Jacques HM Cohen 28 02 2025
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Professeur, Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous pour nous parler aujourd’hui de P Kagamé, un autocrate impérialiste rwandais aimé de tous, c’est le titre de votre chronique. Il va quand même falloir nous expliquer cette histoire parce qu’on a entendu dire que le Rwanda et ses alliés ont envahi l’est de la République Démocratique du Congo. Qu’est-ce que cela signifie concrètement, Professeur Jacques Cohen ?
Alors le titre est un petit peu humoristique. J’aurais même pu dire que Paul Kagamé va faire pâlir d’envie Poutine parce qu’il fait pareil ou pire, mais avec une efficacité bien plus redoutable. Les derniers épisodes de cette histoire du Kivu, nord et sud, c’est que cette zone-là est une zone minière riche, mais cette fois ce n’est pas comme en Ukraine des mines putatives sur des cartes géologiques datant de l’Union Soviétique, il s’agit de mines réellement exploitées et cela fait un bout de temps que des forces armées des voisins, essayent de mettre la main sur ces mines, mais c’était jusqu’à présent avec des forces armées irrégulières comme paravent. Ce n’était pas jusqu’à cette première fois l’invasion pure et simple par l’armée régulière de Kigali, capitale du Rwanda.

La République démocratique du Congo ou Congo Kinshasa ex Congo belge La malédiction des ressources minières…..
Et bien, il y a eu déjà eu plusieurs épisodes et c’est même ce qui avait permis par exemple à Kabila, basé sur l’Est du Congo, de prendre le contrôle de l’ensemble du pays. Depuis ces derniers temps, le président de la RDC, Tshisekedi, avait acheté assez de mercenaires à droite et à gauche pour que les forces du M23, c’est à dire le mouvement façade des Rwandais, soit tenu à peu près à l’équilibre avec en prime des forces d’interposition internationales qui étaient surtout basées sur l’Afrique du Sud, qui maintenaient une espèce de modus vivandi, car déjà de fait le M23 contrôlait un certain nombre de mines, par exemple celles de coltan que l’on trouvait ensuite exporté par le Rwanda qui n’en a pas, et cela lui rapportait quand même un peu plus d’un milliard par an.
Là, le gros changement, c’est que pour en finir avec cet équilibre, Paul Kagamé a envoyé sa propre armée qui est une des plus fortes armées du coin, entraînée par 20 ans de guerre, et ils ont balayé non seulement les forces de la RDC mais tant qu’à faire, quand elles ont fait mine ded réagir les forces internationales d’interposition, et ils ont abattu une bonne vingtaine de soldats sud-africains. Puis après avoir pris le nord Kivu, ils ont continué sur le sud Kivu. Actuellement, ils sont avec la prise de Bukavu dans l’essentiel du Kivu nord et sud. Mais ils sont à la frontière du Burundi et c’est un point très important de voir s’ils vont envahir le Burundi ou pas. Jusqu’à présent quand le Rwanda en faisait un petit peu trop, les États-Unis faisaient les gros yeux et les choses s’arrêtaient là. Là, comme vous en doutez, le Président Trump n’en a rien à faire, et à la limite, si ce n’est qu’il est même lui aussi prêt à acheter avec une décote ce que Kagamé extraira du Kivu.
L’élément aussi qui est à surveiller, c’est que le leader du M23 est beaucoup moins présentable ou crédible comme leader congolais que Kabila autrefois, et pourtant il annonce qu’il va débarquer sur Kinshasa, prendre le pouvoir et le contrôle de tout le pays. Pour l’instant cela n’a pas eu lieu, donc il faut voir si on s’oriente soit vers une stratégie maximale du Rwanda, c’est à dire d’envahir l’intégralité, de prendre le contrôle global de son énorme voisin, soit de s’en tenir à la partie utile de l’est RDC, riche par ses différentes mines.
Alors on peut s’attarder un petit peu sur l’efficacité de Kagamé, parce que Kagamé a commencé par être leader des Tutsis qui étaient basés en Ouganda et s’opposant au régime Hutu. Et puis le régime Hutu s’est lancé dans des massacres de Tutsis après que l’avion du président Hutu ait été abattu, pour s’en débarrasser une bonne fois. A quoi les Tutsis militaires de Kagamé ont envahi et ont pris l’ensemble du Rwanda. Mais ils ont continué, c’est à dire qu’ils ont pourchassé les Hutus en République du Congo, où il y a eu un deuxième type de massacre réciproque, c’est à dire que les Tutsis massacrant des Hutus.
Professeur, je me permets, je vous interromps, mais pour revenir avec ce que vous disiez au tout début de la chronique, effectivement cela pourrait faire pâlir Poutine.
Oui, parce que si on prend déjà cette parenthèse de comparaison avec Poutine, l’est de l’Ukraine pour Poutine cela lui coûte de l’argent, tandis que l’est de la RDC cela rapporte énormément, c’est même la base de la prospérité rwandaise. D’autre part, Poutine y aurait quand même acquis une réputation assez défavorable, tandis que Kagamé est un virtuose. Il n’y a guère que Staline qui ait fait mieux pour être petit père du peuple adoré de tous et faire passer le noir pour le blanc et vice versa. Car il est toujours auréolé de l’image des victimes du génocide, alors qu’il en a fait autant depuis. Il a même assassiné à l’étranger certains leaders de son parti qui ne lui plaisaient plus. Il arrive à trouver des idiots utiles extraordinaires en Occident et il leur fait réciter ses louanges et celles de son régime. Il arrive à pourchasser les responsables de l’ancien régime hutu devant les instances judiciaires françaises, alors qu’au point de vue influence et commerce il a chassé la France du Rwanda, y compris avec une régression colossale de notre langue. Tout cela est quand même d’une efficacité remarquable et il faut remonter à l’époque de Staline pour trouver quelqu’un ayant ce savoir-faire remarquable et qui durera jusqu’à son décès.
Alors là la nouveauté qui justement se rapproche du cas de Poutine, c’est que nous sommes entrés dans l’ère où les autocrates n’ont pas besoin de prendre des gants. Abattre des forces d’interposition en montrant que son armée est la plus forte de la région, comme les Occidentaux en ont besoin contre les mouvements djihadistes en Angola pour défendre les exploitations pétrolières, par exemple celle de Total, ils sont donc prêts à tout pardonner. Certes il en a fait beaucoup cette fois-ci dans une intervention directe et non masquée, les Européens ont fait mine de mettre en place de modestes sanctions, mais pas trop, et en plus tout le paquet est allé à la poubelle parce que le Luxembourg a mis un veto à la décision de l’Union européenne, tout simplement parce que Kagamé a quand même pris la précaution de faire transiter une partie du bénef de ses rapines par le Luxembourg, lequel est un pays infiniment réaliste. Donc tout cela démontre une maestria de la part de Paul Kagamé. Alors ira-t-il trop loin ? Va-t-il continuer à savoir doser extraordinairement ses provocations et ses faits accomplis ? Ou bien va-t-il tenter de prendre le contrôle de tout le pays avec une véritable marionnette à mettre à Kinshasa ? Ce qui-là pourrait être un petit peu beaucoup, mais à la limite pourquoi n’essayerait-il pas, puisque tout le monde est prêt à acheter du coltan de contrebande, les Russes, les Chinois, les Américains, et à continuer à encenser cet autocrate qui doit donc faire pâlir d’envie effectivement Vladimir Vladimirovitch Poutine.
Jacques Cohen, pour continuer et préciser un petit peu les choses. C’est vrai que vous nous parlez de ce Congo, de ce Congo qui est immense. Et finalement c’est une vieille histoire, l’histoire du Congo avec l’Est qui est difficilement attaché à ce pays.
Il est d’ailleurs non seulement difficilement attaché, mais il est loin. Je crois que de Kinshasa à Goma ou au Sud de la ville de l’ex-Léopoldville, il doit bien y avoir à peu près la même distance que de Paris à Moscou. Je n’ai pas la carte donc on verra, mais cela me paraît quand même être une échelle, c’est très très loin. Le pays est immense et il y a toujours eu une tentation sécessionniste de l’est, dont justement l’histoire de Patrice Lumumba, qui lui alors s’appuyait effectivement sur le bloc de l’Est, et que les Occidentaux ont fait liquider vite fait bien fait, car dans les années 60 on ne s’embarrassait pas de beaucoup de scrupules et de détails pour limiter ou établir les zones d’hégémonie ou d’influence politico-économique. Mais plus récemment, il y a eu l’aventure de Kabila qui avait pris le contrôle de l’est du pays en faisant d’ailleurs quelques accommodements avec les voisins qui soient Ougandais ou Rwandais, et qui a réussi à débarquer avec quelques avions par surprise sur Kinshasa, Kinshasa qui est une énorme mégapole, l’un des plus grands bidonvilles du monde, etc, et à prendre le pouvoir. Puis ensuite, un peu plus tard, il a été chassé, parce qu’effectivement il n’avait pas une implantation extraordinaire sur l’ensemble du pays, n’ayant que sa base arrière du Kivu, de l’ex-Katanga. Là le problème c’est que l’outsider, le partant, chef du M23, est encore moins crédible comme congolais indépendant. Donc c’est pour cela qu’on va voir si Kagamé s’en moque et décide que cela sera lui point barre, et ce que feront les autres pays. Pour l’instant, on a l’impression qu’à part quelques reproches des Européens qui trouvent qu’il est un petit peu brutal, tout le monde s’en fout parce qu’il connaît la vie et qu’il vend ses matières premières, c’est à dire les matières premières de la RDC, à un prix très raisonnablement discount.
Et bien en tout cas un grand merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur le Rwanda, la République démocratique du Congo, et Kagamé cet autocrate impérialiste rwandais aimé de tous, comme vous l’avez nommé dans votre chronique. On a bien compris le côté ironique évidemment. Plus d’informations sur votre blog, jhmcohen.com. A bientôt Professeur.
À bientôt.