Jacques HM Cohen 18 9 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Jacques, bonjour.
Bonjour.
Merci de nous emmener aujourd’hui là où la plupart des médias nous emmène depuis plusieurs jours maintenant du côté de Mazan, pour parler de cette affaire avec notamment celui qui est sur le banc des accusés avec d’autres hommes, Dominique Pélicot. Jacques Cohen, qu’est-ce que vous voulez nous dire déjà si l’on fait une photographie de cette affaire Mazan, les faits, rien que les faits, que faut-il savoir ?
Alors les faits, tout le monde en a entendu parler. Il s’agit d’un monsieur qui fait prendre sa femme par une cinquantaine de types sur 10 ans, laquelle est passive parce qu’elle a été droguée, paraît-il au Temesta. Ce qui est surtout frappant, c’est l’opinion publique qui le veut comme incarnation du mal, comme le diable, incarnation du mal, et donc il ne resterait plus qu’à le brûler parce qu’on ne peut pas faire autre chose avec le mal. Et avec une grande surprise, c’est que quelle est la première déclaration à l’audience de ce type, c’est « je suis coupable ». Il en rajoutera même si besoin, parce qu’il est fondamentalement masochiste.

Ritualisé de diverses manières, le sado-masochisme se distingue parmi les pratiques sexuelles par l’importance de la mise en scène dans son fantasme.
Sadique avec sa femme et masochiste pour lui même. C’est la définition du sado-masochisme. C’est une pathologie que sa conduite précédente mettait déjà bien en évidence et il souffrait de voir sa femme traitée ainsi, et là il est tout prêt à souffrir d’être coupable de ceci, que les autres le sont aussi. Il pourrait se charger des péchés non pas seulement de la cinquantaine de types, mais de la terre entière. C’est un syndrome connu qui d’ailleurs est un piège redoutable pour les juges d’instruction, ce sont des gens qui s’accusent même de crimes qu’ils n’ont pas commis. Là vous allez me dire, il les a commis, c’est tout à fait exact, mais je ne serais pas étonné qu’il finisse par en rajouter, parce que cela correspond tout à fait au syndrome psychiatrique.
Alors, on peut aussi faire un parallèle, il y a une affaire qui n’est pas très différente dans la région, qui est passée en jugement je crois il y a peu de temps, et qui s’est terminée par une peine minime, mais surtout qui n’a pas fait de grands échos dans la presse. Parce que tout simplement il avait fait prendre sa femme également par des tas de gens, mais lui il faisait payer. Et donc quand on est dans une affaire avec de l’argent, on est dans un proxénétisme, ce qui paraît une grande banalité, que des femmes soient soumises avec l’aide d’alcool, de coups, de Temesta, plus ou moins spontanément et plus ou moins durablement, cela paraît d’une banalité totale. Tandis que là, à Mazan, on a à la fois l’affirmation de la figure du mal pour le Monsieur et de la figure de la Sainte et de la pureté absolue pour la dame, ce qui fait comme toujours en noir et blanc un manichéisme qui conduit à l’exacerbation de l’imagerie et des fantasmes de la population. Ce qui est quand même une chose beaucoup plus compliquée, c’est que nous allons voir ce que vont dire les experts psychiatres, parce que je ne pense pas qu’ils ne puissent pas ne pas avoir remarqué cette lourde pathologie de masochisme chez ce type qui est accompagnée d’une pathologie inverse qui est le sadisme, puisque vous savez qu’on parle de sado-masochisme, ce qui est assez bien illustré dans son cas. Mais ce qui frappe le plus, c’est que ces choses relativement banales et fondamentalement psychiatriques, sont vécues en termes de bien et de mal, en termes de lumière et de noir, sans se rendre compte que ces comportements sont des facettes, hélas, de la nature humaine, et non pas des allégories ou des archétypes désincarnés.
Professeur Jacques Cohen, est ce que finalement ce genre d’affaire, celle-ci fait grand bruit, mais est-ce que c’est un cas isolé ? Parce que j’ai l’impression que même à côté de chez nous, on pourrait en connaître des similaires.
Je vous ai parlé à l’instant d’une affaire qui s’est terminée de façon judiciaire, mais ce genre de chose est relativement courant et sans suite judiciaire dans beaucoup d’affaires qui n’arrivent pas aux assises ou qui ne sont même pas judiciarisées parce que tout le monde, si j’ose dire, y trouve son compte dans telle ou telle institution, si on peut dire de rencontre. Ce comportement sado-maso faisant souffrir sa femme et en étant extrêmement désolé, très masochiste de l’avoir ainsi traitée est quelque chose hélas de très courant et on retrouve, rassurez-vous, du point de vue féministe, l’inverse avec des types qui se font attacher, que leur femme bat, etcetera, etcetera. Malheureusement, c’est un élément du comportement humain, et ce qui est curieux c’est la volonté générale de refuser que cela puisse être autre chose que d’une lecture en bien et mal avec un coupable et un innocent. Donc là cela serait une innocente, forcément innocente, etcetera, mais c’est une situation qui est beaucoup plus banale et durable la plupart du temps sans rentrer dans des procédures judiciaires.
Est-ce qu’il y a justement des défenses qui, devant les juges, valent mieux que d’autres ? Parce que vous dites qu’il y a ce Dominique Pélicot qui se met en position du mal, du diable presque, est-ce que c’est quelque chose qui peut entre guillemets séduire les juges ou les attendrir en tout cas au moment de la défense et du verdict ?
Les juges, c’est leur métier, ils ne sont pas particulièrement faciles à attendrir, cela c’est déjà une chose. Ensuite, séduire les juges, c’est un peu pareil, donc effectivement quelque chose de difficile. Donc d’autre part, je n’absoudrais pas bien sûr sur cette antenne cet individu qui est bien sûr coupable. Je doute que les juges analysent autrement. Mais ce qui m’intéresse, c’est l’écart de l’opinion publique par rapport à la réalité d’une situation qui est beaucoup plus banale qu’il n’y paraît.
Et justement, si l’on regarde ce qu’il se passe dans l’opinion publique, c’est un petit peu ce que vous avez essayé de nous décortiquer tout au long de cette chronique, Professeur Jacques Cohen, mais finalement on se rend compte que ça pourrait être un petit peu plus ambigu ?
Qu’entendez-vous pas ambigu ? C’est-à-dire par l’attitude de sa partenaire, de son épouse ? Je ne connais pas l’affaire de Mazan, donc je ne me garderai bien de m’engager sur savoir ce qu’il est en est. La seule chose qui me frappe, c’est que quand on parle de soumission chimique généralement il s’agit d’autres drogues que du Temesta, lequel fait surtout rapidement dormir et je ne connais pas bien le détail, mais je pense qu’il y a une pathologie psychiatrique du couple qui doit être impliquée, même si bien sûr l’un est coupable et l’autre est victime. Comme vous le disiez, est-ce qu’il y a d’autres exemples dans le coin, mais je vous ai cité tout à l’heure cet exemple judiciaire récent, une affaire quasi identique mais qui comme il s’agit de prostitution, serait considérée comme d’une grande banalité. Mais à Mazan, il ne faisait pas payer.
Ça veut dire que c’est l’argent qui fait la différence quelque part, Professeur ?
Et bien finalement, c’est qu’inconsciemment l’opinion publique considère que des relations pour de l’argent, c’est quelque chose qui ne dépasse pas l’entendement, qui est logique, tandis que des relations sado-masos non tarifiées, ça parait toujours beaucoup plus étrange et surtout à une opinion publique qui veut au contraire, comme je vous ai dit, du noir et du blanc, des diables et des saints ou des saintes.
Et c’est là-dessus que l’on terminera la chronique d’actualité cette semaine, Professeur Jacques Cohen. Merci d’avoir été avec nous pour nous parler de l’affaire Mazan. On vous dit à très bientôt Professeur.
A très bientôt.