Liban, la philosophie géopolitique de Monsieur Hochstein, l’émissaire des USA au Liban

Jacques HM Cohen 27 11 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Professeur Bonjour.

Bonjour.

Merci d’être en ligne avec nous et aujourd’hui on va parler du cessez-le-feu au Liban et essayer de regarder ce que contient concrètement cet accord de trêve. Professeur Jacques Cohen, pouvez-vous nous éclairer ? Comme j’ai l’habitude de le dire, faites-nous une photographie de cette situation.

Alors l’accord comporte le renouvellement de la solution post-2006 ONU 1701 consistant à ce que les gens du Hezbollah ne s’installent pas au sud du fleuve Litani, c’est à dire au sud du Liban, que les Israéliens évacuent cette zone dans laquelle ils sont rentrés. Avec quelques détails de savoir si le Hezbollah triche les Israéliens, garderont ils la possibilité d’intervenir militairement au coup par coup. Et d’autre part la garantie de cet accord, c’est la FINUL, la force d’interposition des Nations Unies, en augmentant éventuellement le contingent français d’une part et de l’armée libanaise d’autre part. Et donc il faut voir que l’accord est en fait un parapluie politique parce que son parapluie physique ou militaire est totalement symbolique.

gaz liban

Plateforme de forage gazier en construction au large du Liban. Un accord israelo-libanais qui semble solide.

La FINUL a été incapable d’empêcher le Hezbollah de s’installer et de fortifier la zone pendant 20 ans, et l’armée libanaise est quelque chose de symbolique qui est bien incapable d’une intervention quelconque. Donc en fait, ce sont les commanditaires, les protecteurs, que ce soit les Américains et les Français d’un côté, mais surtout les pays du Golfe d’autre part qui garantissent cet accord.

Alors du point de vue des Israéliens, on peut être un peu surpris d’un accord qui finalement ramène à ce qui se passait avant l’attaque du Hamas le 7 octobre, et que le Hezbollah enchaîne et appuie cette attaque par une politique de bombardement systématique du nord d’Israël pendant un an. C’est assez spectaculaire de voir qu’on en est en quelque sorte, en remettant le compteur, là où on était avant le dérapage.

Alors pour comprendre cette situation, il faut s’intéresser au négociateur américain qui est Monsieur Hochstein. Ce négociateur est proche des démocrates et donc il n’est pas sûr que Trump le garde, c’est quand même un point qui conditionne beaucoup le résultat de l’accord, parce qu’en plus nous sommes dans un endroit, dans une région, où les contacts personnels comptent beaucoup. Et ceux de Monsieur Hochstein sont assez étonnants parce qu’il s’agit au départ d’un Israélien ayant finalement aussi un passeport américain, qui a fait son service et même la guerre. Donc à priori quand il a commencé à s’intéresser à essayer de négocier des choses au Liban, on ne peut pas dire que les différentes factions libanaises, y compris les islamistes intégristes du Hezbollah l’accueillaient à bras ouverts. Or, il a fini par les convaincre. Mais pas cette fois-ci. Il les a convaincus auparavant en 2022 sur la grande négociation du partage du gaz offshore entre le Liban et Israël. Bien évidemment, compte-tenu du poids dominant du Hezbollah, cela veut dire que le Hezbollah avait donné son accord. Et le raisonnement de Monsieur Hochstein était finalement une guerre froide, une coexistence pacifique, et un soft power qui permettrait d’user les islamistes en gros en leur donnant des moyens financiers de développement économique.

Alors, est-ce que cette politique qui semblait avoir fonctionné, parce qu’on en est même à voir des plateformes de forage, le gaz libanais c’est pour bientôt. Et le Liban qui est un pays en faillite, à condition qu’il cesse d’être allègrement pillé, va pouvoir devenir un pays riche grâce à ce gaz. Et le Hezbollah aurait été en situation d’en tirer les principaux bénéfices s’il n’avait pas déclenché cette guerre. Et là, finalement on lui propose en gros d’en revenir à la situation précédente, ce qui montre la philosophie de Monsieur Hochstein. En effet, on pouvait penser que les Israéliens avaient un autre but dans cette guerre du Liban. L’autre but c’eût été de revenir avant 2006, c’est-à-dire de revenir avant la prise de pouvoir du Hezbollah par la force sur le Liban, et donc l’influence syrienne et surtout une influence iranienne qui en a été la cause. Donc le raisonnement pouvait être de détruire suffisamment le Hezbollah pour qu’il n’ait plus les moyens d’imposer sa loi au Liban, et à ce moment-là il existe des autres factions qui se seraient fait un plaisir ou un devoir, je ne sais pas, de terminer le travail en se souvenant de tout ce qu’ils ont subi pendant 20 ans. Cette politique-là consistait à revenir à un Liban d’avant, et donc à une vraie paix.

Là, la politique de Monsieur Hochstein, elle revient à revenir à un Liban non pas d’avant, mais à un Liban où le Hezbollah reste une force principale. Cela peut paraître étonnant mais il faut voir qu’il y a là-dessus conjonction de deux intérêts. D’abord, il y a un certain nombre de forces en Israël qui ne veulent pas de la paix, qui ne veulent pas de vraie paix. Finalement, la situation d’être entouré d’ennemis que l’on tient en respect, de la guerre perpétuelle, est une situation qui arrange certains courants politiques. Parce que cela permet de continuer à grignoter du territoire à chaque fois, cela permet aussi d’avoir des tas de soutiens comme pays assiégé, etc.

Tandis que dans l’autre sens, la politique de Monsieur Hochstein, elle est en quelque sorte que, comme disait Audiard quand on cause pognon à partir d’une certaine somme tout le monde écoute. Et que donc le Hezbollah paraissait avoir mordu à l’hameçon, avoir accepté le deal de considérer que de devenir riche ce n’était pas si mal et qu’il pouvait continuer la rhétorique guerrière, mais ne pas la mettre en pratique. Sauf qu’à partir du moment où le Hamas a lui aussi choisi, et d’abord a choisi la guerre, le Hezbollah s’est cru obligé d’en faire autant, peut-être aussi parce qu’il était sérieusement contraint par l’Iran à le faire. Mais on ne saura jamais puisque toute la direction du Hezbollah qui a joué plus ou moins double jeu a fini par être liquidée par les Israéliens. On ne saura jamais ce qu’ils avaient derrière la tête. Donc Monsieur Hochstein, finalement revient à ce qui a été fait vis-à-vis de l’Allemagne de l’Est par l’Allemagne de l’Ouest, c’est à dire le soft power et une compétition économique pendant la guerre froide, pensant que l’islamisme radical doit être soluble dans le développement économique et dans le bien-être. C’était en fait le raisonnement de B Netanyaou pour Gaza où il avait largement favorisé et aidé le Hamas.

Alors les pessimistes disent que ce n’est pas vrai, que le Hamas a montré que ce n’était pas vrai Et que lorsque le développement de Gaza a mis en péril son système clientéliste mafieux, il a préféré déclencher la guerre pour maintenir la pénurie et en assurer la répartition. Les optimistes disent que le Hezbollah a déclenché la guerre parce qu’il était coincé et que c’est le Hamas qui avait commencé et les Iraniens qui lui serraient le kiki pour qu’il en fasse autant, mais que finalement il se serait bien accommodé parce qu’il avait déjà bien commencé en termes de coexistence pacifique et de développement économique prévisible du Liban.

Alors sur la philosophie géopolitique de Monsieur Hochstein, cela a quand même aussi une conséquence. Tout cela montre que son raisonnement est que non seulement bien sûr on ne peut pas éliminer les Palestiniens, mais surtout on ne peut pas éliminer l’islamisme radical de façon militaire et que l’islamisme radical est une composante durable du paysage politique du Moyen-Orient. Et que donc il faut se préparer à une guerre froide dans la durée, avec la durée qu’elle a eu et les moyens qui ont permis l’usure de l’Union Soviétique à l’époque, et là les moyens qui permettront l’usure de l’Iran qui est le principal axe structurant de cet islamisme radical pour ce qui est des chiites.

Il y a l’autre axe qui lui en fait est maintenant finalement repris chez les sunnites par les Frères Musulmans et Erdogan en Turquie, ce qui montre que la situation reste compliquée. Et finalement Monsieur Hochstein est un optimiste et qui jusqu’à présent a eu raison dans son optimisme. On va voir si cette fois-ci, il aura à nouveau raison ou si du point de vue de certains Israéliens on est dans la situation classique qui est de tondre le gazon en tuant pas mal de monde et en détruisant le potentiel militaire pour avoir la paix pour un certain temps, non pas la vraie paix, mais pour que le Hezbollah soit incapable d’opérations offensives sérieuses pendant un certain temps. Et quand il aura repris du poil de la bête, il recommencera deux-trois tentatives militaires et à nouveau les Israéliens reprendront la tondeuse et ainsi de suite, donc dans le raisonnement de la guerre perpétuelle. On ne sait donc pas si le futur est fait des espoirs de Monsieur Hochstein, comme il pouvait penser y être arrivé fin 2022 avec le partage du gaz entre Israël et le Liban, ou si on est dans la continuation de la philosophie de la guerre perpétuelle avec des accalmies et de nouvelles poussées périodiques.

Merci Professeur Jacques Cohen pour cet exposé. Plus d’informations lorsqu’il sera à jour sur votre blog jhmcohen.com. Tout au long de cette chronique, on a entendu derrière vous des bruits de voiture. Vous pouvez rassurer nos auditeurs, vous avez respecté les règles de sécurité, vous étiez à l’arrêt, garé au bord d’une route, Professeur Jacques Cohen.

Absolument et non pas seulement au bord, mais je suis garé sur un emplacement parfaitement autorisé, et vous entendez passer les voitures sur la chaussée elle-même.

On vous laisse reprendre la route et bravo pour avoir respecté les consignes de sécurité. A la semaine prochaine Professeur.

A la semaine prochaine, merci.

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