Jacques HM Cohen 21 9 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Jacques, Bonjour.
Bonjour.
Et cette semaine vous nous emmenez au Liban avec cette chronique intitulée le Hezbollah dans le piège qu’il s’est tendu lui-même. Ça va être l’occasion de revenir sur certains faits qui se sont produits plus ou moins récemment avec cette question, Professeur Jacques Cohen, que se passe-t-il concrètement ?
Et bien depuis quelques jours, les Israéliens ont commencé à faire monter les enchères. Il faut rappeler les épisodes précédents, dès le 8 octobre, dès le lendemain du 7 octobre, le Hezbollah s’est mis à tirer des missiles sur le nord d’Israël, obligeant les Israéliens à évacuer plus de 100.000 personnes de toutes les communes de la partie nord de leur territoire, y compris du territoire de 1948. Depuis un an, le Hezbollah continue, si j’ose dire, ce petit jeu, à faire attention à pas tirer trop loin, pas tirer trop fort, mais continuant donc à maintenir cet exode d’une partie de la population israélienne avec comme position « on arrêtera quand les Israéliens auront quitté Gaza ». Ce à quoi d’autres pourraient leur répondre, ce n’est pas demain la veille !
Justement, Jacques Cohen, ça c’est pour ce qu’il se passe maintenant, avec la suite jusqu’où ça peut aller ? Parce qu’on sent que, comme vous le dites, depuis plusieurs mois il y a une sorte d’escalade finalement.
Alors il y a une escalade modérée parce que d’abord le Hezbollah n’a pas intérêt à une escalade importante et à une guerre totale pour plusieurs raisons. La première, c’est que le Hezbollah contrôle le Liban et le Liban et Israël ont passé un accord sur l’exploitation du gaz au large et comme dirait Audiard « à partir d’une certaine somme tout le monde écoute ». Donc c’est un peu bête pour lui, parce que c’est le Hezbollah qui va empocher cela, que de sacrifier cela sur l’autel de la solidarité avec Gaza, premier problème. Deuxième problème, il y a une très grande différence entre Gaza et le Liban, c’est qu’à Gaza le Hamas a exterminé toute autre force politique, exterminée physiquement, et que donc même s’il restait très peu ou s’il reste très peu de Hamas à la fin, ils reprendront le contrôle sur la population parce qu’il n’y a aucune émergence d’une autre force politique et à fortiori d’une autre force militaire et que, si j’ose dire, le ménage a été fait depuis très longtemps.
Au Liban, c’est un peu différent. Le Hezbollah est appuyé sur les chiites, c’est à dire un tiers de la population, et encore il n’est pas le seul parti chiite, il y a aussi Amal. Mais il n’a pas pu exterminer les deux autres tiers qui sont eux aussi structurés de façon confessionnelle ou sur des cantons différents, mais qui ne demandent qu’une chose, ils ont été mis au pas par le Hezbollah pendant 20 ans, et traités en servitude, si le Hezbollah est sérieusement affaibli, ils vont ressortir leur propre milice pour aller l’exterminer.
Donc, du point de vue des Israéliens, il peut y avoir une solution politique au Liban qui est le bouleversement de l’équilibre des courants ou des communautés au Liban vers le retour à un équilibre qui a d’ailleurs existé auparavant, avant que la Syrie et l’Iran ne renforcent le Hezbollah, et un équilibre qui là permettrait de se débarrasser de leur point de vue de l’extrémisme du Hezbollah.
Alors du point de vue du Hezbollah, il continue à faire une escalade modérée, si je puis dire, mais les Israéliens n’y ont pas intérêt. Eux, ils ont intérêt à taper de plus en plus fort pour que soit le Hezbollah capitule, soit qu’ils anéantissent le plus possible l’infrastructure du Hezbollah. Alors soit ils l’anéantissent, si j’ose dire, en tondant la pelouse pour se débarrasser des stocks de missiles et attendre encore pendant quelques années que le Hezbollah les reconstitue, soit ils essaient d’aller plus loin en faisant en sorte de créer les conditions ou les autres courants libanais feront la peau au Hezbollah. Je vous encourage d’ailleurs pour voir quel est le rapport de force à regarder ce que feront la milice Amal et ce que feront les Druzes.

Le QG du Hezbollah à Beyrouth a été détruit en même temps que les immeubles sous lesquels il se trouvait. Le faible nombre de victimes civiles de source libanaise ( une dizaine de morts et 80 blessés ) fait penser que les habitants de ces immeubles s’en étaient éloignés dès le début de la campagne israélienne. (Photo by Ibrahim AMRO / AFP)
Mais Professeur Jacques Cohen, pour essayer d’aller un peu plus loin et de comprendre un petit peu mieux ce conflit, quels sont les buts de guerre ? Est-ce que c’est comme ce qu’il se passe à Gaza par exemple ?
Non, ce ne sont pas du tout les mêmes. A Gaza, Israël a indiqué qu’ils voulaient exterminer le Hamas, qui avait mené une opération le 7 octobre de massacre de civils en plus sur son propre territoire internationalement reconnu. Dans le cadre du Liban, il y a deux choses, le Hezbollah a envahi depuis très longtemps la zone tampon au sud du Litani, du fleuve Litani, qui ressortait des accords de la guerre précédente. Il y a 7000 personnes dont 700 Français qui sont peints en blanc et qui font leur possible pour regarder mais qui ne peuvent rien dire parce que leur gouvernement a décidé qu’il ne se passerait rien. Donc là, on a une zone démilitarisée qui est devenue en fait la zone principale d’organisation militaire du Hezbollah. Cela, les Israéliens sont en train de le pulvériser parce qu’il y a peu de civils, il y a une force militaire structurée de façon relativement traditionnelle et donc, si j’ose dire, c’est une bataille techniquement relativement raisonnable et facile de leur point de vue. Même si le Hezbollah est beaucoup plus fort militairement que n’a jamais été le Hamas, les Israéliens me paraissent en état de détruire cette force avec une réserve, c’est qu’il faut finir par aller au sol, ne serait-ce que parce qu’il faut couper un certain nombre d’approvisionnements par la Syrie de la part des aides syriennes et surtout iranienne, et pour ça il faut aller au sol.
Or les États-Unis ne veulent pas que les Israéliens mènent une opération au sol. Tant que c’est une opération aérienne tout va bien, mais une opération au sol ils ne veulent pas parce qu’ils sont en négociation avec l’Iran, ils attendent les élections pour conclure cette négociation, et la base de cette négociation c’est que les Iraniens ont une retenue considérable ces temps-ci, parce qu’ils attendent encore quelques mois de disposer de leur bombe atomique. Quand ils l’auront, ils s’apercevront que la bombe atomique, c’est le début de la sagesse, parce qu’on ne veut pas s’en servir. Parce que si on s’en sert, on prend celle des autres sur la poire. Mais pour l’instant on n’en est pas encore là, ils en sont à pouvoir annoncer qu’ils auront un sanctuaire, ce qui veut dire en clair que la bombe atomique les sanctuarisera vis-à-vis des armes atomiques israéliennes, mais rien de plus, et vice versa d’ailleurs. Mais pour l’instant en tout cas, les Iraniens y croient, et donc ils ont par exemple refusé depuis cette semaine où les Israéliens ont fait une certaine escalade de bombardements au Liban, ils ont refusé une opération comme la dernière fois de tirs de 100 ou 200 missiles sur Israël, en disant que ce n’est pas le bon moment. Ce qui ramène à ce que je viens de vous dire précédemment. Donc le Hezbollah est un petit peu le dindon de la farce. Il a cru qu’il pouvait faire monter les enchères avec l’appui de l’Iran, et quand en face les Israéliens font monter les enchères, il se retrouve un peu coincé à ne pas avoir beaucoup de cartes à abattre qui puissent être dissuasives.
Jacques Cohen, en attendant d’utiliser l’arme atomique qui, comme vous l’avez précisé, serait sanctuarisée, quels moyens emploient les uns et les autres dans cette guerre ?
Alors l’arme atomique, personne ne l’emploiera. Je suis d’un très grand optimiste là-dessus de part et d’autre. Je vous ai déjà dit que l’arme atomique pour l’instant les Iraniens ne l’ont pas encore, mais quand ils l’auront, cela sera pareil, c’est le commencement de la sagesse, parce que n’importe qui peut comprendre que s’il balance une bombe atomique chez le voisin, il va en prendre autant sur la figure. Donc c’est une arme de dissuasion suprême mais pas une arme de dissuasion contre toutes sortes de guerres. Alors pour l’instant, les Israéliens mènent une campagne aérienne avec des bombes de grande précision et surtout un renseignement de grande précision. Ce qui fait qu’ils ont démoli un grand nombre de cadres du Hezbollah, ils ont localisé quasiment toutes les locations, parce que le Hezbollah pour planquer ses missiles loue les garages à la population civile, et je pense que les Israéliens ont dû enregistrer tout cet aspect-là, et systématiquement ils démolissent les maisons dont les garages comportent quelques missiles. Ce qu’on voit d’ailleurs sur les photos aériennes parce que les Israéliens se font un plaisir de montrer l’échelle des explosions qui ne correspondent pas à ce qu’ils ont balancé mais à tout ce qui était stocké sur place. Donc cela, ça peut fonctionner un certain temps, mais là aussi il y a un stock gigantesque. Le Hezbollah aurait non pas quelques dizaines de milliers, mais plus de 100.000 projectiles en tout genre. Donc les Israéliens vont continué à démolir cela dans le sud du Liban, mais également dans le quartier sud de Beyrouth. Et là, il va y avoir l’effet habituel, c’est-à-dire que cela va tuer des civils. Mais au Liban, si j’ose dire, il y a longtemps que l’habitude est prise que les attentats tuent des civils. Donc cela ne fera pas le même effet, si j’ose dire, qu’à Gaza.
Mais globalement, je pense que les Israéliens ont intérêt à faire monter les enchères. Ils ont besoin d’une intervention au sol, en plus de l’intervention aérienne, au moins pour nettoyer tout le territoire libanais jusqu’au Litani. Les Américains laisseront-ils faire ou pourront-ils s’y opposer en période de préélectorale ? Je n’en suis pas sûr. Je crois que les Israéliens ont considéré que c’était le bon moment et qu’ils vont essayer de le faire, que cela plaise ou pas. Et en face, le Hezbollah a des cartes qui se réduisent puisque les Iraniens leur disent que ce n’est pas le bon jour, et ils font une escalade qui est relativement modérée au point de vue des cibles, au point de vue des types de missiles, mais où les Israéliens vont faire la sourde oreille pour faire une offensive beaucoup plus importante. Alors ce qui ne trompe pas, c’est que les Israéliens ont commencé à liquider tout ceux qu’ils pouvaient liquider parmi l’encadrement du Hezbollah, ce qui est déjà en soi-même une sérieuse escalade.
Et ça sera le mot de la fin pour cette chronique d’actualité. Merci Professeur Jacques Cohen d’avoir été avec nous. On imagine que vous prolongerez vos idées et votre développement à l’intérieur de votre blog, jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.
A très bientôt.