JHM Cohen 2 novembre 2025
sur les ondes de RCF :
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Avec nous aujourd’hui, le Professeur Jacques Cohen. Jacques Cohen, Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous. Alors c’est vrai que dans questions d’actualité, on parle évidemment de sujets internationaux. Et alors, on a appris il y a quelques jours la décision de Donald Trump de mettre fin au traité d’interdiction des essais atomiques. Traduction, cela veut dire que en tout cas lui il s’autorise à faire des essais atomiques. Est-ce que cette décision vous paraît logique, Jacques Cohen ?
Malgré les apparences, cela ne l’est pas du tout. Cela ne l’est pas du tout, il faut reconstituer les méandres de la pensée trumpienne pour comprendre d’où elle sort, parce qu’elle représente un énorme gaspillage financier pour les États-Unis et une erreur politique majeure.
Usinage de la matière fissile sous forme de cylindre a une bonne raison…
Il faut reprendre au point de départ : les États-Unis et l’Union soviétique, à l’époque, se sont mis d’accord pour arrêter les essais atomiques. La France a traîné un petit peu jusqu’à ce qu’elle soit capable de faire de la simulation, c’est-à-dire pouvoir moderniser ses armes sans avoir besoin de faire sauter des vraies bombes. Pour faire de la simulation, il fallait à la fois d’énormes moyens de calcul et des lasers de très forte puissance. On en a un en France, le laser mégajoule, et puis il y en a un au Lawrence Livermore, et les Russes en ont un également, mais en tout cas cela revient très cher et c’est un ticket d’entrée très élevé. Pourquoi les États-Unis, l’Union soviétique et la France se sont organisés pour arrêter les essais et la Chine a été obligée de suivre.
C’est que cela permettait de fermer la porte derrière soi. C’est-à-dire que si on n’est pas capable de faire des simulations, on peut reproduire des bombes à l’identique, mais on ne peut pas faire de nouvelles bombes. Or, les nouvelles bombes elles ont des particularités sur leur diamètre, sur leur puissance variable, des choses comme cela. Et elles sont prévues par exemple avec un peu de sel et de poivre pour faire des détonations électromagnétiques ou pour faire des bombes à neutrons, etc, etc.
Bref, on ne peut pas continuer à raffiner le modèle si on n’est pas capable de le simuler, puisque dans ce système il est interdit de faire des essais pour de vrai.
Et alors, pourquoi Trump a-t-il décidé qu’il referait des essais pour de vrai, alors qu’il a dépensé comme tout le monde, si je puis dire, énormément d’argent pour avoir une position verrou, une position hégémonique à ce que les essais n’aient plus lieu, alors que cela fermait la porte aux nouvelles puissances qui voulaient en faire en douce ? Tout simplement parce que les Russes ont annoncé qu’ils avaient deux armes nouvelles : une torpille nucléaire qui vole quand même, si je puis dire, enfin qui flotte à une bonne centaine de kilomètres/heure. C’est quand même un super hors-bord, et cela va plus vite qu’une torpille standard. Et puis, un missile qui peut faire trois fois le tour de la Terre, sur le même principe c’est un missile dont l’énergie est nucléaire.
Au passage j’ai remarqué que les Américains n’ont pas tellement tiqué sur le fait que c’est une arme extrêmement sale, parce que ce n’est pas un réacteur standard, il s’agit de faire dans une tuyère une mini-réaction atomique qui donc crache tous les produits de cette réaction, mais qui a une énergie fantastique et qui donc peut faire avec un poids considérable, deux ou trois fois le tour de la Terre si on veut, choix des Russes comme souvent de faire dans le maous, si on peut dire.
Et Trump a eu comme réaction, de toute façon il n’a pas dit du tout que c’était une arme très sale qui allait asperger toute la surface de la Terre. Non, non, il a dit « de toute façon ils peuvent toujours faire trois fois le tour, nous on a planqué un sous-marin atomique à deux pas de leurs côtes et donc si jamais ils sortent un missile, on le tapera depuis ce sous-marin ».
Ce qui est sans se rendre compte de l’énormité de la bêtise que cela représentait en matière de prolifération. Le raisonnement de Trump il est extrêmement simple, c’est la prolifération on l’empêche nous-mêmes. Et donc que les gens aient les moyens ou pas de faire des bombes, cela n’a pas d’importance. Sauf qu’on a vu que ce raisonnement pour l’Iran, il ne fonctionne pas. Et donc les Israéliens ont considéré à juste titre que les Iraniens allaient finir par faire des essais rapidement. Et donc Trump facilite en fait la prolifération en n’interdisant plus, n’ayant plus de traité qui interdise les essais pour de vrai. Parce qu’après, quand les essais sont faits, il faut encore éventuellement mesurer si les gens ont réussi leur bombe, s’ils ont un peu triché à annoncer qu’elle fonctionnait bien alors qu’elle a un peu fusé, c’est un pétard un peu mouillé, cela dépend. Enfin tout cela, les États nucléaires ont une puissance considérable qui a été développée justement pour faire de l’analyse, pour étudier les essais du voisin, ou de celui d’en face.
Donc vous-même, vous nous dites aujourd’hui, Jacques Cohen, qu’il n’y a pas d’explication rationnelle dans cette décision qui pourrait apparaître surprenante de Donald Trump.
Je crois qu’on n’est pas dans le domaine de la raison, on est dans le domaine du gamin qui dit « l’autre il a ramené à l’école une bagnole à pédales, ben moi j’en ai une mieux et elle a une batterie », etc, etc.
cela veut dire aussi que cela peut permettre à d’autres puissances potentielles de faire des essais.
Ben oui, évidemment, parce qu’ils auront certes l’opprobre de faire des essais. On ne parle que d’essais souterrains, les essais dans l’atmosphère plus personne n’oserait en faire, c’est quand même très très sale. Mais c’est beaucoup plus simple de dire « ben j’ai fait des essais » ou de tricher un peu pour dire « oh ben non, on n’a pas fait d’essai » que dans une situation où personne n’a le droit d’en faire et tout le monde se surveille.
Pas d’explication rationnelle, mais par exemple qu’en pensent les autres ? Par exemple, actuellement Donald Trump rencontre le Premier ministre chinois. Qu’en pensent par exemple les Chinois de tout cela ? Ils regardent cela avec du recul, ils se disent mais c’est encore quelque chose qui est surprenant.
Eux, ils raisonnent en termes de puissance industrielle montante et de puissance technologique montante. Ils avaient un stock de têtes nucléaires qui était à l’échelle de notre pays, pas énorme, petit. Ils ont décidé qu’ils en auraient suffisamment pour équilibrer, c’est-à-dire pouvoir ratatiner deux fois, trois fois, les pays qui sont leurs ennemis potentiels. Et donc au lieu d’avoir 200-300 têtes, ils sont censés monter à un millier, je ne sais pas exactement ce quel est leur objectif, parce qu’ils n’annoncent rien. Et Les Russes ont également des têtes en nombre important, les Américains sont certainement ceux qui en ont le plus, alors que le traité correspondait à équilibrer le nombre de têtes pour dire qu’on va arrêter de faire des bombes pour tuer deux fois ou trois fois les gens, cela ne sert pas à grand-chose une fois qu’ils sont morts. Et bien là, l’annonce de Trump c’est ce n’est pas grave, puisque les Chinois ont beaucoup de têtes, on va les battre sur les sous-marins, où on a encore une efficacité supérieure que les Américains. Et ceci dit d’ailleurs, tout cela c’est un pari parce que la particularité des sous-marins, c’est d’être discrets. Mais rien ne nous dit qu’on ne finira pas par trouver les moyens de les observer au fond de l’eau, comme s’ils étaient au milieu de la pièce. Or, les sous-marins, c’est technologiquement très compliqué. Il faut considérer qu’il faut au bas mot 5 à 10 ans pour construire des sous-marins, et qu’éventuellement ils sont périmés avant d’être sortis. Donc là, le fait de parier sur leur avance technologique est aussi le risque de ce que l’avance technologique soit battue par une innovation technologique. Et pour l’instant c’est ce que font les Chinois, ils choisissent des innovations technologiques, par exemple pour les porte-avions ils ont choisi de faire des catapultes électromagnétiques, ce que les Américains ont fait aussi, alors que tout le monde fonctionne à la vapeur. Et d’ailleurs Trump est en train de dire que les catapultes américaines ne sont pas au point, parce que comme vous savez cela ne le gêne pas d’expliquer qu’il a gaspillé plein de fric, que les États-Unis ont gaspillé plein de fric pour des catapultes qui ne marchent pas, ce qui doit rendre les militaires américains assez jaunes et grincants, et qu’on ferait bien de revenir à des catapultes à vapeur. Or, justement, les Chinois ont fait le choix de se passer aux catapultes à vapeur. Je vous signale que nous sommes incapables de faire des catapultes à vapeur et que les catapultes du futur porte-avions Charles de Gaulle, et bien elles sont dépendantes de la technologie américaine.
Jacques, on vous écouterait bien entendu pendant des heures, évidemment, parce que c’est un sujet qui est passionnant et qui passionne un certain nombre de personnes qui suivent ces questions, et qui ne sont pas trop trop connues du grand public. En tout cas merci de nous y avoir initiés, de nous avoir éclairés, et puis on se retrouve très prochainement, en tout cas la semaine prochaine.
Hélas, hélas, l’actualité est bondissante et rebondissante et on a, si j’ose dire, des nouveautés toutes les semaines ces temps-ci.
Merci Jacques, merci Jacques Cohen d’avoir été avec nous et si vous le voulez bien à la semaine prochaine. Au revoir.
Dernière minute !!
Donald Trump reconnaît presque exceptionnellement qu’il s’est trompé. Qu’il a lu une note de travers pas ou jusqu’au bout. Et qu’il a confondu les « nano » essais sous-critiques et de vraies bombes mêmes de faible puissance. En effet, pour faire une « petite » bombe, il ne suffit pas de mettre moins de matière fissile. La réaction en chaîne de s’amorce pas sans masse critique. C’est même le brevet initial français de 1939 ! Si la simulation « pure » ne comporte pas de réaction en chaîne toutes les puissances nucléaires USA comprises ou réalisées des essais sous critiques de très faible puissance, sans réaction en chaîne. Ces essais ont nécessité de grande puissance de calcul et modélisation pour pouvoir en tirer des leçons. Tout le monde l’a fait sans le dire, mais Donald T lui ne s’est pas demandé pourquoi. Et il n’a pas vu malice à l’avouer de la part des USA. Pourtant le raisonnement faisant durer le traité de 1962 au profit des puissances nucléaires établies au détriment des potentiels nouveaux arrivants fait consensus entre les puissances nucléaires Au point que c’est Pechkov, le porte-parole de Poutine qui s’est obligeamment dévoué pour expliquer à Donald la différence entre propulsion nucléaire et explosion nucléaire !
Un petit bonus : la Java des bombes atomiques de Boris Vian :
A la semaine prochaine.
