?

Et bien, on va y arriver. Mais je voulais vous indiquer que le jeu reste très largement ouvert par une Constitution qui a prévu une grande variété d’options. J’ajouterai aussi avant de vous répondre qu’elle a même prévu des choses assez intéressantes. Elle a prévu aussi d’éviter les factieux, c’est-à-dire d’éviter les snipers, en français les tireurs d’élite. Parce que si vous avez l’un des deux candidats du 2^ème tour qui décède de mort naturelle ou parce qu’on lui a tiré dessus, Et bien, on ne prend pas le suivant, l’élection est annulée, on recommence tout.

Alors, quel est le scénario le plus probable ? Le plus probable, c’est qu’il n’y a pas de majorité possible, donc d’un groupe et même d’aucun intergroupe, c’est à dire que des recompositions dans un sens ou dans l’autre ne peuvent pas donner de majorité stable. C’est quand même assez ennuyeux, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors dans ce cas-là, le Président Macron peut garder son Premier ministre et son gouvernement actuel aussi longtemps qu’il n’y a pas d’autres solutions. Parce qu’une motion de censure pour le renvoyer, il faudrait qu’en gros NFP et RN soient d’accord pour la voter, ce n’est pas certain, on ne voit pas beaucoup de situations où cela serait le cas. Dans l’autre sens, un vote positif pour abroger la loi sur les retraites effectivement, elle pourrait être votée à la fois par le Nouveau Front populaire et par le RN, mais ce n’est même pas la peine parce que toute façon le gouvernement a déjà suspendu cette mesure. Et dans l’autre sens, on ne voit personne, on ne voit pas de majorité pour voter des dépenses significatives pour ramener la retraite à 60 ans, ou d’autres plaisanteries du même genre qui sont dans le programme de LFI que le NFP a avalé tout cru en se disant qu’un programme, cela n’engage à rien. Alors justement derrière, la chose la plus probable, c’est que l’Alliance de NFP ne va pas durer bien longtemps, que le PS va être tenté peut-être de prendre du large. Mais comme le bloc centriste de Macron, n’est pas parti en miettes, le PS n’a pas grand-chose à grappiller, sauf à faire un accord, mais cet accord, il faudrait qu’il aille jusqu’à LR, jusqu’à LR canal historique. Et manifestement là, les lignes sont assez nettement opposées. Donc en fait il n’y a pas non plus de majorité alternative. Alors, des votes au coup par coup, c’est tout à fait possible, mais cela ne va pas bien loin parce que dès qu’on va être en situation de voter sur quelque chose de sérieux, il n’y a pas de solution. Donc effectivement on va se traîner pendant un an jusqu’à ce qu’on remette le couvert si je puis dire vulgairement.

Temps additionnel, un an minimum puisque vous aviez commencé en parlant de sport, Professeur Jacques Cohen, on terminera cette chronique comme cela aujourd’hui. En tout cas un grand merci de nous avoir emmenés sur ce 2^ème tour de la présidentielle. Peut-être en 2027, peut-être avant comme vous l’avez évoqué, on vous souhaite un très bel été, Professeur, de bonnes vacances et on se dit à la rentrée. 

Voilà, et je le trouve assez agréable que vous ayez trouvé l’image des arrêts de jeu, nous sommes partis pour un an d’arrêt de jeu.