Jacques HM Cohen 5 2 2025
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen, en ligne avec nous, Professeur Bonjour.
Bonjour.
Et dans la continuité de la semaine dernière, on va continuer de parler de Donald Trump, le président américain, entre infantilisme et sénilité. C’est l’objet dont vous voulez nous parler aujourd’hui, Professeur, pourquoi cela ?
Et bien ce n’est pas seulement moi qui parle, c’est Trump qui continue à parler chaque jour durant, démasquant un peu plus son état mental. Il y a déjà eu, en surplus de ma chronique précédente, plusieurs signes d’alerte sur son état mental. Non seulement il raconte n’importe quoi, mais il vit dans un monde de la construction mentale magique qu’il produit instantanément.

Fantasme d’un nouveau Gaza généré par un IA indigente avec des ponts qui ne vont nulle part etc etc. Aux antipodes de l’idée initiale de … Shimon Perez qui rêvait d’un Gaza, Singapour de la méditerranée, développé par les Gazaouis eux-mêmes, Et d’un commerce intriqué avec Israel comme « hinterland ».
Il y a eu la semaine dernière un épisode curieux sur CBS, il a expliqué que le missile russe Orechnik dont les États-Unis n’ont pas d’équivalent pour l’instant, et bien ce n’est pas vrai c’était un truc américain. Et il y a un « bad guy » qui en a filé le plan aux Russes. Alors le journaliste lui a demandé immédiatement mais pourquoi on ne l’a pas construit nous-même si nous avions le plan ? Et ben non, on n’avait plus le plan parce qu’il n’y avait qu’un seul exemplaire, a-t-il répondu avec le plus grand sérieux. La presse occidentale a fait semblant de prendre cela pour une plaisanterie, pour une blague. La presse russe, ou plutôt le porte-parole de Poutine, a commencé par dire que c’est quand même le signe de quelque chose qui n’allait pas bien, et derrière il a eu la consigne, probablement du Kremlin, d’arrêter, parce que finalement un président US qui s’enfonce tout seul du point de vue de Poutine, c’est pas mal pour quelques temps, pour quelques temps seulement mais pour l’instant, c’est toujours cela de pris du point de vue de Vladimir Poutine.
Alors qu’a-t-on eu cette semaine dans la série des choses invraisemblables ?
On a eu cette proposition de faire de Gaza la Riviera ou la Côte d’Azur à l’autre bout de la Méditerranée, que ces pauvres Palestiniens qui vivaient au milieu des ruines on allait leur construire des endroits vachement chouettes, 5, 6, 10, 12 s’il le fallait, à travers tout le Moyen-Orient, on y mettrait les moyens qu’il faut et qu’ensuite sur le terrain déblayé on allait y construire un espèce de nouveau Bahreïn, etc, etc. Et que les pauvres ils auraient d’ailleurs aucune envie ni besoin de revenir dans ce coin pourri complètement changé par les nouveaux travaux, puisqu’eux ils auraient déjà leurs emplacements géniaux, etc, etc.
Donc ce raisonnement infantile, bien évidemment rejeté par tout le monde, d’annoncer qu’il ferait cela sous forme d’acheter le pays, on ne sait d’ailleurs pas très bien à qui il allait l’acheter, tout cela en fait n’a ni queue ni tête, ne tient pas debout. Comme on dit en anglais, il était « out the box », et là le box de Gaza c’est quelque chose d’assez curieux. Il faut voir aussi que comme toujours, il a reconstruit cette vision magique à partir de lambeaux d’autres choses. Il y avait, ou il y a, ou plutôt maintenant il y avait, des projets de construction de quelque chose de gigantesque, de super Bahreïn à Gaza, en continuant le passage des bulldozers pour faire quelque chose de nouveau, et bien évidemment pendant les travaux, si je puis dire, on ne va pas laisser la population dans le chantier.
Ce plan-là comportait une petite étape discrète qui était de déplacer légèrement les gens temporairement, avec le risque justement ou la chance selon les points de vue, de les voir s’habituer à aller ailleurs ou partir pour aller dans le vaste monde. Et la proposition de Trump qui dit franchement que les Palestiniens n’y remettront jamais les pieds, on peut dire vulgairement, qu’il fout tout cela par terre. Or cette opération-là, elle comportait beaucoup d’argent, elle comportait des opérations grandioses pour les promoteurs immobiliers, pour le BTP américain, et ce sont des gens qui ne sont pas d’habitude des gens qui ont le sens de l’humour quand on leur fait perdre de l’argent.
Tout ceci fait penser que Trump ne restera pas bien longtemps, soit délicatement pour raison médicale, soit il va se faire abattre un de ces jours. Parce que le milieu du BTP aux États-Unis est quand même très lié à la mafia pour dire les choses froidement et que de perdre de l’argent massivement comme cela , en foutant en l’air un aussi beau plan, je ne pense pas qu’il sera aisément pardonné.
Alors il y a des gens qui disent que c’est quelque chose de beaucoup plus machiavélique qu’il a derrière la tête, un plan tout à fait réaliste, mais qu’il commence par une annonce invraisemblable comme technique de négociation façon bulldozer etc. De ce point de vue-là, on peut avoir ce raisonnement. Mais malheureusement comme vous savez et comme disait Michel Rocard, entre le complot et la connerie il faut toujours retenir l’hypothèse de la connerie comme beaucoup plus probable. Donc même Netanyahou le regardait avec des yeux assez incrédules, si vous avez regardé la conférence de presse. Il avait l’air médusé en entendant ces âneries, et ensuite il en a rajouté une louche en encensant Trump.
Je crois que les choses vont continuer. C’est à dire que Trump représente un mélange entre la régression infantile dont j’ai parlé la semaine dernière, du raisonnement d’un enfant qui n’a pas voulu grandir depuis 75 ans, et des éléments de sénilité indiscutables. Ce qui conduit à la question de son « Impeachment » comme on dit aux États-Unis, c’est à dire de constater qu’il n’est pas en état de gouverner.
Or c’est très particulier parce que comme d’habitude le système américain a très peu de règles. Il y a une règle très simple, mais il n’a pas beaucoup de variantes pour cette situation. Le Président est mort ou incapable pour une raison ou pour une autre, le vice-président récupère la place jusqu’à la fin du mandat et non pas comme chez nous, le président du Sénat pour 2 mois pour organiser des élections.
Or le problème, c’est que si Trump est, en terme vulgaire, un cinglé picaresque et tartarinesque, Vance c’est le contraire, c’est un cinglé froid, c’est un partisan d’une secte et un individu finalement beaucoup plus dangereux. Parce qu’un intellectuel dogmatique, c’est plus dangereux qu’un individu changeant d’avis comme de chemise et même plus souvent. Ce qui donc peut conduire s’il reste en place longtemps, à nouveau à des catastrophes. Mais là il y a un autre aspect, c’est que Trump tient la chambre et le Sénat, il a mis comme speaker de la chambre Johnson, c’est à dire un type choisi précisément pour ne pas faire d’ombre et donc on ne peut pas le désigner comme un intellectuel visionnaire non plus. Or, il se trouve que c’est justement lui le suivant, parce que si Vance pour une raison ou pour une autre saute lui-aussi, c’est à son tour, et à son tour jusqu’à la fin du mandat. Mais de toute façon, en regardant la situation de Vance au pouvoir, les choses changeraient très rapidement. C’est à dire que les parlementaires vont se rebiffer, vont se rebeller en pensant que les élections chez eux seront à mi-terme, sont à 2 ans seulement, et qu’un cirque catastrophique présidentiel serait très mauvais pour eux et les choses vont éclater sur des intérêts locaux. C’est à dire sur les intérêts de tel État, celui d’où sont issus tel et tel parlementaire, qui plus est les intérêts qui vont être divergents d’un Etat à l’autre, donc dans un paysage qui risque d’être sérieusement bigarré.
D’autre part, les administrations centrales, si Trump réussit encore à tenir quelques semaines, il aura fini de les mettre au pas et de virer les gens purement et simplement, auquel cas ils n’auront pas les moyens d’organiser son remplacement ou sa mise en tutelle en douceur. Parce que l’autre hypothèse c’est la mise sous tutelle. On l’a bien vu pour Biden, qui a fini son mandat sérieusement cornaqué par le personnel de la Maison Blanche et ne gouvernant plus. On peut remonter dans le temps, il y a déjà eu des précédents, mais jamais dans ce contexte où l’administration n’avait pas les moyens de contrôler. Les précédents, c’est Reagan qui a terminé complètement gâteux, mais comme il était acteur quand il était un peu plus jeune, il pouvait encore lire un prompteur et cela passait, parce que les deux puissances principales, le département d’État et le Pentagone, étaient d’accord.
Il y a eu une autre situation qui posait problème c’est celle de Nixon qui, contrairement à ce qu’on dit en Europe, n’était pas du tout au départ quelqu’un de minable ou d’un peu foutraque, mais qui l’est devenu en finissant dans un alcoolisme épouvantable, ce qui a conduit les mêmes puissances et la communauté du renseignement à lui organiser un traquenard avec le Watergate de façon à pouvoir s’en débarrasser. Mais là, Trump a pris les devants, si je puis dire, dans une vaste purge dans l’administration qui va empêcher l’administration de lui organiser une camisole politique plutôt qu’une camisole physique.
Quoi qu’il se peut que les choses aillent plus vite qu’on pourrait le penser, auquel cas les administrations américaines garderaient un pouvoir pour limiter la casse, mais ce n’est pas sûr du tout. En tout cas au niveau politique on voit déjà une chose, c’est l’émergence de Rubio le secrétaire d’État désigné. Donc le « ministre des affaires étrangères ». Rubio s’est déjà opposé à Musk et à la suppression d’USAID, non pas sur le fait que ce n’est pas bien d’empêcher l’aide aux pays sous-développés, mais parce que Rubio sait très bien que l’USAID est un instrument de politique étrangère américaine considérable et que de le liquider est absolument stupide. Et donc on peut très très bien voir Rubio prend du poids si les gens se battent dans l’entourage de Trump devenu potiche ou dans l’entourage de Vance une fois peut-être Trump dégagé, je pense que Rubio a une chance très importante de devenir un homme fort parce que lui c’est un homme politique qui a les pieds sur terre, quoi qu’on pense des opinions politiques qu’il développe.
Du côté des patrons de la high tech , les milliardaires libertariens, il y a déjà du tangage. La plupart se sont réfugiés dans une prudente expectative silencieuse, sauf Musk bien sûr dont on reparlera sans doute assez vite. Mais au contraire son acolyte désigné par Trump pour le DOGE ( la structure destinée à liquider des pans entiers des administrations publiques des USA ) s’est opposé aux vues simplistes de Musk et à déjà quitté le navire.
Merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés aujourd’hui. On se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle chronique d’actualité. A très bientôt.
À très bientôt.