Infirmière tuée à Reims. Peut-on éradiquer la fatalité ?

Jacques HM Cohen 26/ 05/2023

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Avec nous par téléphone pour la chronique d’actualité, on retrouve le Professeur Jacques COHEN. Bonjour Jacques.

Bonjour.

Et vous allez nous parler de ce qu’il s’est passé à Reims cette semaine avec cette infirmière qui a d’abord été agressée, tout comme une secrétaire médicale, puis finalement tuée puisqu’elle a succombé à ses blessures. C’est un drame terrible qui a mis en émoi toute la France, Jacques COHEN, qui vous invite à parler aujourd’hui de la médecine et notamment des services psychiatriques en France.

Oui, car le problème est « que faire des fous furieux ?» quand leur dangerosité persiste malgré le traitement ou parce qu’ils ne prennent pas leur traitement. Il faut d’abord rappeler qu’autrefois on enfermait. On enfermait sous différents régimes, puis dans les hôpitaux départementaux. Quelqu’un qui obtenait un non-lieu parce qu’il n’y a ni crime ni délit lorsque le mis en cause était en état de démence, par la suite, passait dans un hôpital de force. Et si réellement, il paraissait très dangereux, il n’en sortait plus guère. Puis les médicaments ont permis que l’on fasse sortir des gens, parce qu’ils allaient beaucoup mieux. Mais en fait, ce qu’il s’est passé, c’est que maintenant ce sont les hôpitaux que l’on a fermés.

hopital abandonné

Pour illustrer la fermeture des lits de psychiatrie, un hôpital abandonné.

On a fermé, tenez-vous bien, je crois, 80 000 lits de psychiatrie en France sur 40 ans. Depuis 1980 le nombre de lits de psychiatrie a été divisé par 3. C’est énorme.

De 1975 à 2016 on est passé de 122 000 lits de psychiatrie en secteur public à 41 000 en 2016 ( ref 8 et 9 supra. Tableau 23 ).

Donc on ne va pas enfermer les gens dans des hôpitaux qui n’existent plus, même lorsque cela serait souhaitable. Alors les médicaments permettent, avec un suivi étroit et beaucoup de personnel, que beaucoup de ces patients qui vivaient uniquement enfermés puissent être en milieu ouvert, mais ce n’est pas tout, et d’autre part, il peut y avoir des bavures.

La bavure, si l’on peut dire de ce patient, c’est que contrairement à ce qu’on a entendu, il était tout à fait étroitement suivi. Il a été plusieurs fois placé d’office. Il est sorti plusieurs fois avec une obligation de soins et il avait même cette fois-ci une injonction d’observance directe. C’est-à-dire qu’il venait tous les jours prendre ses comprimés et en principe, les infirmiers devaient le regarder les avaler. Mais c’est comme en prison, il peut faire semblant et les recracher, si cela n’a pas été observé correctement. Il avait également ses médicaments pour le week-end qu’il emportait, mais les policiers les ont retrouvés chez lui. Ce qui veut dire que cela faisait un certain temps qu’il ne prenait pas de médicaments. Soit qu’il arrivait à tricher en observance directe, soit qu’il ne prenait pas ceux du week-end. Et puis, il y avait une divergence. Le deuxième élément important est une divergence entre la personne chargée de la curatelle, qui a fait des pieds et des mains pour dire qu’il ne se soignait pas et qu’il était à nouveau dangereux. Elle a même demandé à se décharger de cette curatelle. Et le psychiatre qui lui le suivait, l’a vu une demi-douzaine de fois dans les six derniers mois. Il l’a vu 15 jours avant son nouveau passage à l’acte et lui, considérait qu’il n’était pas si mal équilibré. Alors, c’est toujours difficile de détecter en psychiatrie les erreurs de diagnostic. Est-ce que le patient arrivait à simuler et à se conduire convenablement devant lui ou est-ce que le psychiatre avait tellement envie que son patient aille bien, qu’il le voyait ainsi. On ne sait pas.

Mais toujours est-il qu’il y a là, non pas un drame de l’absence d’enfermement, mais un drame de la difficulté de la prise en charge et qui n’est même pas cette fois-ci un drame d’une absence de prise en charge.

Alors évidemment, derrière chacun pousse sa chansonnette, si je puis dire, sur son domaine. Les uns pour dire que les médecins sont exposés à des violences. Cette histoire n’a rien à voir avec cela. Les autres chantent l’air, hélas réaliste, du manque de personnel. C’est vrai aussi, mais cela n’a rien à voir cette fois-ci. Et donc, on a un drame qui est épouvantable dans sa réalisation, mais aussi dans sa fatalité. Cela montre que quels que soient les efforts, quelles que soient les structures, le risque zéro n’existe pas. Imaginons qu’on ait à nouveau une structure avec des capacités d’enfermement quand cela est nécessaire. Imaginons que l’on ait une justice qui ne perde pas trop de temps, parce que là, par exemple, cela fait au moins six mois que la Chambre de mise en accusation n’avait pas eu le temps d’examiner le dossier. Imaginons que tout cela n’existe pas, que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quand il y a assez de personnel, que la justice va vite. La fatalité est qu’il n’y a pas de risque zéro et que ce patient, à partir du moment que son médecin pensait qu’il allait mieux, avait toutes les chances de pouvoir continuer à tromper sa surveillance, à ne pas prendre ses médicaments et à repasser à l’acte. Alors va-t-on dire qu’il faut deux psychiatres traitants au lieu d’un et puis s’ils ne sont pas d’accord, il en faudra un troisième. On ne pourra jamais réduire à zéro le risque de malheur dans la vie. C’est cela que la population a le plus grand mal à comprendre. Le malheur ne peut pas être intégralement éradiqué, sinon cela serait le paradis sur terre.

Jacques COHEN, effectivement, vous nous avez présenté plusieurs aspects pendant le début de votre développement. On va peut-être revenir sur l’aspect de la lenteur judiciaire parce qu’on sait que c’était quand même une personne qui était aussi surveillée par différents services. Donc comment on explique que l’on n’a pas été plus attentif que cela au niveau judiciaire sur son profil ?

D’abord, ce n’est pas plus attentif, parce que ce malade était sous obligation de soins et il avait une curatelle renforcée, d’un côté, sur sa vie courante. Il avait un psychiatre. Il avait une obligation de soins avec, je le répète, prise de médicaments tous les jours devant les infirmiers et cela a été pris en défaut. Est-ce que cela a été fait par-dessus la jambe, l’enquête le dira ? Est-ce qu’il était particulièrement malin pour tromper son monde ? On verra cela. Mais la partie judiciaire, c’est qu’après le non-lieu dont il avait bénéficié pour responsabilité, la Chambre de l’instruction devait revoir le cas pour décider et vérifier que les injonctions et les mesures thérapeutiques étaient adaptées. Elle ne l’a pas fait. C’était prévu, mais c’est une affaire qui avait six mois ou un peu plus. Cela n’a pas été fait. Mais l’aurait-elle fait à temps et elle aurait eu entre les mains deux opinions, celle de la personne responsable de la curatelle disant « il est dangereux, il ne prend pas ses médicaments, il triche ». Et celle du psychiatre disant « mais pas du tout, je le suis tout à fait convenablement ». Il y a gros à parier que la Chambre de l’instruction aurait suivi le psychiatre. Éventuellement, elle aurait remplacé la personne chargée de la curatelle par une autre personne et si elle avait émis le même avis que la première, ce serait revenu devant la Chambre de l’instruction et on se serait reposé la question, à savoir si le psychiatre avait bien raison, en ordonnant une nouvelle expertise. Mais, tout cela aurait pris encore bien du temps. En fait, il n’y a pas de retard malgré les apparences, ni d’absences de prise en charge. C’est là où on est dans une situation de drame épouvantable, c’est qu’on ne voit pas très bien comment empêcher ce genre de drame.

Jacques COHEN, vous l’avez aussi évoqué à l’intérieur de votre chronique. Il y avait un désaccord entre la curatelle et le psychiatre. Dans ces cas-là, comment ça se passe finalement qui, j’ose le dire comme ça, a le dernier mot ?

C’est le médecin par définition, donc c’est le psychiatre. Ensuite la curatelle, elle alerte la justice laquelle peut choisir, soit de faire confiance aveuglément au médecin, soit de demander une nouvelle expertise. Ce qui aurait probablement été fait si la Chambre de l’instruction s’était emparée du dossier dans un délai plus court.

Jacques COHEN, également une autre problématique qui ressort aussi de ce dossier c’est aussi la sécurité dans les hôpitaux dont on a beaucoup parlé. Vous qui connaissez bien les milieux hospitaliers, est ce qu’il y a des moments, par exemple, où vous vous êtes dits en tant que médecin, où vous ne vous sentez pas en sécurité dans les milieux hospitaliers où vous travaillez ?

Il y a deux aspects là-dessus. La sécurité hospitalière opposée à la sécurité générale, je n’y crois pas beaucoup. On pourra toujours faire des hôpitaux coffre-fort, les gens qui veulent venir poignarder quelqu’un, le feront à la sortie ou à l’entrée. Ce n’est pas essentiel. L’important par exemple, c’est pour les services d’urgence où les conflits semblent aigus et fréquents. C’est d’avoir suffisamment de monde effectivement pour sauter sur la personne qui se comporte mal et avec un excès de force, c’est-à-dire une supériorité absolue qui empêche les bagarres. Ce qui est dangereux, c’est le combat, j’allais dire, à armes égales. Quand un type qui commence à gueuler ou à prendre une infirmière par le col se retrouve avec six types qui lui sautent dessus, cela s’arrête immédiatement. Donc, il faut avoir du monde pour cela. Quand on manque de monde effectivement, on a aussi le manque de personne pour éteindre dans l’œuf tout incident.

Merci Professeur Jacques COHEN de nous avoir éclairé sur la situation et on vous dit à très bientôt. Plus d’informations sur votre blog jhmcohen.com.

Absolument. A très bientôt.

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