Nodulose bovine, un imbroglio réglementaire international.

J HM Cohen 29 12 2025

Nodulose bovine, un imbroglio réglementaire international.

Sur les ondes de RCF: LIEN: »https://www.rcf.fr/actualite/chronique-dactualite/embed?episodeId=643774″

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Professeur, Bonjour.

Bonjour.

Et en cette fin d’année, vous nous parlez d’un sujet qui fait écho bien évidemment sur les chaînes d’information, dont les auditeurs de RCF ont certainement entendu parler, d’ailleurs sur les programmes aussi de RCF. La dermatose nodulaire contagieuse bovine, qu’on appelle de manière plus courante la nodulose bovine, un imbroglio réglementaire international, c’est le titre de votre chronique d’actualité aujourd’hui, Professeur. Quel est le fond du problème ?

C’est du moins le fond ou l’arrière-fond du problème, c’est que l’aspect scientifique de la question est surdéterminé par un aspect réglementaire, lequel est géré de façon j’allais dire tranquille et en fait archaïque, et que donc les solutions prophylactiques et thérapeutiques ne correspondent pas du tout à ce qui pourrait être fait. Et du coup, les éleveurs ne comprennent pas très bien qu’un coup on abat, un coup on vaccine, et on va essayer d’expliquer l’arrière-plan de cette affaire.

Et bien justement, Professeur, on va vous laisser expliquer les arrière-plans.

Les lésions nodulaires rassemblent un peu a la variole

 

La réglementation, c’est qu’un pays doit être exempt de nodulose bovine, sinon il n’a pas le droit d’exporter. On est exempt tant qu’on a zéro cas, ou du moins tant qu’on n’en a pas beaucoup, qu’il n’y a qu’un foyer qu’on peut prouver qu’on l’a éradiqué.

Donc, dans un premier temps, on essaie de démontrer qu’il y a eu 3-4 cas, mais qu’on les a complètement éliminés et que le pays est indemne.

L’ennui, c’est que quand cela déborde, quand les cas continuent, la situation devient un imbroglio. D’abord parce qu’il y a un vaccin, il y a un vaccin qui marche pas mal tout. Seulement, la réglementation internationale est que si vous vaccinez vous ne savez plus si votre population bovine est porteuse ou malade, ou si elle est indemne.

Alors c’est complètement archaïque parce qu’il y a des moyens de distinguer des anticorps vaccinaux des anticorps de la maladie, mais on n’a pas fait énormément d’efforts. Et là, le « on », il est collectif, c’est international. On n’a pas fait énormément d’efforts pour pouvoir déterminer si les bovins sont malades ou pas, et s’ils sont vaccinés ou pas, ils dissocient les deux.

C’est sûr que la logique scientifique, cela serait d’avoir les moyens de savoir ce qu’il en est au point de vue de la circulation réelle du virus et de la protection accessoirement, et non pas d’avoir cette situation invraisemblable où comme on n’a pas fait beaucoup d’efforts pour pousser les pays peu développés à accepter une réglementation qui permette que l’on distingue qui est vacciné de qui n’est pas vacciné, et bien on est coincé. Donc on se retrouve avec d’abord une situation où on n’a pas voulu vacciner, parce que vacciner cela revient à interdire l’exportation de tous les animaux qu’on a vaccinés, puisque la réglementation internationale est comme je vous l’ai dit archaïque. Et puis ensuite, alors qu’on n’a pas voulu vacciner et qu’on s’en remet à des moyens classiques d’éradication sous la forme d’abattage, et bien quand cela ne suffit pas à ce moment-là on vaccine un grand coup. Donc les gens ne comprennent pas du tout de quoi ils en retourne.

Au point de vue affectif bien sûr pour les éleveurs tuer le cheptel ce n’est pas enthousiasmant. Et ce qui est aussi relativement facile, c’est de regarder ailleurs et de ne pas chercher pourquoi la réglementation n’a pas évolué depuis 10 ou 15 ans, parce que les situations acquises, la difficulté des relations internationales, encore qu’elles aient bon dos, font qu’on n’utilise pas de moyens modernes. Et c’est dommage parce que nous avons quand même une industrie des vaccins où la France n’est pas mal placée, les vaccins animaux. Et faute d’avoir poussé à une réglementation moderne, nous avons du mal à vendre des moyens thérapeutiques, c’est-à-dire des vaccins, ou des moyens diagnostiques modernes qui seraient parfaitement utilisables pour cette maladie. Je voudrais quand même rassurer également nos auditeurs, la nodulose bovine est totalement incapable de tuer un seul humain. Nous sommes indemnes, nous sommes immuns, les hommes n’attrapent pas cette maladie.

Professeur Jacques Cohen, par rapport au problème que vous nous expliquez de cheptels qui pourraient être décimés, de ne plus pouvoir importer par exemple la marchandise française etc au travers des frontières, s’il y a des cas de nodulose bovine, ce qui est le cas aujourd’hui identifié en France clairement, on est quand même sur une crise sanitaire agricole qui pourrait devenir une crise financière pour toute l’économie agricole ?

C’est une crise financière majeure parce qu’à partir du moment où on choisit de vacciner, le raisonnement c’est que le pays est infesté, il faut donc vacciner pour que l’épidémie soit la plus brève possible et qu’on puisse repartir, j’allais dire, d’un bon pied ou les deux pieds dans le même sabot, et cela prend quand même du temps.

Et surtout, tant que le pays ne sera pas déclaré indemne, nous n’avons plus le droit d’exporter. Et nous avons une filière bovine considérable, de qualité, qui par exemple est surtout structurée avec des naisseurs et puis des nourrisseurs, et ensuite qui exportent d’ailleurs par exemple en Italie les bêtes de qualité pour les engraisser ensuite. Et tout cela, c’est patatras. Alors évidemment on finit toujours par dire « l’État va payer », alors l’État c’est tout le monde. Et donc en dernière analyse, on se retrouve à devoir couvrir des pertes alors qu’on n’a toujours pas mis au point un système d’assurance généralisée qui fasse que cela ne soit pas le contribuable en dernière minute qui soit sollicité pour tendre la sébile, mais que l’on ait un système qui permette qu’il y ait une mutualisation des risques et donc en quelque sorte une couverture qui soit intégrée dans les prix de la production bovine. Malheureusement, on est dans un système assez archaïque, aussi bien pour la couverture des risques infectieux que pour la couverture médicale, vaccinale, ou diagnostique.

Professeur Jacques Cohen, est-ce qu’il n’y a pas eu aussi des problèmes d’anticipation sur cette affaire, puisque finalement la nodulose bovine on en parlait dès cet été. Notamment je crois que cela a pris racine en Haute-Savoie d’abord pour la France, on a un petit peu laissé traîner, et là on se retrouve au cœur de l’hiver où ce sont l’ensemble des agriculteurs français qui se retrouvent confrontés à ces difficultés.

Il faut dire aussi qu’il n’y a pas que l’administration et le vétérinaire réglementaire qui ont traîné. Un certain nombre d’éleveurs ont préféré fermer les yeux et pouvoir dire que leur élevage était indemne. On peut toujours dire que si on avait été plus stricts, l’épidémie aurait peut-être, je dis bien peut-être, été jugulée plus vite, mais il est exact qu’on a tenté de circonscrire les premiers foyers. Ce qui était une tactique tout à fait admissible, puisque la bascule vers la vaccination impliquait une facture colossale, qui est plus de viande bovine française vendue à l’étranger pendant à peu près 6 mois dans le meilleur des cas.

De plus, nous n’avons pas de certitude sur la durée de l’épidémie. S’il n’y a pas de vaccination généralisée, à partir d’une certaine taille de réservoir viral, il est inéluctable qu’il y ait des résurgences et pour ce virus particulier qui n’est pas un virus respiratoire type grippe mais virus de type Pox comme autrefois la variole. Il faut se souvenir que lors de la dernière épidémie de variole en France en 1955, il y a eu une résurgence à partir de quelques magazines qui avaient été laissés à la disposition des gens mis en quarantaine….

La logique à partir du moment où on vaccine ce ne serait pas de vacciner autour des foyers initiaux mais de vacciner toute la population bovine. Seulement on n’a pas les doses pour cela. Le vaccin est très rustique et classique d’une souche vivante atténuée. Comme autrefois la vaccine protégeait de la variole. Pour produire ce vaccin il faut de la culture cellulaire à grande échelle et cela prend inéluctablement du temps.

Vous me direz qu’on aurait pu penser que les premiers foyers de sont pas de la dernière semaine. À vrai dire l’industrie du vaccin n’était sans doute pas enthousiaste pour fabriquer à grande échelle sans savoir si le vaccin serait vraiment utilisé ou pas. De la même façon les tests biologiques n’ont pas été développés plus qu’on n’en restait à l’idée qu’il suffirait d’étouffer les premiers foyers sans avoir besoin de vacciner largement.

Et aujourd’hui, Professeur Jacques Cohen, ce que vous nous dites c’est que scientifiquement de toute façon la nodulose bovine ne se transmet pas à l’homme.cela, c’est déjà une bonne nouvelle. Mais par contre, peut-être qu’on pourrait agir davantage scientifiquement plutôt que de manière archaïque sur la façon de traiter cette maladie auprès des cheptels et des bovins.

Il y a effectivement déjà à la question du vaccin et la question du diagnostic. On est parfaitement capable de mettre au point des diagnostics qui permettent de différencier un animal vacciné d’un animal infecté. Mais cela n’a pas été fait,cela n’a pas été anticipé, et on en est resté à un schéma de prophylaxie internationale archaïque, et on n’a pas essayé non plus de peser pour obtenir quelque chose de mieux. Alors qui est responsable ? C’est compliqué parce que ces choses, il y a le ministère mais on est dans un domaine où il y a une espèce de cogestion avec les organisations patronales et syndicales. Tout cela est, j’allais dire, à torts très partagés.

Professeur Jacques Cohen, vous n’avez toujours pas de boule de cristal, mais quelle suite peut prendre cette affaire ?

Alors il y a une conséquence latérale qui peut être ennuyeuse, c’est qu’il y a des jeunes gens écologistes au Conseil d’État qui trouvaient très bien de massacrer l’élevage bovin en France avant cette épidémie, en disant que on peut très bien réduire la production, et cetera, sur des arguments qui sont totalement fallacieux. Ne serait-ce que parce qu’ils n’ont jamais compris que les vaches laitières, une fois qu’elles sont réformées, si on n’en fait pas de la viande, et bien il faut les incinérer, et que cela fait quand même du CO2 pour la planète. De même, les déjections bovines ne sont pas aussi catastrophiques que cela parce que les prairies correctement fumées par les déjections bovines, etc, participent d’un cycle qui en dernière analyse recycle du CO2, mais bon. Donc il y a quand même une pression contre l’élevage, ce qui me paraît un préjugé idéologique déplorable. Et donc le fait de devoir liquider une grande partie du cheptel risque de conduire un certain nombre de gens à dire que puisqu’on en a beaucoup moins par hasard, et bien c’est l’occasion de dire qu’on n’a pas besoin d’autant de cheptels, donc d’autant d’agriculteurs, donc d’autant d’éleveurs, et ainsi de suite. C’est-à-dire de liquider la filière, ce qui me paraîtrait une assez belle connerie, puisque nous avons justement là une filière de viande de qualité, de laitage également de qualité, et où nous avons un poids important et des exportations tout à fait significatives, et que cela fait partie d’une espèce de masochisme d’auto-liquidation qui n’épargne pas même les jeunes auditeurs du Conseil d’État.

Et bien un grand merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur la nodulose bovine, un imbroglio réglementaire international. C’était votre chronique aujourd’hui, on retrouve plus d’informations sur votre blog, jhmcohen.com et on vous dit à très bientôt, en vous souhaitant tout de même de joyeuses fêtes, Professeur.

Joyeuses fêtes et joyeux Noël à tous.

En bref :

le virus de la nodulose n’est pas un virus respiratoire à diffusion rapide mais un Pox proche de la variole dans son épidémiologie. Les squames, les fèces et toutes les matières biologiques sont extrêmement tenaces et contagieuses tandis que l’incubation est longue généralement d’une quinzaine de jours. Comme la guérison en prend tout autant on est sur des cycles lents autour d’un mois. Et que des résurgences sont fréquentes. En revanche, la vaccination prend très bien et protège quasi totalement pour moins de trois ans.

Vacciner ou abattre ?

Contenu de la réglementation l’étouffement des premiers foyers par l’abattage était une décision logique. En revanche lorsque la vaccination de masse est décidée il n’y a guère d’intérêt abattre les troupeaux sachant que trois semaines plus tard tout le monde sera protégé. Le télescopage des délais administratifs d’abattage et de vaccination a perturbé les éleveurs voire les a rendus fous de rage.

Mettre en place des moyens diagnostiques et de différenciation malade/vaccinés. Tester les anticorps ou les souches virales.

mieux vaut tard que jamais et il faudra bien disposer de ces moyens pour faire évoluer la réglementation.

Laisser un commentaire