Syrie, la guerre de religion entre islamistes, sunnites contre chiites.

Jacques HM Cohen 4 12 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen en ligne avec nous, Professeur, Bonjour.

Bonjour.

Merci d’être avec nous. Et aujourd’hui, vous voulez nous parler de ce qu’il se passe en Syrie ? L’occasion de commencer, comme il est de coutume j’allais dire lorsque l’on parle de conflits internationaux, de faire une photographie de la situation en Syrie, Professeur.

On peut déjà dire qu’il y a une offensive inattendue d’un groupe qui a été développé à partir des rescapés d’Al-Qaïda en Syrie, qui a tenu une zone dans la région d’Idleb où ils n’ont pas été exterminés par Bachar El-Assad, du fait de la protection de la Turquie, et cela représente à peu près une population de 4.000.000 d’habitants, et au bout d’un certain temps, et bien surprise, ils ont été réarmés et ils attaquent. L’autre élément de surprise, c’est que l’armée régulière n’est pas préparée à les contrer, et même que le principal dirigeant iranien en Syrie, un militaire, a été tué dans cette offensive foudroyante qui a pris Alep en 2 jours alors qu’il avait fallu des mois et des mois dans l’autre sens il y a quelques années.

HTS alep

Hélicoptère de fabrication russe capturé intact par les djihadistes du HTS sur un aérodrome proche d’Alep

Actuellement, les troupes rebelles continuent à descendre d’une part vers l’Euphrate et vers des choses plus importantes comme villes, qui sont Hama et ensuite Homs qui est plus au sud . Le régime avait annoncé qu’il établissait ses lignes de défense sur Hama et finalement les collines qui dominent la ville sont tombées, ce qui rend la situation assez précaire pour eux, avec un point important c’est que cette ville est un lieu de passage vers le Liban pour le Hezbollah.

Ce qui permet de rappeler qu’on est dans un paysage très inattendu. On a une offensive avec des islamistes sunnites qui au départ sont des plus rigoristes, compte-tenu de j’allais dire leur filiation avec ceux qu’il a fallu massacrer comme système militaro-religieux par une intervention étrangère, et qui là se présentent soi-disant comme devenus beaucoup plus civilisés, et cetera, ce en quoi on ne peut les croire qu’à moins du quart de la moitié.

Cette troupe combative, elle combat Bachar El-Assad, le régime syrien, mais surtout elle combat le Hezbollah, c’est-à-dire la force militaire chiite, lourdement appuyée bien sûr par les Iraniens, car leur grand enjeu c’est qu’ils essaient d’avoir un croissant qui atteignent la mer au Liban avec un mouvement religieux qui s’étend de l’Iran à la mer, à la Méditerranée, sur une base chiite. C’est à dire qu’à partir de l’énorme connerie américaine d’avoir détruit le régime irakien de Saddam Hussein, et bien l’influence iranienne via les chiites a explosé en Irak, puis via la guerre civile en Syrie, puis via le Hezbollah au Liban. Donc on a une offensive alors qui est contre cela, ce sont les autres les islamistes sunnites. Et donc on est un peu dans une guerre de religion, si je puis le dire sur cette antenne, et les guerres de religion, ce sont des guerres civiles, c’est tout à fait sanglant.

Alors là ensuite, il y a un grand nombre de gens dans la région qui ont des intérêts extrêmement compliqués et divergents. Prenons déjà les Israéliens, pour eux ils savent très bien que ces gens-là ne seront jamais des amis, il serait même difficile d’envisager de les amadouer puisqu’ils ont essayé avec le Hamas, qui finalement est leur cousin, c’est-à-dire un mouvement islamiste sunnite, et que finalement ils n’ont pas pu s’empêcher de recommencer une politique agressive et non pas d’avoir une politique assagie de développement économique, non seulement de coexistence, mais de coopération. Alors actuellement le HTS, puisque c’est le nom de ce mouvement, prétend que non non les Israéliens ne posent aucun problème, mais ils ont eu la bêtise de ne pas s’y préparer à temps et d’avoir fait des communiqués soutenant les massacres du 7 octobre par le Hamas et des choses comme cela. Donc les Israéliens ne croient absolument pas avoir affaire à des enfants de chœur, si je puis le dire aussi sur cette antenne, mais ils ont un intérêt à ce que ces gens-là gênent le Hezbollah et le régime syrien, en particulier s’ils peuvent prendre Hama, voire Homs, ce qui à ce moment-là gênerait considérablement le ravitaillement du Hezbollah au Liban par l’Iran. Et donc on serait dans une situation où on peut envisager le désarmement du Hezbollah au Liban si ces rebelles contrôlent Hama.

Alors évidemment, c’est jouer avec le feu, puisque comme je vous ai dit ces gens-là ne sont en fait pas plus sympathiques que les autres. Du côté de la Turquie, c’est plus compliqué parce que ces gens-là sont utiles à la Turquie, non pas tellement contre Bachar avec qui la Turquie arriverait éventuellement à s’entendre, mais sur le problème des Kurdes. Le problème de la Turquie, c’est qu’ils ne veulent pas de Kurdistan bien sûr, qu’il y a beaucoup de Kurdes chez elle, qu’il y en a en plus qui tiennent des zones avec un espèce de protectorat aérien américain en Syrie, et que donc si une pression avec ces troupes et quelques autres petites factions que la Turquie contrôle ou soutien, il y avait moyen de réduire les Kurdes et en particulier de les éjecter de toute la rive ouest de l’Euphrate, et bien cela serait pas mal. Mais d’un autre côté ils ne peuvent pas non plus se permettre d’avoir une puissance trop grande de ce mouvement qui déstabiliserait la Syrie, qui déstabiliserait le Liban et qui au bout du compte serait déstabilisateur pour eux aussi. Donc là aussi des gens qui jouent avec le feu.

Du côté des Russes, il y a un problème pratique déjà, ils sont pour soutenir le régime de Bachar mais ils ne peuvent pas engager des forces considérables alors qu’ils ont besoin, si j’ose dire, de tout ce dont ils disposent en Ukraine. Et puis même sur le fond, ils ne doivent pas apprécier du tout que les troupes de Bachar se débandent sur le terrain, soient complètement bousculées alors qu’elles ont été correctement équipées, mais que c’est, j’allais dire, le moral qui manque le plus, c’est une troupe qui n’est pas extrêmement combative. Alors les Russes aident en bombardements, mais c’est tout et ils ne vont manifestement pas mettre de troupes au sol, même les sociétés privées genre Wagner ils en ont plus besoin en Afrique que là. Mais là aussi ils n’ont pas besoin que le système s’effondre complètement. Il faut qu’ils puissent garder Bachar sinon cela serait quand même pour eux tout à fait ennuyeux. Donc là aussi leur position serait de faire en sorte de s’entendre avec Erdogan pour que l’avance des islamistes sunnites soit limitée, éventuellement à prendre le Homs mais n’aille pas jusqu’à Damas.

D’un autre côté, les islamistes en question doivent considérer qu’on peut toujours laisser causer les gens, mais avec une politique de faits accomplis, si on arrivait à terminer de pulvériser le régime, cela serait pas mal pour eux. À ce moment-là, les Américains se retrouveraient dans une situation qui est de devoir plus ou moins vite recommencer l’intervention qui avait eu lieu quelques années auparavant avec une guerre considérable et beaucoup de pertes civiles pour anéantir Daesh. Alors pour l’instant ces islamistes sunnites ont la grande précaution de dire que le Djihad, c’est à dire la croisade et l’expansionniste, ce n’est pas pour tout de suite, que pour l’instant eux ce qui les intéresse c’est la Syrie et rien d’autre, et cetera. Mais tout le monde sait que ces gens-là ne sont pas des gens à qui on peut faire confiance en quoi que ce soit. Donc vous voyez qu’il y a beaucoup d’intervenants et que la situation est assez complexe.

Effectivement, Professeur Jacques Cohen, on a constaté cela parmi l’exposé que vous nous avez proposé. Vous avez évoqué beaucoup de pays, beaucoup de personnes. Il y a un personnage central, c’est Bachar El-Assad. Juste d’un mot, Professeur, concrètement qu’est-ce qu’il représente ce personnage dans cette affaire ?

Et bien Bachar El-Assad n’est pas un gouvernement confessionnel, ou plutôt c’est une toute petite minorité, les Alaouites, qui sont une variante des Chiites, et qui donc n’a pas ambition à établir son régime sur cette base religieuse. C’est en quelque sorte un régime laïc, alors un régime autoritaire, sanglant, quoi qu’il ne soit pas le seul élément sanglant dans ce paysage dramatique, mais c’est un régime qui n’est pas basé sur la volonté d’une fraction religieuse d’être hégémonique et d’exterminer ou de chasser les autres. Mais cela ne suffit pas à le rendre forcément tout à fait sympathique. Néanmoins, là aussi il va finir par y avoir des gens qui vont considérer que compte-tenu de la situation du pays avec un grand nombre de fractions à base religieuse, ce système-là n’est pas forcément le plus mauvais de l’ensemble et pourrait être le maintien d’une situation de statu quo et de partage. Alors évidemment, si le régime Bachar El-Assad s’effondre complètement, et bien là on aura, si j’ose dire, un affrontement entre les divers courants sans tampons avec un démantèlement et une guerre civile perpétuelle, comme les guerres de religion que nous avons connues chez nous.

Et bien merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur cette affaire qui évidemment, mériterait d’être développée plus longuement. Et pour cela on donne rendez-vous sur votre blog jhmcohen.com d’ici quelques jours. À très bientôt Professeur.

Seule petite chose à indiquer pour les lecteurs ou les auditeurs qui regardent les sites et publications, pour les islamistes des différentes factions, un des rares points où ils sont d’accord, c’est le nom du pays, c’est Al-Sham. Et actuellement, dans les termes du nouveau mouvement, on a toujours cette notion de ce que la Syrie représente, un territoire mythique du point de vue de l’expansionnisme islamique dont chacun se réclame, mais si possible le sien et pas celui du voisin. Vous voyez qu’on se rapproche énormément des guerres de religion.

Le fait du jour c’est que l’arc chiite de l’Iran jusqu’à la mer est brisé. Au prix d’une instabilité potentielle accrue au Liban, en Syrie, et probablement en Irak et en Iran.

Un incident exemple des prémisses de cette instabilité politico-militaire est que la Finul ( ONU ) contrôlait un tout petit territoire syrien stratégique et que l’un des factions ( Hezbollah ou HTR ) on ne sait, à essayé le 7 12 de virer la FINUL par la force en attaquant leur position. La Finul n’a pas déguerpi et à riposté…..avec l’aide des israéliens !

Et cette fois cela sera le mot de la fin, Professeur Jacques Cohen, à très bientôt.

À très bientôt.

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