Jacques HM Cohen 18 10 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité cette semaine, comme toutes les semaines d’ailleurs le vendredi, avec le Professeur Jacques Cohen. Jacques, Bonjour.
Bonjour.
Merci Professeur d’être avec nous. Et cette semaine, on a entendu parler dans beaucoup de médias, on en a nous-même parlé sur les ondes de RCF en milieu de semaine, de narcotrafic. Vous aussi, Professeur, vous avez envie de décrypter cette actualité ? C’est vrai que le narcotrafic c’est un sujet récurrent dans l’Hexagone, notamment en France et dans le sud de la France, du côté de Marseille par exemple.
Pas seulement du côté de Marseille. C’est une image populaire que d’affecter à Marseille tous les trafics et tous les vices de société française, mais c’est très exagéré, et c’est quelqu’un qui a été au lycée à Marseille qui vous le dit.
La suite Professeur, pour revenir à des choses plus sérieuses.
Le narcotrafic, cela représente une contre-société dont les règlements de compte se terminent comme vous avez vu par des balles. Et l’inconvénient des tirs, c’est que cela peut même toucher des innocents qui traînaient par là. La base sociale, ce sont des zones de non-droit parce que sinon il serait beaucoup plus facile de réprimer cette affaire. Et donc on a là-dessus plusieurs attitudes en France ou à l’étranger.

Les joints de cannabis ont à peu prés la même teneur en goudron que cette cigarette probable record mondial la « Boyard Maïs », retirée du commerce comme trop toxique depuis longtemps bien longtemps…ici le papier est déjà blanc mais la cellophane jaune essaye de donner le change aux clients amateurs de papier maïs jaune.
La première qui paraît naïve est de dire, finalement ces drogues sont de mauvaise qualité, on aurait des drogues d’État, du cannabis d’État et vendu intentionnellement bon marché, le trafic s’effondrerait, ces mafias n’auront plus d’argent, c’est un désastre pour elles, on règle la question en supprimant la prohibition. Cet argument est souvent donné en même temps que de rappeler que la prohibition de l’alcool aux États-Unis a été longtemps le support principal de la mafia aux États-Unis et au Canada, puisque les importations passaient par le Canada, y compris celles du champagne d’ailleurs. Le problème avec cette attitude disant qu’il suffit de libéraliser, c’est qu’il faut regarder quelle libéralisation ? En effet, par exemple au Maroc il y a eu une Régie Nationale du kif, qui interdisait toute diffusion clandestine d’un autre kif, cela se passait du temps du protectorat. Et donc la dépénalisation et la légalisation passaient à ce moment-là par une régie nationale qui prélevait des taxes, et ainsi de suite. Ce qui est souvent réalisé ailleurs, c’est de libéraliser, et on voit à ce moment-là les acteurs de la filière clandestine revenir bien sûr au grand jour, avoir moins de frais parce que les surveillants des rues et cetera, les chouffeurs en terme du milieu, ne sont plus nécessaires, mais j’ai du mal à croire que si leur trafic ou leur activité continue basée dans des quartiers où les lois de la République ne s’appliquent que vraiment très rarement et par intermittence, j’ai du mal à croire qu’ils vont payer la TVA, vous voyez, c’est déjà le problème. Donc dans beaucoup de pays, la libéralisation n’a pas été l’encadrement du cannabis dans des circuits de qualité garantie et d’économie blanche, mais tout simplement le fait d’ouvrir les vannes en laissant les importations clandestines, simplement les tarifs s’ajustent un peu plus bas parce qu’il y a moins de frais généraux. Bon, vous allez me dire que du point de vue libertarian aux Etats-Unis, chacun est libre de ce qu’il veut faire, l’état n’a pas à dicter un individu sa conduite, s’il veut se faire du mal il se fait du mal. C’est d’ailleurs un raisonnement qui est développé ce n’est pas par hasard par l’un des deux chimistes, le petit, dans le feuilleton américain que vous connaissez sans doute Breaking Bad où le centre de l’activité c’est de fabriquer de la méthamphétamine. Donc ce raisonnement là il a un inconvénient, c’est que d’abord la société est censée protéger aussi ses citoyens, y compris un petit peu contre eux-mêmes, le petit peu étant une question justement à géométrie variable.
Et puis surtout, on est confronté à la réalité, c’est-à-dire que le cannabis à l’ancienne, et bien il y en a plus beaucoup. Tout simplement parce qu’il a non seulement des extractions des résines, des huiles, tout ce que vous voulez, mais surtout les taux de toxique dans la plante ont complètement changé grâce au génie génétique. Il y a des plans de cannabis qui produisent à peu près 10 fois ce qu’on obtenait autrefois, et donc le cannabis à forte dose a des effets bien différents du cannabis à faible dose. Et selon tel composant ou l’autre, je ne rentrerai pas dans les détails aujourd’hui.
Alors vous allez me dire aussi ou certains disent, oui bah de toute façon cela va à peu près se tasser. Mais il est difficile d’admettre qu’on fasse la chasse aux cigarettes parce qu’elles donnent des cancers du poumon et qu’on dise aux gens qu’ils peuvent en fumer autant sous forme de cannabis, lequel est d’ailleurs tellement gras comme tabac que cela correspond aux « Boyards Maïs » d’autrefois, vous n’avez pas connu vous les « Boyards Maïs », qui donnaient des cancers du poumon ou de la gorge dans un délai tout à fait raisonnable.
Donc, on a déjà pour le cannabis d’autres produits ou du super cannabis plus toxique, et puis ce trafic sert de porte ouverte pour les autres. Parce qu’au bout d’un certain temps, on trouve ça fade. C’est sûr que par rapport au vin rouge ou au champagne, le whisky ou le rhum ou la vodka, c’est déjà quelque chose de plus costaud. On a la même chose en matière de drogue. Est-ce qu’on va légaliser toutes les drogues ? Les gens qui se vont s’injecter par exemple du Crocodile ou d’autres substances qui permettent d’avoir des excursions extrêmement rapides mais qui en même temps donnent des épouvantables maladies de peau, d’où le nom Crocodile, parce que ce sont des pustules et des croûtes épouvantables. Eux, on ne va pas les laisser faire, ou bien faut-il laisser faire ? C’est une question. Les libertariens répondent que « ben y’a qu’à laisser faire et puis comme ils n’ont pas les moyens de se soigner, ben ils vont crever, mais c’est tant pis pour eux ».
C’est un point de vue, on peut en avoir un autre et notre civilisation française humaniste a un point de vue un petit peu différent. Donc libéraliser ce n’est pas si évident que cela et ce n’est pas univoque. Libéraliser avec une régie, je pense que nous sommes politiquement au point de vue rapport de force totalement incapables de le faire en France, d’autant qu’il y a des quartiers complètement séparatistes. Libéraliser en fermant les yeux, c’est ce qui est tout à fait prévisible un jour ou l’autre, ce qui se passe d’un certain nombre de pays d’Europe, à commencer par les Pays-Bas. Et puis derrière, quand on aura libéralisé le cannabis, on aura des braves gens pour venir expliquer que pourquoi pas un petit trip au LSD ? Pourquoi pas un petit peu de méthamphétamine ou d’autres analogues de temps en temps ? Cela ne fait pas tant de mal que ça. Ce qui n’est pas vrai, car toutes ces drogues sont responsables d’une partie de la mortalité routière, sont responsables de la dérive sociale d’individus qui ne peuvent plus travailler, sont responsables également de la pathologie psychiatrique sur des sujets plus ou moins fragiles ou sur des sujets parfaitement normaux à condition d’y mettre la dose. Et donc c’est une perversion au sens que c’est une perversion d’un mécanisme physiologique dans l’espèce humaine qui a besoin de circuits de récompense. Et en fait la seule chose qui puisse lutter contre ça, c’est que les gens trouvent des récompenses dans la vie ordinaire, que ces récompenses soient dans le travail, soient dans l’amour, soient dans d’autres choses. Mais les drogues sont fondamentalement une façon de stimuler artificiellement le circuit de récompense quand on n’a pas de récompense sous la main.
Pendant longtemps, la consommation de drogue était limitée par la religion comme son substitut promettant le bonheur pour plus tard, « l’opium du peuple » disait K Marx !! On en consomme beaucoup moins de nos jours en France. Seul le bonheur sur terre, un bien vaste programme, serait à même d’éradiquer le trafic de drogues en rendant inutile de stimuler artificiellement les circuits cérébraux de récompense. Depuis le paradis terrestre, cela ne s’est jamais vu ! Et même là-bas, l’attrait de l’interdit et le goût du risque, autre circuit comportemental basique, n’avait pas été éradiqués, sinon Eve n’aurait pas croqué la pomme !
Voilà ce que je voulais vous dire.
Jacques Cohen, vous développerez davantage votre propos évidemment sur votre blog jhmcohen.com. J’ai quand même une question pour vous supplémentaire, parce que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, déclarait lors des questions au gouvernement, mercredi, cette semaine, au bout d’un joint, d’un rail de coke, il y a des criminels. C’est vrai qu’il y a cette idée d’associer souvent les narcotrafiquants à des réseaux criminels, et Bruno Retailleau est même allé plus loin en disant et en corroborant finalement ce qu’avait avancé Christian Estrosi, le maire de Nice, il y a quelques semaines, en disant pourquoi pas faire du narcotrafic une grande cause nationale. Quel est votre regard sur cette actualité à chaud, Professeur Jacques Cohen ?
Déjà les grandes causes nationales, je ne sais pas ce que c’est. Donc c’est une proclamation, ce n’est pas une action. De l’autre côté, c’est exact, il y a des trafiquants et donc du crime organisé grâce à l’argent de la drogue, mais la mesure simple qui serait d’interner tous les clients, ce qui éteindrait le trafic, personne n’ose même le dire, parce que cela paraît totalement irréaliste. Donc effectivement, en amont du rail de coke il y a des trafiquants, et en aval il y en a aussi. Parce que les gens qui deviennent dépendants à leur drogue ont besoin d’argent, et quand ils ont besoin d’argent ils sont prêts à faire n’importe quoi, et ils sont un gibier pour devenir homme de main de telle ou telle mafia.
Et bien un grand merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur cette actualité. Encore une fois, on renvoie les auditeurs de RCF également vers votre blog, jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.
À bientôt.