Jacques HM Cohen 23 11 23
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen. Bonjour Jacques.
Bonjour.
Et on va faire une photographie de la guerre Israël-Palestine, où en est-on au moment où l’on parle aujourd’hui ?
Et bien tout le monde parle de l’accord éventuel sur les otages ou du moins sur une toute petite partie des otages, certains la considérant comme une victoire du Hamas. Mais ce n’est pas cela la victoire du Hamas. Le Hamas a déjà gagné la guerre sur plusieurs plans. Alors qu’il avait commencé par quelque chose de catastrophique pour lui, c’est à dire de démasquer qu’il voulait renvoyer les juifs à la mer ou les exterminer. Au contraire d’une opération militaire limitée qui était réussie, le Hamas se retrouvait avec un handicap, j’allais dire d’opinion publique internationale en démasquant sa nature pogromiste.
Depuis, il a ramé à remonter la pente. D’une part parce qu’il y a une guerre tiède en Cisjordanie à l’initiative des colons ultra-religieux qui sont les symétriques du Hamas chez les Israéliens, et de la part du Hezbollah à la frontière nord dont les Israéliens ont dû évacuer 120 000 personnes. Sur un tout petit pays c’est quand même significatif. Mais la principale victoire du Hamas, elle n’est pas là.
Une tactique militaire inadaptée
Les Israéliens sont partis faire la guerre comme les Américains l’ont fait en Irak à Falloujah ou à Mossoul, à affronter une armée retranchée dans une ville dont les civils soit ne peuvent pas sortir et sont tués avec, soit arrivent à se sauver.

Mossoul (Irak), le 18 avril 2018. Un bénévole chargé de ramasser les corps passe devant le cadavre d’un Djihadiste dans les décombres de la vieille ville de Mossoul. Mossoul, ancienne capitale autoproclamée de l’organisation Etat Islamique, a été reprise par l’armée irakienne en juillet 2017. Neuf mois après la fin de la bataille, la vieille ville détruite où se sont concentrés les combats reste encore un cimetière à ciel ouvert. Le Parisien°
C’est une situation qui aurait pu être efficace vis-à-vis du Hezbollah dans le nord. Parce que là il y a une armée aguerrie en Syrie, qui contrôle le Liban contre d’autres fractions, et leur faire la guerre, j’allais dire conventionnelle, pourrait être très efficace en détruisant leur potentiel. Les autres fractions libanaises, si le Hezbollah était affaibli par cette guerre, pourraient venir terminer de les liquider pour leur faire passer ce qu’ils ont eux subi pendant 20 ans sous la domination du Hezbollah au Liban.
Mais à Gaza la situation est très différente. Le Hamas n’a pas d’armée, cela peut paraître paradoxal, mais le Hamas n’a pas d’armée. Il a quelques commandos pour opérations terroristes ou pour opérations ponctuelles, cela fait moins de 2000 personnes avec une formation militaire sérieuse, cela fait trois à quatre bataillons c’est tout. Et il a une énorme milice armée, mais pauvrement armée et pauvrement combattante. Là il y a probablement au moins 20 000 personnes. De piètres combattants on l’a vu lorsqu’ils ont attaqué des kibboutz qui étaient presque tous de gauche, partisans de la paix et qui ne tenaient pas en état correctement leurs milices d’autodéfense. Dans trois kibboutz, la milice s’est plus ou moins opposée à eux. Dans un cas, il y a eu des pertes des deux côtés. Et dans les deux autres cas, c’est quand même très spectaculaire, quelques miliciens d’autodéfense ont mis en déroute, voire exterminé, les assaillants supérieurs en nombre, ce qui montre leur piètre qualité militaire. Pour abattre des civils dans une rave-party et pour commettre les pires exactions, le Hamas a largement ce qu’il faut, comme troupe combattante sérieuse il n’a pas. Et son organisation héritée de la clandestinité est faite de branches ou quartiers autonomes et pas d’un état-major central. On est frappé de voir les lanceurs de missiles continuer imperturbablement à vider leur stock à l’aveuglette, sans connexion ni ciblage lié aux combats ou aux concentrations israéliennes.
Et une fois dans Gaza, les Israéliens ont commencé la tactique de faire du Haussmann, c’est ce que j’ai appelé comme ça, c’est-à-dire de détruire des couloirs entiers d’immeubles pour avoir de l’espace, puis de nettoyer. Le Hamas n’a pas opposé une très forte résistance. Il n’a probablement pas eu même la question à se poser s’il pouvait le faire ou pas, s’il fallait le faire ou pas. Des moyens qu’il avait, les trois ou quatre bataillons sans artillerie ni anti-chars modernes, il y en avait déjà un qui a été en partie sacrifié pour prendre le point de contrôle d’Erez au début de l’opération du 7 octobre ou pour tenir les centres de renseignement et de commandement israéliens le plus longtemps possible. Donc il ne lui restait pas grand-chose. Il y a deux bataillons qui se sont battus et qui sont à peu près anéantis. Il doit lui en rester un ou deux qu’il a replié au sud. Et donc le Hamas n’utilise que de petits combats de retardement, soit avec ses troupes aguerries mais soit plus probablement à partir de ceux des miliciens qui sont rendus fanatisés par le désespoir parce qu’ils sont les parents des civils qui ont été tués dans l’opération de destruction de Gaza Nord.
Délibérée ou subie, la tactique efficace du Hamas
Et donc le Hamas est réfugié dans Gaza Sud avec la population civile, c’est là le gros problème. Pour anéantir le Hamas, les combattants du Hamas, miliciens compris, il fallait pour les Israéliens faire sortir les civils. Or, les Égyptiens ont refusé, non seulement ont refusé aux Israéliens, mais ont refusé aux Américains qui pourtant auraient payé cher. A ce moment-là, les Israéliens se sont retrouvés laisser la population civile dans le sud de Gaza parce qu’ils refusent l’autre solution qui était de les accueillir chez eux. De dire que les enfants, les femmes et les vieillards passent pour évacuer par la réouverture du passage d’Erez et par celui du sud, de Kerem Shalom. Parce que ça aurait voulu dire non seulement gérer la logistique, mais surtout c’est un encouragement considérable à ce qu’à terme on soit dans l’évolution vers la solution à un seul État, qu’il soit confédéral ou totalement laïc, ce n’est pas la question. Mais cela la coalition de Netanyahou ne veut pas en entendre parler. Moyennant quoi, ne pouvant enlever l’eau, les poissons du Hamas vont se retrouver dans cette population comme des poissons dans l’eau et impossibles à éradiquer.
Vider l’eau, base de toutes les politiques de contre-insurrection
Dès les années 50 pourtant le caractère stratégique et critique de la coupure entre la population et les insurgés était reconnu dans les tentatives de contre-insurrection comme en Malaisie par les Anglais par exemple. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-2-page-9.htm
Ou en Algérie par les Français. Avec justement un résultat frappant expliquant l’échec final : Dans les campagnes, les villages ont pu être contrôlés par l’armée refoulant les combattants du FLN dans les montagnes en situation précaire, mais en ville, le FLN a pu gagner les populations, s’y insérer définitivement et gagner la guerre politiquement malgré des guérillas exsangues et une armée des frontières inutile car incapable d’incursions…
Raser des immeubles à la poursuite d’un mythe militaire
Alors, Netanyahou après un certain nombre de trêves finira par faire des incursions au sud. Il va essayer de tuer l’état-major du Hamas, sauf que la plus grande partie des dirigeants ne sont pas là. Qu’aller les tuer à Doha, les Israéliens en sont capables mais c’est une opération significative, qu’ils ne peuvent pas entreprendre tant qu’il y a la question des otages, parce que Doha est la plaque tournante des négociations. La conquête du Quatar est d’ailleurs un objectif stratégique un jour ou l’autre de l’Arabie Saoudite, seul pays arabe qui ose critiquer ouvertement la tactique cynique du Hamas comme se moquant éperdument des civils gazaouis.
Et que la recherche de l’état-major du Hamas au sens militaire de centre de commandement, va tourner à la chasse au Dahu parce qu’il n’existe pas. En revanche comme appareil totalitaire et terroriste, le Hamas va se retrouver à continuer à contrôler la population de Gaza alors qu’elle lui est hostile.
Le Hamas un État totalitaire
Il faut bien se rendre compte que le Hamas est une organisation terroriste totalitaire dictatoriale. Qui tient par la terreur qu’il inspire aux Gazouis. Quand on entend parler de journalistes palestiniens indépendants, c’est une plaisanterie, c’est comme si on parlait ainsi des journalistes de la Pravda du temps de Staline. Les authentiques journalistes palestiniens indépendants ne sont pas à Gaza, ils ne sont même plus à Beyrouth mais à Londres. De même que dans les organisations humanitaires ou de l’ONU, tout individu critique est immédiatement viré et donc ils n’ont gardé autour d’eux que les gens qui de gré ou de force admettent ce qu’ils font et sont leurs compagnons de route. Donc il ne faut pas croire du tout que le Hamas contrôle la population autrement que par la terreur. Ce sont des gens qui sont terroristes non seulement vis-à-vis des Israéliens mais vis-à-vis des Gazaouis. Et cela malheureusement, on n’est pas parti pour l’éradiquer dans l’opération israélienne. Alors, il va y avoir une 2ème victoire du Hamas, c’est de maintenir de façon durable, la situation d’une guerre chaude ou tiède, aussi bien en Cisjordanie qu’à la frontière nord, tandis qu’autour de Gaza il y aura une accalmie, mais on recommencera assez rapidement le petit jeu de tirer un missile par-ci par-là, etc.
Une économie militaro-mafieuse financée par l’Union Européenne
On ne voit pas non plus l’ombre d’une solution pour changer la gouvernance de Gaza par le Hamas : l’économie de Gaza est aveuglement financée par l’aide internationale, détournée par le Hamas en financement de sa milice, de son artisanat guerrier et de larges détournements mafieux, sans développement économique, maintenant la plus grande partie de la population dans la pauvreté qui permet un système clientéliste efficace.
Donc d’éradiquer l’influence politique et de détruire la puissance militaire du Hamas buttent sur plusieurs problèmes, le principal étant la population de Gaza dans laquelle le Hamas va se fondre, parce qu’il n’a pas d’appareil militaire sérieux à défendre. Et donc il ne combattra pas de façon traditionnelle. Là-dessus les Israéliens sont partis pour reproduire une opération américaine qui avait marché contre l’armée de Daech, qui aurait pu marcher ou qui pourrait marcher contre le Hezbollah au Liban, mais qui justement à Gaza est inadaptée.
Biden en campagne électorale
Et tout ça révèle une autre chose, c’est que Biden veut la paix pour Noël. C’est-à-dire qu’il rentre en campagne électorale, il a besoin que les combats aussi bien en Israël qu’en Ukraine soient limités et qu’on ait sinon la fin des hostilités, du moins des situations relativement froides pour toute la période électorale. Reste à voir si cela sera compris par les fractions palestiniennes. Du point de vue des Iraniens, c’est reçu 5/5. Les Iraniens ont à peu près fini de préparer leur bombe atomique, ils auront une bombe atomique vectorisée sur missile au plus tard à l’été 2024, et ils n’ont aucune envie de se faire pulvériser leur infrastructure à la dernière minute, alors qu’ils vont bientôt être sanctuarisés. Donc eux ont tout à fait intérêt comme Biden à une paix relative pendant les élections américaines.
Professeur Jacques Cohen, je vous ai demandé une photographie, j’ai l’impression qu’on a développé toute la pellicule ou presque. Vous le savez le temps est toujours compté sur les ondes de RCF. On aura plus d’informations sur votre blog à retrouver prochainement, jhmcohen.com.
Absolument.
Merci Jacques Cohen et à très bientôt.
A très bientôt.
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