JHM Cohen 07/11/2025
sur les ondes de RCF : lien: « https://www.rcf.fr/actualite/chronique-dactualite/embed?episodeId=630885 »
La chronique d’actualité cette semaine avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Jacques, bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous et on va s’intéresser à un phénomène dont les Français ont certainement entendu parler cette semaine et même toutes les dernières semaines, j’allais dire. Shein, cette marque asiatique symbole de l’ultra-fast-fashion à bas coût. « Shein, de la police de l’uniforme à la police de la pensée », Jacques Cohen, pourquoi ce titre pour nous parler de cette enseigne chinoise ?
Parce qu’il y a deux choses significatives et assez différentes, mais qui finalement il y a un continuum. D’abord, il y a des gens qui veulent absolument que l’on soit vêtu de peaux de bêtes, ah non ils n’aiment pas les peaux de bêtes, que l’on ne se prenne qu’une tenue par an, qui disent que c’est très vilain de vouloir suivre la mode et qu’elle soit à bas coût, qu’elle soit à bas prix.
C’est le retour à une police de la pensée qui décide que la police de l’uniforme. Et comme son nom l’indique que tout le monde s’habille pareil. On retombe à l’époque du Président Mao, une salopette bleue par an et pour tout le monde, et rien d’autre. C’est tout à fait une dictature de l’habillement Et d’ailleurs la population à qui on s’évertue d’expliquer que c’est très vilain de vouloir plaire, de vouloir prendre des vêtements pas chers et d’en changer
un uniforme par an et par personne…
Et bien la population , elle ne suit pas parce que de toute façon les pisse-froid, les ayatollahs et toutes les variétés de Tartuffes ‘d’ailleurs au passage, les gens finissent par les envoyer promener, comme tous les Savonaroles et autres prédicateurs de l’austérité généralisée.
Donc ça, c’est déjà un élément. Bien sûr, en plus il y a des arrières-pensées, ce sont les producteurs de textiles qui ne sont pas incapables de produire moins cher au lieu de suivre les technologies, en particulier du commerce en ligne, qui considèrent que c’est un scandale que des gens fassent mieux que d’autres et en particulier fassent mieux que ceux qui ont des situations acquises en France et qui pensaient les garder ad vitam æternam. Et donc malheureusement, il faut considérer que si les gens choisissent les fringues les moins chers parce qu’il y a des gens qui arrivent à en produire moins cher, et bien il faudra qu’il se fasse une raison. Quant au fait de de dire que c’est parce que leurs travailleurs sont mal payés, malheureusement, je n’ai pas l’impression qu’il y ait une grosse différence entre ce que payent, dans les mêmes pays, ce que payent les sous-traitants des fringues occidentales ou françaises ou européennes, et ce que paye Shein chez eux.
Alors déjà, Shein ça m’avait frappé et j’en ai fait une chronique il y a quelques années, c’est que pour moi Shein c’était la transcription du Shein en yiddish c’est-à-dire schön, et cela réfère à une chanson qui est « Bei mir bist du schön », « pour moi tu es la plus belle ». Et bien c’est normal que les gens aient envie d’être la plus belle ou le plus beau, et tous les ayatollahs de la dictature de l’uniforme n’y arriveront pas, je peux vous le prédire.
Alors il y a un deuxième sujet qui est mis en avant et qui lui est plus compliqué à comprendre. On voit que Shein a vendu des poupées gonflables infantiles si j’ose dire, de petites filles et c’est très vilain, se sont de très vilaines pensées, mais là la question est plus délicate. Déjà, il n’y a pas de dommage, parce que ces poupées on ne va pas exiger qu’elles aient plus de 18 ans. Ce sont des poupées purement et simplement. Et donc il y a des fantasmes. Alors savoir si c’est bien ou mal d’avoir des fantasmes c’est autre chose, Ce n’est pas le mien évidemment. Mais il s’agit de police de la pensée parce qu’il y a qu’une grande question : est-ce que les fantasmes sont l’exutoire qui évite le passage à l’acte ou au contraire est-ce que le refoulement ne conduit au passage à l’acte ? C’est une toute autre question, Mais de toute façon pour les ayatollahs de la police de la pensée s‘il s’agit d’interdire les poupées gonflables moins de 18 ans, un âge où les ados n’ont guère besoin poupées gonflables ! C’est d’ailleurs assez ahurissant.
Parce que là, on en arrive très vite à interdire la pensée de ceci ou cela. Et puis où va-t-on s’arrêter ? Est-ce que les jouets sexuels, autrefois en français des godemichets, qu’est-ce que ça va être permis, pas permis ? Est-ce qu’il faut interdire certains types et d’autres ? Est-ce qu’on va se retrouver avec une mesure des plugs anaux, comme des ablettes à remettre à l’eau ou des choses de ce genre ? On est dans un délire rigoriste et de police de la pensée normative qui est tout à fait inquiétant. D’autant que du point de vue pénal, je ne vois pas ce qu’on peut reprocher. Il n’y a pas de dommage puisqu’il s’agit de penser de la part des gens à ceci ou cela. Ils ne vont rien faire à autrui.
Et d’ailleurs, il est probable que ces fantasmes permettent que justement ils soient purgés et que les gens qui font ça, qui s’amusent avec ça, ne fassent pas autre chose. Et donc je ne vois pas très bien comment on va pouvoir trouver une qualification pénale. Ce n’est pas une incitation de mineur à la débauche ou ce que vous voulez, puisque ce ne sont pas des mineurs, ce sont des bouts de plastique. C’est quand même très symbolique et très symptomatique d’une société qui est à la veille d’un enfermement rigoriste et normatif, une police de la pensée qui va dire aux gens ce qu’ils ont le droit de penser ou de faire, ce qui est quand même tout à fait inquiétant. Encore une fois, dans mon propre cas, si je puis dire, je suis parfaitement réfractaire à ce genre de choses, je n’ai jamais utilisé, et cetera, et cetera. Mais je ne vois pas pourquoi on interdirait aux gens d’utiliser ce qu’ils veulent pour se faire plaisir.
Justement, Professeur Jacques Cohen, par rapport à l’analyse que vous proposez, on sait que ces poupées sexuelles qui ont été vendues sur Shein, le gouvernement français a engagé une procédure de suspension de la plateforme en France. C’est plus ça qui vous interpelle de vous dire finalement pourquoi engager cette procédure alors que finalement il n’y a pas d’élément pénal qui permet de justifier cela ?
Il n’y a pas de dommage. Il n’y a pas de dommage, il y a simplement des fantasmes que les gens assument ou pas. Et donc il s’agit de rentrer dans un sujet extrêmement dangereux et glissant, si je puis dire, qui est : est-ce que la pensée de ceci ou cela va être interdite ? Et on va trouver d’ailleurs j’allais dire de la contrebande, comme toute prohibition, ces machins vont augmenter de prix, et puis auxquels faut-il s’arrêter, ou d’ailleurs faut-il s’arrêter à une catégorie ou une autre. On est dans une préparation d’un monde normatif de la police de la pensée, selon Orwell, qui est tout à fait inquiétant.
Est-ce qu’on est peut-être plus arrivé finalement à une opération de communication qu’à une véritable opération efficace, Jacques Cohen ?
Mais ce n’est pas seulement une opération de communication, exorcisme ! Mais je ne vois pas sur quel chef va-t-on pouvoir interdire et réprimer l’usage des poupées gonflables ? On passe dans le ridicule.
Et bien en tout cas, Professeur Jacques Cohen, on vous remercie de nous avoir éclairés sur Shein. On rappelle le titre de votre chronique : de la police de l’uniforme à la police de la pensée, Jacques Cohen. On retrouve plus d’informations sur votre blog jhmcohen.com.
Et pour un aspect beaucoup plus positif, écoutez dans ma chronique précédente le florilège, les différentes versions de « Bei mir bist du schön », qui est une jolie musique Klezmer, et qui est passée dans toutes les langues. Il y a même une version japonaise, et la version française bilingue française-yiddish est de Molly Picon dans les années 30. Donc là je vous encourage à écouter des choses beaucoup plus paisibles et agréables qui sont de dire à sa belle combien on la trouve belle justement, et que l’on est prêt à lui faire des tas de choses.
Vous nous aviez fait ce petit teasing en début de chronique effectivement. On invite les auditeurs de RCF à retrouver vos chroniques précédentes, c’est toujours sur votre blog jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.
https://jhmcohen.com/2024/03/21/ultra-fast-fashion-bei-mir-bist-du-shein/
À bientôt.
