Jacques HM COHEN
17 1 2025
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Professeur Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous pour une chronique d’actualité consacrée aujourd’hui au Premier ministre français, François Bayrou. La proportionnelle, marotte de Bayrou, mais quelle proportionnelle ? C’est le titre de votre chronique aujourd’hui. François Bayrou a proposé lors de son discours de politique générale mardi dernier, d’avancer sur la réforme du mode de scrutin législatif notamment. Jacques Cohen, si l’on fait une photographie de cette marotte dont vous parlez de François Bayrou, de quoi s’agit-il lorsque l’on parle de proportionnelle ?
Et bien comme tout groupe minoritaire pris souvent entre deux blocs et aujourd’hui trois, François Bayrou voudrait progresser en proportion et prendre du poids. Et donc une solution relativement simple pour cela, sans changer le nombre de votants pour lui, c’est de passer à une représentation proportionnelle. Alors la proportionnelle en fait c’est quelque chose qui de premier abord paraît évident et simple, et dont on s’aperçoit ensuite que c’est une très mauvaise idée. Je vais vous expliquer pourquoi.
La proportionnelle c’est que selon le nombre de voix et bien on a le nombre de sièges. Ce qui paraît très honnête en apparence. Mais malheureusement la proportionnelle cela a plusieurs inconvénients. D’une part de surévaluer les minorités qui deviennent des minorités de blocage, et pour cela on a un Parlement exemple c’est le Parlement israélien qui est une catastrophe en proportionnelle intégrale et qui permet à des groupes minoritaires et charnières de se vendre au plus cher au plus offrant.

Système de la République Fédérale d’Allemagne. Double vote plus double correction et seuils: Le système électoral du scrutin proportionnel personnalisé, combinant l’élection personnelle au niveau de la circonscription (première voix), selon le principe du scrutin majoritaire, avec le scrutin à la proportionnelle sur les listes de Land des partis (deuxième voix). Un amendement a en revanche introduit un nouveau mode de conversion des voix en mandats de députés, qui se fait en deux niveaux de répartition comportant chacun deux étapes de calcul. Les quatre calculs sont effectués selon la méthode de Sainte-Laguë/Schepers, déjà utilisée pour les élections au Bundestag de 2009. Seuls les partis ayant recueilli au moins 5 % des deuxièmes voix exprimées ou obtenu un mandat direct dans au moins trois circonscriptions électorales participent à la répartition des sièges » Vous suivez ? !!! Accessoirement, ces règles ne s’appliquent pas aux élections locales…..
Et d’autre part, il y a pas mal de types de proportionnelle, et cela je ne suis pas absolument certain que François Bayrou ait déjà choisi celle qu’il voudrait. Il y a la proportionnelle dite intégrale qui concerne l’ensemble des voix, et puis il y a des systèmes bâtards où la proportionnelle concerne les restes à partir d’un certain niveau, mais on a encore bien bien d’autres variantes.
Alors la proportionnelle qu’on connaît et qui vient à l’esprit aux gens, c’est la proportionnelle sous forme de scrutin de liste avec proportion donnée selon les voix que la liste qui a récupérées. Mais c’est plus compliqué que cela, parce qu’un gros point c’est de savoir si c’est un scrutin de liste avec rature ou pas, et avec panachage ou pas. Je m’explique, contrairement aux souvenirs lointains ou aux études des uns et des autres, la proportionnelle et les scrutins de liste sans rature sont récents en France. cela s’est passé je crois en 1965 ou autour de cette date-là. Mais les listes auparavant pouvaient être avec ratures, panachée ou pas. Alors rature, cela veut dire que si on raye des noms sur la liste, et bien ceux-là dégringolent dans le classement parce que le classement que les partis ont établis du premier au dernier sur la liste ne tient plus. Cette technique des ratures elle comporte ou pas une 2ème possibilité, c’est qu’on peut choisir que les ratures s’effectuent sur chaque liste et que les gens sur les listes sont élus au prorata, mais on peut aussi choisir les listes avec ratures et panachages. C’est à dire que c’est l’électeur qui indique la proportion des gens qu’il veut sur telle liste et sur telle autre. Vous voyez que cela commence à devenir rapidement compliqué.
D’autre part, si on prend un peu de recul aussi, l’énorme inconvénient des listes à la proportionnelle sans rature, c’est le pouvoir donné aux partis, parce que dans le système français les gens aiment bien que leurs élus se soient décarcassés sur le terrain. Et dans le système proportionnel et bien ce sont les partis qui déterminent les listes et les électeurs n’ont plus tellement leur mot à dire.
Je vous rappelle que par ce système là, Jean Taittinger a été élu de justesse à Reims en étant le dernier élu de sa liste grâce à quelques ratures. Donc un inconvénient aussi d’une non-implication de terrain et de la surévaluation du rôle des partis.
Je vous rappelle aussi que la dernière proportionnelle en France c’est Mitterrand qui pour donner un coup de pouce au Front national, à Le Pen, pour pourrir la vie de la droite, avait créé une chambre à la proportionnelle, qui avait pu donner 35 députés au FN, qui n’en a pas beaucoup profité parce qu’ils étaient manifestement incapables de se structurer à l’époque pour durer quand on est revenu à un système de vote majoritaire et territorial. Donc vous voyez déjà pas mal de difficultés à la proportionnelle.
Et qui plus est, il y en a encore une autre, c’est qu’alors que beaucoup de choses ne peuvent changer que de façon constitutionnelle, c’est à dire par un vote du congrès réuni à Versailles, par les deux chambres aux deux tiers, etc, et bien curieusement l’organisation du mode de scrutin ou des modes de scrutin et bien elle est réglementaire. C’est à dire qu’en gros l’exécutif peut faire à peu près ce qu’il veut avec très peu de préavis. Donc c’est aussi un point ennuyeux, c’est que mettre le doigt dans l’engrenage de la proportionnelle, c’est aussi mettre le doigt dans le fait de changer les règles du jeu et de faire une cuisine d’accords entre les partis sans arrêt.
Alors pour avoir plus d’élus, Bayrou va essayer quand même d’avoir une solution avec toutes les contorsions qui lui permettent d’atteindre son but qui est simplement que le Modem grossisse un peu, pas forcément en abolissant le scrutin majoritaire et en changeant complètement les règles du jeu françaises. Mais c’est mettre le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux, d’autant que d’autres seraient tentés de dire qu’il y a aucune raison, qu’il se serve au passage et qu’on donne une prime au parti du Premier ministre. D’autre part aussi, parmi les partisans de la proportionnelle, comme je vous l’ai indiqué, il y a beaucoup de proportionnelles, sans parler même de savoir quels scrutins sont concernés par la proportionnelle, législatives ou d’autres, etc Moyennant quoi, certains auront l’arrière-pensée que la proportionnelle avec prime majoritaire serait un excellent système, tandis que d’autres y seront farouchement opposés. Donc, il n’est pas certain que la petite prime que François Bayrou voudrait s’octroyer serait si facile que cela à venir piquer discrètement, et d’autre part cela ne va pas donner une image grandie du monde politique de voir que les cuisines et arrière-pensées des uns et des autres seront sur la place publique.
Professeur Jacques Cohen, vous les avez expliqués les intérêts des uns et des autres. Il semblerait effectivement que ce soit la marotte du Premier ministre François Bayrou. Vous parliez justement de certains camps politiques, du côté du Rassemblement National et du NFP, on se dit favorable justement à cette proportionnelle. cela veut dire que certains partis y trouvent un intérêt mine de rien ?
Ils trouvent un intérêt quand ils peuvent espérer être le premier parti, même de peu. Car ils ont intérêt à ce moment-là à proposer une proportionnelle à prime majoritaire. À l’inverse, des partis assis sur des implantations géographiques et donc des personnalités, n’ont aucun intérêt à la proportionnelle. Ou à l’inverse dans un même parti, ceux qui sont solidement enracinés ont tout intérêt à s’opposer à ce qu’on leur parachute du monde par un système proportionnel. Donc vous voyez que c’est loin d’être aussi simple qu’il n’y paraît.
Et ce n’est pas le seul sujet qui divise dans le discours de politique générale de François Bayrou, évidemment parmi tant d’autres. Mais il y avait aussi dans ce contexte d’élections peut-être un retour du cumul des mandats aussi qui avait été évoqué, Professeur Jacques Cohen.
Alors là-dessus les choses sont effectivement très très compliquées. Parce qu’à la fois il paraît stupide de penser qu’un même individu puisse tenir plusieurs mandats de président d’exécutif en les remplissant comme il faut, et à la fois il est dommage que vu les répartitions des compétences et des pouvoirs il soit impossible d’avoir une position locale permettant d’agir significativement parce qu’on se retrouve dans des silos, dans des boîtes isolées, et que le pouvoir central lui dispose des différents ministères. Et parce que l’élu n’a pas les mêmes compétences parce qu’il n’est pas en même temps le chef de l’exécutif municipal, celui de la communauté d’agglo, et celui du département, ou celui de la région. Malheureusement, c’est assez ennuyeux parce que ce qui paraît de bon sens, de supprimer le cumul a un autre inconvénient, c’est que cela favorise, surtout si c’est lié à des scrutins de listes comme par exemple les élections européennes, cela favorise le déracinement et le poids des appareils des partis. Donc compliqué et s’il faut mettre un curseur qui permette d’avoir un peu de cumul mais pas de cumul de postes très importants, c’est facile à dire sur le papier, mais c’est assez compliqué à gérer ensuite.
Et on aura peut-être l’occasion d’y revenir prochainement. En tout cas un grand merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés dans cette chronique d’actualité sur la proportionnelle, marotte de Bayrou, mais quelle proportionnelle. Vous avez tenté de répondre à cette question. Et lorsqu’il sera à jour, on aura davantage d’éléments sur votre blog jhmcohen.com. A très bientôt.
À très bientôt.