Jacques HM Cohen 28 10 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Jacques Bonjour.
Bonjour.
Et à quelques jours des élections présidentielles américaines, on va tenter de sortir la boule de cristal, regarder ce qu’il se passe du côté des États-Unis. Bien évidemment, le duel tout le monde le connaît sur les ondes de RCF, Donald Trump face à Kamala Harris. Jacques Cohen pour faire une photographie de ce qu’il se passe actuellement sur le continent américain et en particulier donc aux USA, peut-être nous expliquer le programme de chacun de ces deux candidats, républicains face aux démocrates.
Alors le programme, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant, quoi que cela donne des idées. Parce que sur la planète, tous les candidats promettent la lune à des électeurs qui de toute façon savent qu’ils ne la leur décrocheront pas. Mais on peut voir quelques tendances, non pas tellement sur ce que les uns ou les autres feront, mais sur ce qui plaît. Parce que bien sûr, ils annoncent ce que les électeurs ont envie d’entendre.

Sur la pelouse d’Andrea Fellerman-Kessack, devant chez elle, en Pennsylvanie. ( Libération ). Même les partisans de Kamala Harris n’hésitent pas à recourir à des jeux de mots sous la ceinture. Attrapez le par le bulletin de vote….ou par les « balls » = les boules…….
Un point important, c’est qu’ils annoncent tous les deux avec des modalités variables qu’ils veulent lutter contre l’immigration des pauvres chez eux. À ceci près que cette société américaine ne pas peut fonctionner sans eux. Elle fonctionne avec une main d’œuvre « undocumented », illégale, qui fait des boulots où il y a besoin de beaucoup de main d’œuvre et qu’il faut payer le moins cher possible. Alors il faut voir tout de suite que ceci induit une coupure majeure, parce que toute l’activité sophistiquée, en particulier toute l’industrie de pointe, n’a que faire d’immigrés sans qualification. C’est d’ailleurs pareil chez nous, c’est ce qui est assez amusant. En revanche, pour torcher les vieux, si j’ose dire, il faut beaucoup d’aides-soignantes ou d’aide-ménagères, et cetera. Donc l’immigration est une constante de la société américaine et il s’agit de dire qu’il n’en est pas question ou qu’il n’en est plus question, ce qui n’est pas le cas. D’autre part, il y a des évolutions en la matière. La société américaine a toujours été extrêmement cloisonnée, mais les groupes minoritaires, en particulier les noirs pauvres, les centres-villes, n’avaient pas de référent extérieur.
Et là, pour la première fois, il y a un référent extérieur politique.Il s’agit de populations généralement islamiques, qui se retrouvent avec un référentiel politique totalement inattendu, qui sont tout ces immigrés qui viennent maintenant d’Afrique subsahélique et du Moyen Orient, ce qui était à dose homéopathique autrefois sous forme de gens particulièrement riches mais qui maintenant concerne de plus en plus des communautés défavorisées comme on dit. Et ceci peut avoir une conséquence, parce que les États-Unis avaient toujours eu l’attitude de laisser leurs ghettos moisir ou mariner, puisqu’ils n’avaient ainsi aucune issue politique. Or là maintenant il y a une émergence politique qui n’est pas encore très majeure, si ce n’est contre Israël, mais qui est un potentiel pour une fracture tout à fait considérable.
D’ailleurs il y a une autre ligne de fracture, c’est que ces immigrés-là ne ressemblent pas aux immigrés précédents, lesquels se sont implantés, qui sont les hispaniques, et lesquels donc sont de plus en plus en train de dériver de l’attitude qu’ils avaient traditionnellement démocrate à une attitude c’est à dire d’Américains moyens d’une part, et d’autre part sur des référents culturels qui là aussi vont être une grosse différence. Chez les latinos, toutes les théories woke, trans, et cetera, et la prohibition compulsive du harcèlement ne passent absolument pas. Ne pas pouvoir faire un compliment à une dame sans se retrouver dans les pires ennuis, ne passe absolument pas. Quand vous rentrez dans une entreprise latino, puisque malheureusement aux États-Unis, même les entreprises sont par catégories, si vous ne faites pas un compliment à la secrétaire standardiste à l’entrée, elle a le coup de blues en se disant « on me regarde plus ». Si vous faites cela dans d’autres circonstances, vous allez avoir les pires ennuis. Donc là, c’est quand même une coupure très majeure parce que cela conduit à une chose en matière électorale : les latinos qui votaient massivement démocrates le font de moins en moins. Alors ils ne votent pas encore tous républicains, si j’ose dire, mais ils le font de moins en moins. Donc cela, c’est un clivage et je crois que les États-Unis ne se rendent pas compte du délabrement que risque d’induire l’émergence d’un courant politique islamique chez eux. Pour l’instant, ils ont l’impression que c’est minoritaire, que ce n’est rien du tout, que cela ne posera pas de problème. Ceci dit, nous aussi on pensait ainsi dans les années 70.
Et puis il y a d’autres éléments de divergence. L’attitude politique est aussi extrêmement fragmentée géographiquement. Bien sûr, il y a comme partout des zones qui votent rouge, des zones qui votent bleu. Mais là on a une situation qui se tend de ce point de vue-là, en particulier parce que l’activité économique des différentes zones n’est pas du tout la même. Il n’y a pas grand-chose à voir entre le middle-west et la Californie par exemple, et puis avec le nouveau venu qui est le Texas. La Californie comme vous le savez a une position, j’allais dire un peu caricaturale et une grande fortune. C’est un pays qui pourrait à lui tout seul se tenir sur la scène internationale. Mais avec quelques signes de délabrement et l’émigration de certaines compagnies en particulier une bonne partie des compagnies de la tech ont quitté la Californie pour le Texas.
Alors disons quelques mots du Texas. Le Texas, c’est assez étonnant parce qu’en gros cela pourrait être un pays du pétrole, c’est-à-dire une pétro-économie. Parce que le Texas a une politique très agressive pour attirer des entreprises, avec des taxes et des prélèvements extrêmement modérés, parce que tout simplement il a du gaz et il a du pétrole. Donc c’est un État pétrolier, c’est presque une monarchie du Golfe, sauf que ce n’est pas dans le Golfe. Et il a une position extrêmement dure et à droite sur différents sujets qui divisent la société américaine. Ce qui est amusant, c’est qu’il faut quand même rappeler que le Texas a été volé aux Mexicains au 19ème siècle par la guerre, et que sinon c’est le Mexique qui serait sérieusement rééquilibré par cette manne, quoi qu’à ce moment-là on peut craindre qu’il n’aurait pris le chemin du Venezuela, incapable de gérer correctement les bienfaits du ciel si je puis dire.
Mais il y a même un courant sécessionniste au Texas, alors qui n’a rien à voir avec tous ses voisins et un peu, j’allais dire, une attitude à la Catalogne en Espagne, pour l’instant. Cela peut faire pire avec le temps. Cela peut faire pire parce que justement ceux-là sont très à droite et ils se disent que la sécession, cela pourrait être pour de bon. Bon on n’en est pas là, mais c’est quand même un signe de délabrement de la société américaine.
Alors au milieu de tout ça, on a donc deux candidats qui annoncent dans un cas qu’ils défendront les droits des travailleurs, ou qu’ils éviteront qu’ils soient massacrés par le grand capital, si on peut dire, par leurs employeurs, parce que là-bas on ne va pas employer des termes pareils comme vous le savez. Et de l’autre côté, un parti qui prime l’annonce de la liberté individuelle qu’on peut également se débrouiller et que si on n’arrive pas à se débrouiller, c’est tant pis pour toi. C’est une coupure qui est assez nette.
En politique internationale, parce que finalement cela nous concerne quand même, il y a d’abord le retentissement de la politique économique. La politique annoncée par Trump serait probablement un peu plus protectionniste et un peu plus agressive pour défendre l’industrie américaine que celle de Harris. Mais ce n’est qu’une question de nuance parce que vous avez vu que c’est Biden qui a lancé quand même un acte extrêmement protectionniste que Trump a du mal à condamner. Donc ce ne sont que des nuances et de la pression politique sur les Européens que cela induit. En termes de soutien aux actions extérieures en Ukraine par exemple et autres, il y a aussi des nuances. D’abord parce qu’il y a l’annonce de Trump que puisqu’il n’est pas aux affaires, dès qu’il y sera tout sera réglé. Encore que tout cela reste à voir. Mais globalement, il y aura probablement une pression plus importante si c’est Trump pour faire payer les Européens, tout en ayant l’attitude de ce que leur division politique est à attiser en sous-main, de façon à ce qu’ils ne puissent pas se rebiffer sous la forme d’une puissance homogène. Et là, malheureusement, cela paraît être une affaire qui est devenue durable. L’autonomie européenne politique est maintenant, hélas, une illusion, pour un moment.
Professeur Jacques Cohen, vous avez été très complet sur ces élections américaines. J’ai joué le temps additionnel et même un petit peu de prolongation avec juste une ou deux questions complémentaires, Professeur, vous pourrez en dire quelques mots peut-être. C’est vrai que ces élections américaines, on a bien compris qu’elles sont attendues avec des enjeux majeurs, d’une part aux États-Unis, mais même de notre regard ici en France et à travers le globe. Ces élections Américaine on a l’impression que c’est un enjeu pour la planète entière finalement.
La puissance économique principale étant aussi une hégémonie politique, c’est un enjeu pour toute la planète à laquelle ne participe comme vote qu’une toute petite partie. Alors il y a des gens qui essaient de s’y glisser dans ce vote, cela a toujours été le cas. On voit monter des cris d’orfraie sur l’influence russe, et cetera, par les réseaux sociaux, mais cela existait sous forme de financement discret de la presse avant 1914, où la Russie était justement pro guerre et a fait tout son possible pour que la guerre franco-allemande se déclenche. Cela s’est vu pour des tas d’autres pays. Il ne faut pas croire non plus que les Anglais étaient naïfs en 39 après la déclaration de guerre et on a vu certains retournements de vestes dans l’extrême droite française qui était probablement liée au remplissage des poches des vestes correspondantes. Donc ce n’est pas le sujet du jour, mais c’est pour indiquer que ces choses-là sont courantes, les tentatives d’ingérence.
La différence, c’est que l’hégémonie américaine fait que maintenant elle est en état d’essayer d’interdire aux autres de venir mettre leur nez dans leurs affaires avec des succès qui paraîtront toujours très relatifs, parce que les États-Unis étant de plus en plus divisés, les pays extérieurs peuvent miser là-dessus pour essayer d’influer.
À noter au passage justement qu’il y a eu une réunion des Brics en Fédération de Russie, avec la présence aussi bien des Indiens que des Chinois, et que peut-être paralysés par les périodes électorales, mais peut être plutôt par l’impuissance, les États-Unis n’ont pas dit grand-chose. Et cela, c’est un changement considérable et un gros succès pour Vladimir Poutine que d’avoir réussi cette réunion à Kazan.
Et Jacques Cohen, jamais deux sans trois, je vous pose une dernière question et puis on vous libère, c’est promis. Je m’inquiète un peu pour les électeurs américains parce que l’évolution du paysage politique américain, on continue de parler de camp démocrate, de camp républicain, quand en France par exemple on a vu une montée des extrêmes, on a vu des partis qui se disent centristes qui également se sont développés, les partis écologistes. Vu d’ici, dans les studios de RCF à Reims, on ne ressent pas cette même évolution politique du côté des États-Unis. On a l’impression qu’on a toujours parlé ou de républicains ou de démocrates. Alors est ce que les Américains finalement sont cantonnés à un choix ou à un autre ?
Leur système est profondément bipartisan ou du moins polarisant entre les deux partis. Ne serait-ce que parce qu’avec le système à deux étages et des grands électeurs, et des États qui pour la plupart sont du type the winner-take-all, c’est à dire le majoritaire prend toutes les voix de grands électeurs de l’État, il y a une pression à la polarisation qui est considérable. Mais à l’intérieur, c’est ce qu’on risque de voir sur la chambre des représentants cette fois-ci, on a sur les parlementaires des différenciations qui sont assez considérables. Il y a des démocrates du Sud qui n’ont pas grand-chose à voir avec Alexandria Occania Sanchez qui est parmi les plus progressistes entre guillemets, parce que je ne suis pas toujours sûr que les plus partisans de l’affirmation des communautés soient en fait la politique la plus progressiste du point de vue de l’intérêt de leur parti, mais aussi de l’intérêt du pays. Donc on voit une tendance centrifuge et des tendances à la fragmentation. Les États-Unis ont longtemps admis les fragmentations, un peu comme le Canada, mais parce qu’elles n’avaient aucun débouché politique. Il est à craindre que les choses changent.
On voit aussi une violence politique totalement inhabituelle. Les saccages de permanences électorales ne s’étaient jamais produit aux États-Unis, or il y en a eu plusieurs cette fois-ci. Donc, c’est aussi les signes de polarisation et de même que l’on voit apparaître un Musk sur la scène politique qui est finalement en quelque sorte un libertarien, c’est-à-dire quelqu’un qui pense que la liberté individuelle prime tout, c’est que celui qui gagne c’est très bien pour lui, et celui qui perd c’est tant pis pour lui. Donc c’est quand même un signe de voir apparaître au premier plan quasiment en bras droit de l’un des deux candidats, un personnage comme cela, c’est inquiétant. Et pour finir, ce qui est encore plus inquiétant, c’est que Trump n’est pas tout jeune, il commence aussi à avoir quelques signes de diminution intellectuelle et le vice-président est un individu dangereux, cela je peux le dire carrément, relié à une secte chrétienne. Mais les sectes, quelle que soit leur religion, sont dangereuses, n’est-ce pas ? J’allais dire, c’est un intellectuel et les intellectuels idéologues à la vision tunnellaire et implacable, sont extrêmement dangereux. Parce que par exemple, les pires assassins, les pires horreurs nazies, ont été faites par des intellectuels, comme Heydrich en Tchéquie, comme Franck en Pologne, ou même Von Dem Bach-Zelewski pour les sections spéciales qui tuaient des centaines de milliers de personnes une à une par balle. Donc il faut bien s’inquiéter quant à l’intellectuel dogmatique qui risque d’arriver au pouvoir parce qu’il sera dans sa logique et celle-ci peut être extrêmement mortifère. Or ce type risque de se retrouver président si par défaut Trump se retrouvait avoir des misères en cours de mandat. Et d’autre part, même si Trump tient la distance, en tant que vice-président et bien organisé, il a des chances d’être dans la meilleure position pour conquérir l’appareil républicain et être le candidat de la fois d’après.
Et bien, c’est sur cette piste de réflexion que l’on se quittera pour aujourd’hui. On vous dit à la semaine prochaine certainement pour cette fois échanger sur les résultats. Même si les Américains sont appelés aux urnes le 5 novembre, il faudra patienter quelques heures, quelques jours supplémentaires pour en connaître le résultat définitif, tant les deux candidats Kamala Harris et Donald Trump sont au coude à coude. A très bientôt Professeur.
À très bientôt.