Feuilleton Arménie – Azerbaïdjan bientôt la fin de la saison

Jacques HM Cohen le 13 9 2023

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La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques COHEN avec nous par téléphone. Professeur bonjour.

Bonjour

On va s’intéresser à ce qu’il se passe un petit peu à l’est de la France finalement, avec ce conflit Arménie – Azerbaïdjan dont vous nous aviez déjà parlé, il y a quelques temps. C’est un véritable feuilleton. Évidemment, on a envie de savoir ce qu’il se passe dans ce nouvel épisode. Mais avant cela, Professeur Jacques COHEN peut-être nous faire un résumé des épisodes précédents entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ?

Car en effet, les français suivent assez peu la série entière, qui est une série de très longue date où il y a des épisodes, des saisons comme on dit maintenant, et on ne va pas repartir du royaume d’Antioche et de la grande Arménie. On peut juste se rappeler que l’Arménie a surtout appuyé les russes contre les turcs au début du 20ème siècle et que les turcs leur ont fait payer cher, en réalisant la première évacuation génocidaire de population de ce siècle-là, du 20ème siècle, hélas. Également avec pour finir une amputation de territoire, dont il reste une petite Arménie.

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Frontières à l’époque soviétique. Internationalement reconnues. Le haut Kharabagh n’est pas mentionné comme enclave car c’était un oblast autonome de la république d’Azerbaidjan et non une république autonome de plein exercice, encore moins une enclave arménienne.

Et quand les russes ont gagné sous forme soviétique la guerre civile dans les années 20, on en est arrivé à créer des Républiques dans le Caucase, celle de Géorgie, celle d’Arménie, celle d’Azerbaïdjan, sous l’égide donc du régime soviétique avec des frontières mises au point pour les rendre totalement non viables, chacune individuellement. Par exemple, pour ce qui est du cas de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, la frontière donc officielle puisqu’on est resté sur celle créée par Staline d’ailleurs, puisqu’il était commissaire aux nationalités. Plutôt qu’une grande république du Caucase avec des régions autonomes, il a préféré trois pays, si possible incapables de tenir debout chacun. Dans le cas Arménie- Azerbaïdjan, il y avait des petites enclaves de l’un chez l’autre et deux grandes enclaves. Le Haut-Karabagh, le Nagorny-Karabagh, qui peuplé essentiellement d’arméniens passait sous la souveraineté de l’Azerbaïdjan et une deuxième enclave, celle du Nakhitchevan, qui est une enclave azerbaïdjanaise coupée de l’Azerbaïdjan par l’Arménie, mais qui gardait la souveraineté azerbaïdjanaise. Vous voyez que cela complique déjà les choses. Il y avait encore quelques autres petites astuces de la part du petit père des peuples. Déjà la frontière Iranienne s’arrêtait à deux kilomètres de l’Arménie au nord-ouest du Nakhitchevan, mais l’Arménie n’y avait pas directement accès à cet endroit-là et puis que la route qui descend du nord au sud en séparation de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie pour rejoindre la frontière iranienne vers le corridor d’autorisations de passage entre le Nakhitchevan et l’Arménie, et bien cette route elle fait de la dentelle avec leurs frontières ou vice-versa. Résultat, quand c’est la paix tout va bien, mais si c’est la guerre il n’y a plus de route, où des incidents se sont produites récemment. L’avant dernier épisode, c’est que les arméniens avaient gagné la saison précédente. Ils avaient envahi une douzaine de petites provinces reliant finalement l’enclave du Haut-Karabagh à leur pays, mais ils ne l’avaient pas annexé juridiquement, ni reconnu. Ils n’avaient d’ailleurs pas reconnu une République du Haut-Karabagh que les arméniens du coin avaient essayé d’imposer. Les arméniens avaient donc envahi de larges régions azerbaidjanaises, à peu près le double du haut-kharabagh. Puis le temps a passé sans qu’il n’y ait un véritable règlement politique. Toute la population azerbaïdjanaise avait été chassée des provinces ou s’était sauvée, selon le point de vue que l’on a, des provinces conquises et les arméniens n’ont pas été capables de les développer au point de vue économique. L’Arménie a encore une forte diaspora mais, comme pays, elle n’a pas eu de décollage économique à partir de son indépendance retrouvée après la chute de l’Union Soviétique. Cet avant dernier épisode a été renversé par la saison suivante où là, il y a peu de temps, les azerbaïdjanais avec l’aide des turcs ont récupéré tout ce qui avait été envahi et ont coincé à nouveau le Haut-Karabagh comme une enclave qui restait arménienne et reliée uniquement à l’Arménie par un corridor que contrôlaient en fait les azerbaïdjanais, les gens de Bakou. Le tout quand même fortement saupoudré d’un arbitrage russe avec y compris 2000 hommes d’une force d’interposition, pour que les uns et les autres arrêtent de s’égorger, ce qui est malheureusement une coutume locale un peu trop répandue. Les choses ont changé de deux points de vue. D’abord, la région prend une importance stratégique parce que c’est un carrefour qui, pour faire court, relie l’Iran, la Turquie, la Russie et les deux pays, et même accessoirement la Géorgie, et ne serait-ce que pour des questions d’import-export, pour le gaz et le pétrole, cela peut être l’occasion d’un extraordinaire bonneteau puisqu’on peut faire ressortir de cette région-là du gaz et du pétrole par différents pipelines dans la mer noire ou à travers la Turquie ou même dans l’autre sens, par l’Iran, si bien qu’on ne sait plus très bien au bout du compte d’où est sorti tel ou tel pétrole ou tel ou tel m3 de gaz. Donc une force considérable. Et il n’y a pas que cela qui peut représenter des opportunités de commerce. Donc une position extraordinaire qui malheureusement est gâchée par le fait qu’ils ne peuvent pas s’entendre et qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de se faire la guerre. En particulier la petite population montagnarde du Haut-Karabagh qui ne veut pas entendre raison, alors que les arméniens, en tant que République d’Arménie, ont compris le rapport de force et le changement, surtout depuis l’affaiblissement de la Russie. Ils ont fini par accepter un accord sous l’égide de la Russie, de la Turquie et pour les deux pays qui permettait, d’une part aux gens de Bakou de faire une autoroute à destination du Haut-Karabagh dans la perspective de retraverser plus loin vers Erevan, et de rejoindre ce carrefour dont je vous parlais entre les pays, de gérer le corridor et une voie ferrée le long de la frontière iranienne permettant que Turquie et Azerbaïdjan soient reliées et permettent à la Turquie d’aller finalement faire du commerce terrestre avec la Russie. Tout cela, ils y ont tous de grands avantages, y compris l’espace aérien qui a été rouvert aux avions de Bakou au-dessus de l’Arménie et donc on s’acheminait vers des solutions pacifiques avec pas mal de retombées économiques pour tout le monde. Mais patatras, les gens du Haut-Karabagh ne l’ont pas entendu comme cela. En particulier, ils ont commencé à faire un peu de guérilla sur le chantier de cette autoroute construite par Bakou, tout simplement en mettant des mines sur lesquels ont sauté des gens, une demi-douzaine de soldats ou de travailleurs azerbaïdjanais, il y a 15 jours. A ce moment-là, Bakou s’est dit que c’était très tentant comme opération de prendre le contrôle de la zone évacuée par l’armée arménienne et sous le contrôle de la force russe d’interposition. Ils avaient déjà fermé le corridor de Latchin, c’est-à-dire celui qui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie à Erevan pour obliger les gens du Haut-Karabagh à accepter qu’ils soient ravitaillés maintenant depuis l’Azerbaïdjan et non pas dans l’autre sens et que puisque les gens du Haut-Karabagh faisaient une surenchère sous forme d’attentats et bien eux ils allaient faire une surenchère sous forme de liquidation du potentiel militaire et de désarmement de la population du Haut-Karabagh. Il faut voir que ce sont des populations dans les deux camps qui sont extrêmement hostiles à l’autre. Quand une partie des arméniens a dû se sauver d’une zone reconquise il y a peu de temps, ils ont tout simplement fait brûler les maisons pour ne pas les laisser aux nouveaux arrivants. Cela avait été la même chose dans l’autre sens, une trentaine d’années auparavant dans la saison précédente de la série. Donc ici, il y a plusieurs aspects. Les russes sont gênés parce qu’ils n’ont aucune envie d’avoir une vraie mission de maintien de la paix sur le dos alors qu’ils sont occupés en Ukraine. Du point de vue des arméniens, ils ont un peu joué sur tous les tableaux, y compris en acceptant une mission américaine militaire de coopération il y a peu de temps. Mais regardez aussi ce qui s’est passé pas loin en Géorgie, et les américains n’ont pas envie de s’impliquer sérieusement dans la région: quand Sakachvili a tenté de récupérer l’Ossétie du sud et a raté son coup vu l’opposition ferme de Moscou, les américains ont laissé tomber. Ils étaient d’accord pour filer du matériel, mais pas pour faire plus. Les arméniens ont eu quelques velléités de jouer sur les deux tableaux moyennant quoi, les russes ont un peu plus laissé la bride sur le cou aux gens de Bakou pour cette opération de prise de contrôle militaire de la zone qui restait arménienne, si l’on peut dire, ou du moins de populations arméniennes. Alors est ce que ça va aller jusqu’à une évacuation complète de la population du Haut-Karabagh vers l’Arménie, ce n’est pas impossible, mais je ne crois pas.

Comme on est dans les séries, Jacques COHEN, attention pas de spoil, alors au spoiler.

Oui, je ne pense pas que l’objectif de Bakou soit d’en finir et que l’on soit à la fin de la saison, c’est à dire que l’épisode prochain soit d’évacuer la population vers l’Arménie et que Bakou prenne le contrôle complet du Haut-Karabagh. Je pense que l’intérêt des russes et, en dernière analyse, l’intérêt aussi de l’Azerbaïdjan, c’est de récupérer cette enclave sans en chasser complètement la population, parce que s’ils chassent la population on revient à un système de frontières fermées entre Arménie et Azerbaïdjan, alors que l’intérêt compris des deux côtés est d’ouvrir les échanges commerciaux. Ce serait la seule chance de développement de cette région. Je peux me tromper, hélas. Parce que les passions des hommes ne sont pas toujours dans le sens de leurs intérêts.

Une saison suivante assurant à Bakou le contrôle du corridor entre le Nakhitchevan et l’Azerbaidjan le long de la frontière iranienne au sud n’est pas exclue, avec un épisode au nord-ouest du Nakhitchevan au carrefour stratégique des frontières iranienne turque et arménienne qui n’est pas exclu. Au delà dans le scénario catastrophe, l’indépendance même de l’Arménie serait en jeu avec un grand exode à nouveau. Mais Aliev le président azerbaïdjanais est trop fin politique pour oublier qu’il faudrait pour cela que les grandes puissances soient sérieusement occupées ailleurs, c’est à dire en guerre comme en 1915 pour laisser faire. Et d’ailleurs, une telle solution radicale mettrait son pays en grand danger de susciter des appétits turcs à nouveau…

Comme vous voyez les scénaristes de la série « guerres du Caucase » ont de la matière, sans oublier celle des guerres de la Georgie avec l’Ossetie ou l’Abkhasie.

Merci Professeur. On vous dit à la semaine prochaine.

A bientôt.

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