Jacques HM Cohen 19 10 2023
Sur les ondes de RCF: LIEN @en attente
Avec nous par téléphone on retrouve le Professeur Jacques Cohen pour sa chronique d’actualité. Professeur Bonjour.
Bonjour.
Dès le début des événements à Gaza, vous nous aviez parlé de leur caractère inhabituel et de l’absence de solutions politiques notamment pour les Israéliens, c’est le sujet de votre chronique aujourd’hui. Où en est-on Professeur ?
Et bien le point plus frappant c’est absence de solution politique pour tous les participants, si j’ose dire. Que ce soit le Hamas à Gaza, que ce soit les Israéliens ou que ce soit les Américains qui voudraient rester parrains de l’ensemble du Moyen-Orient, et accessoirement d’ailleurs les Russes aussi qui n’ont pas de solution transcendante, obligés de faire le grand écart. Si on commence par les Israéliens, le gouvernement de B Nétanyahou, parce qu’il avait une opposition qui était minoritaire mais qui grossit beaucoup depuis cette affaire. Ils ont depuis des années, depuis 2006, consciencieusement choisi d’avoir un adversaire extrémiste pour une guerre perpétuelle contrôlée, plutôt qu’une solution de paix avec deux États.

La rivière c’est le Jourdain. Il s’agit de supprimer l’Etat d’Israël et d’anéantir sa population ou de la rejeter à la mer..
Et en prime, ils ont laissé les colons extrémistes refouler et grignoter la Cisjordanie, ce qui en même temps grignote et effondre l’autorité de l’autorité palestinienne, c’est-à-dire les partisans chez les Palestiniens d’une solution à deux États. Bref, ils ont laissé se développer des extrémistes dont ils pensaient qu’ils resteraient extrémistes en paroles mais que, ayant un pays à gérer, en pratique ils mettraient de l’eau dans leur vin, un petit peu à la façon de Bachar al-Assad en Syrie. Or cela, cela s’est écroulé là sur cette attaque majeure du Hamas. Donc ensuite, ils disent qu’ils veulent exterminer le Hamas parce que ce sont des pogromistes, je noterai que c’est tout à fait à juste titre comme appréciation de l’action du Hamas cette fois, mais exterminer des militaires ou un mouvement politique au milieu de 2 millions de civils, personne ne sait faire cela sans grosse casse. Donc à ce moment-là on a plusieurs solutions, si compare Mossoul ou Fallouja récemment, dans un cas ils ont réussi à faire évacuer les civils avant de massacrer les gens et de détruire la ville, et puis dans l’autre cas à Mossoul, Daech a bloqué les civils pour qu’ils ne sortent pas et donc les Américains ont tué tout le monde. Ce que les Israéliens ne pourront pas faire, ou ne voudront d’ailleurs pour une bonne part d’entre eux pas faire, compte-tenu de cette situation catastrophique. L’attaque, le pogrom, leur a donné un avantage moral considérable dans l’opinion publique internationale, dont ils comprennent très bien qu’ils n’ont pas intérêt à le gâcher. Donc cela c’est une nouveauté.
Du côté du Hamas, la situation est aussi foireuse, parce qu’ils ont été pris à leur propre piège. Je pense que l’Iran et le Hamas avaient prévu et organisé une opération militaire basée sur quelques centaines de combattants, qui aveuglait le système de défense israélien au moment où il était le moins apte à regarder ce qui se passait, aller détruire le centre informatique et électronique de surveillance, aller attaquer trois casernes par surprise, y tuer du monde et ramener des prisonniers. Cette phase de l’opération s’est passée exactement comme prévu. Ces troupes-là d’ailleurs n’ont ramené que des militaires comme prisonniers, certains d’entre eux avaient pris des civils comme couverture si d’aventure les drones israéliens avaient réagi très vite, et ils les ont lâchés à la frontière. Ils ont laissé repartir leurs civils à la frontière parce que ce n’était pas leur problème. Ensuite, le deuxième échelon qui était, je pense dans le projet, chargé simplement de faire un peu de diversion sur quelques kibboutz pour gêner la riposte militaire, lui il a complètement dérapé. Ce sont des troupes de mauvaise qualité. Les seules fois où ils ont eu affaire à quelques poignées de milices d’autodéfense dans les kibboutz, ils n’ont pas réussi leur coup. cela montre vraiment que malgré leur supériorité numérique, c’étaient des mauvais au point de vue militaire. Et puis c’étaient des massacreurs qui avaient comme raisonnement, « on tire sur tout ce qui bouge » y compris d’ailleurs des malheureux ouvriers agricoles thaïlandais et bien sûr la rave-party. Donc, ceux-là ont changé complètement la donne en faisant un pogrom. Associés à toute une partie des Gazaouis, qui voyant les portes ouvertes, si je puis dire, se sont répandus en Israël avec ce qu’ils avaient comme armes et parfois même sans arme, moyennant quoi ils ont fait des massacres épouvantables et le Hamas est coincé là-dessus.
Parce que cette ligne c’est la ligne de l’extermination, celle des pogroms, ce n’est pas la ligne de deux États ni même d’un seul État avec cohabitation et coexistence. C’est la ligne de tuer les juifs ou les mettre à la mer. Or cela le Hamas sait d’ailleurs très bien que ce n’est politiquement pas une solution durable comme ligne. Mais il est coincé et emporté par sa base, il ne peut plus prétendre qu’il va faire autre chose. Pour le Hamas non plus, il n’y a pas de solution politique. Alors pour les États-Unis, leur raisonnement était nous allons dire à nos obligés dans la région qu’il faut réveiller la solution à deux États, que cela plaise ou pas d’ailleurs aux extrémistes israéliens, et puis qu’on monte quelque chose là-dessus. Et par exemple on dit aux Egyptiens d’ouvrir la frontière, même si on met temporairement de la population civile en Égypte, ensuite ils rentreront une fois que les Israéliens auront fait le ménage.
Mais Jacques Cohen, est-ce que les Américains ne se retrouvent pas un petit peu coincés vis-à-vis de la position de leurs alliés également ?
Mais exactement, parce que non seulement cette idée était un peu naïve, parce qu’il est illusoire de penser que le Hamas allait enlever son assurance-vie, c’est-à-dire la population civile et la laisser partir gentiment. D’autre part pour les Égyptiens, voir arriver une population chauffée à blanc et partisane d’exterminer les Israéliens chez eux, alors qu’eux ont un accord de paix et des coopérations économiques non négligeables. C’était les considérer comme une population extrêmement dangereuse à avoir chez eux même temporairement. Ils se rappellent les malheurs du Liban qui perdurent avec des Palestiniens chez eux, ceuxs de la Jordanie qui ont conduit à un massacre en 1970 parce que les bédouins ont fini par rétablir l’ordre et virer les Palestiniens qui prenaient le pouvoir de fait. Donc les Égyptiens n’ont aucune envie de cela. Et le désastre pour les Américains c’est que l’Arabie Saoudite et d’autres partenaires, pour faire court puisque nous avons malheureusement peu de temps, que les Américains pensaient mettre en œuvre et en branle, se trouvent coincés par une opinion publique qui partage la ligne « on tue les juifs, on les fout à la mer ». Donc ces gouvernements sont obligés de lâcher du lest et ne peuvent pas assumer une position de mise en place rapide d’un système à deux États, ce que les Américains avaient derrière la tête et avaient dans la manche comme solution. Mais là personne n’en veut dans les pays arabes. Donc, ils sont très ennuyés là-dessus, parce qu’eux aussi n’ont aucune solution. Donc l’ennui, c’est que quand on n’a pas de solution, c’est souvent la pire qui sort toute seule. Parce qu’on peut encore voir les Iraniens dans l’affaire qui ne doivent pas être contents non plus. Ils avaient préparé une opération politique importante, qui devait retarder et paralyser la normalisation d’Israël avec les autres pays arabes. Et là ils sont donc obligé de voir si leurs obligés du Liban, le Hezbollah, mènent une opération symbolique ou s’engagent dans une grosse opération. Il faut dire tout de suite que le Hezbollah n’a pas tellement envie d’une grosse opération, parce que maintenant qu’ils ont un partage avec les Israéliens sous l’étiquette « État libanais » pour le gaz offshore, finalement ils se disent que ce n’est peut-être pas la peine d’aller tout risquer. D’autant plus que même à l’intérieur du Liban, tant qu’ils sont forts les autres se tiennent tranquilles, mais si les Israéliens commencent à les massacrer un peu sérieusement, les autres factions libanaises ont toute chance de dire qu’elles vont finir le boulot puisque le Hezbollah devient vulnérable. Donc il n’a pas du tout envie, Hassan Nasrallah le chef du Hezbollah, de faire une offensive significative en Israël. Les Iraniens ont comme tactique de dire que si les Israéliens interviennent au sol à Gaza, on dira au Hezbollah d’y aller, mais ce n’est pas sûr du tout que cela soit l’envie de tout le monde. Y compris en Iran, parce que les Iraniens ont un autre problème, s’il y avait une montée en puissance des différents fronts qui conduirait les Israéliens à mettre en cause l’Iran, les Israéliens vont en profiter pour aller détruire le potentiel nucléaire de l’Iran qui a beaucoup progressé mais qui n’a pas encore de bombes opérationnelles. Ils sont capables d’en faire, ils ont assez de matière fissile pour faire 2-3 bombes, mais ils n’ont pas les bombes achevées et surtout la militarisation et leur mise à bord de missile. Donc, ils ont tout à fait intérêt à attendre encore un an ou deux. Et je pense que pour eux aussi cette affaire ne tombe pas à la bonne date, à partir de ce dérapage d’une population et d’une armée indisciplinée qui se met à faire un pogrom et gâche complètement une opération ponctuelle millimétrée qui aurait démontré une faille militaire des Israéliens et renforcé la position palestinienne. Là tout le monde se retrouve dans une situation désastreuse, ce qui est très dangereux. Comme personne n’a de solution, comme je vous l’ai dit il y a un instant, quand il n’y a pas de solution c’est souvent la pire qui sort du chapeau.
Merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairé sur la photographie à Gaza en ce moment et on aura certainement l’occasion d’en reparler. Plus d’infos sur votre blog jhmcohen.com. A très bientôt.
A très bientôt.