Jacques HM Cohen 12 01 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique actualité avec le Professeur Jacques Cohen, la première de 2024. Jacques Cohen, bonjour.
Bonjour, bonne année, meilleurs vœux.
Et bien on les reçoit, on les partage avec les auditeurs de RCF et on vous les retourne aussi une très bonne, une très bonne santé, c’est important, en plus quand on s’adresse à un professeur de médecine et puis évidement nos meilleurs vœux pour cette année 2024. Jacques Cohen, aujourd’hui vous voulez nous parler de la loi immigration. Si l’on fait une photo de cette loi, Jacques Cohen, pour rappeler un petit peu les faits, aussi pour que nos auditeurs sachent de quoi on parle, c’est quoi le sujet ?
Et bien la loi immigration est un catalogue ou un bric-à-brac de slogans vides et de mesures défavorables et inefficaces. Ce qui est spectaculaire, c’est qu’elle reprend tout un tas d’oripeaux de l’extrême droite, rachetés par les Républicains pour les revendre à Macron. Je ne sais pas s’ils vont faire beaucoup de bénéfices dans la transaction, mais globalement c’est quelque chose d’assez désastreux. Et à moyen terme cela montrera que Marine Le Pen comme Meloni n’a rien de sérieux sur l’immigration, car le problème est posé de travers à peu près par tout le monde en France parmi les politiques, pour ne pas s’attaquer aux choses sérieuses.

Immigration Bretonne à Saint Denis en 1906
Quelle est votre lecture, Jacques Cohen, pour dire que dans cette loi tout va de travers finalement ?
On ne va pas la détailler parce que ça serait trop long, mais prenons deux exemples caricaturaux de son absurdité. On insiste sur les obligations de quitter le territoire français. Sauf qu’on n’arrive même pas à en exécuter 10 % et rien n’est prévu pour que les pays d’origine soient contraints de les accepter, parce que c’est un problème de géopolitique globale comme on va le voir tout à l’heure. Les cautions dissuasives pour les étudiants sont une stupidité pour renvoyer ailleurs les gens éduqués et ne garder que les livreurs de pizzas. Donc on fait des gesticulations totalement inutiles. C’est intéressant parce qu’à terme si Marine Le Pen vient aux affaires, elle fera comme Meloni en Italie. Cela démontrera tout à fait que la rhétorique de l’extrême droite n’a aucune efficacité en ce domaine. On peut noter que Le RN est finalement plus lucide que d’autres en espérant que le Conseil Constitutionnel détricote la loi immigration ! Car sa crainte est de voir usés et démonétisés bien avant l’élection présidentielle, les attrape-nigauds qu’il promeut et que LR leur a volé pour les revendre à E Macron.
Alors je me situe justement sur le plan de l’efficacité et pas de la morale. La morale, il y aurait beaucoup à dire, mais je me situe sur le plan de l’efficacité et de ce point de vue-là, cette loi est encore une fois un coup d’épée dans l’eau. Et je voudrais quand même rappeler ou apprendre à certains que je suis fils d’immigré par mon père. Il a gardé précieusement, et j’en ai hérité, son billet de bateau de 3ème classe quand il est venu en France. La question de l’immigration est une chose trop sérieuse pour être laissée aux braillards sur des points de vue idéologiques et racistes alors que le problème est beaucoup plus sérieux et beaucoup plus vaste. Parce que j’ai justement choisi comme angle, « que ferait Henry Kissinger ?», c’est-à-dire le pape, si je puis dire sur cette antenne, de la real-politik, du réalisme de l’analyse et des mesures en fonction, et non pas d’indignation morale.
Un petit mot sur ce personnage que tout le monde ne connaît peut-être pas forcément ?
Et bien, Henry Kissinger a été secrétaire d’état aux États-Unis, puis il a surtout été conseiller diplomatique jusqu’à l’âge de 100 ans, il vient de décéder, et il était réputé justement pour des analyses tout à fait pertinentes et la proposition de mesures qui en découlaient qui rappelaient que les Etats ont des intérêts et pas d’autres choses. Et que les rapports de force déterminent ce que l’on peut faire et qu’il ne sert à rien de se lamenter ou de faire des incantations hors des rapports de force. Et d’ailleurs Henry Kissinger était né Heinz Kissinger en Allemagne et il avait dû fuir comme gamin les persécutions nazies, ce qui lui avait laissé quand même un certain scepticisme sur la nature humaine.
L’immigration, on peut la comparer à un fleuve. Il y a des sources, il y a des barrages de retenue et il y a l’irrigation. Tout le débat français se situe sur l’irrigation sans tenir compte une seconde de ce qui se passe avant. Or il n’y a pas d’irrigation quand il y a des sécheresses ou des inondations, etc. Donc c’est de ce point de vue-là, regarder par le petit bout de la lorgnette un problème qui est global et qui a plusieurs composantes. Dans les mesures d’irrigation stupides, je vous en ai cité une tout à l’heure, les OQTF, mais il y en a bien d’autres. Les immigrés n’ont pas le droit de travailler en France, donc ils sont forcément assistés, alors c’est sûr qu’après on reproche qu’on les assiste. En Grande-Bretagne, les gens peuvent travailler du jour au lendemain, savoir comment ils arrivent, etc, c’est autre chose. Mais c’est complètement stupide de mettre délibérément dans l’illégalité, c’est-à-dire dans le travail au noir au grand bénéfice des exploiteurs, les immigrés qui voudraient être travailleurs justement. Puis sans perdre trop de temps dans chacune des mesures, on a comme ça tout un catalogue de mesures stupides.
Si on revient à cette analogie du fleuve, les barrages c’est l’arrivée en Europe et là-dessus il y a de la part de Frontex et de la politique européenne des zigzags extraordinaires. Tantôt ouverts ou laxistes selon le point de vue quand l’Allemagne veut des travailleurs, puis complètement restreints dans une autre période, et en plus dans certains pays et pas dans d’autre. Donc quelque chose qui du point de vue européen est un désastre parce que la politique de Frontex en zigzags, puis une politique éparpillée par État au lieu d’une politique cohérente, c’est là aussi quelque chose de désastreux.
Alors les sources, il y a trois sources principales d’immigration. L’une, on n’en parlera guère aujourd’hui, c’est le Moyen-Orient parce que ces gens n’arrivent pas en France ou très peu, et c‘est l’axe de l’Europe, les Balkans de l’Albanie au Caucase qui pour l’instant n’est numériquement pas trop important en France, ce n’est pas l’essentiel de notre sujet.
L’essentiel de notre sujet c ‘est notre immigration, elle est d’Afrique du Nord d’une part, elle est subsaharienne d’autre part par les liens historiques, dont la langue, qui nous relie à ces pays qui ont été des colonies.
Et nous avons eu par exemple sur l’Afrique en-dessous du Sahara une politique assez incohérente qui est que nous avons fait de l’interventionnisme militaire quand ils ont été au Mali confrontés à l’État islamique et nous n’avons pas fait d’interventionnisme politique. Alors ça, c’est d’une grande naïveté car de laisser des politiciens profiteurs caricaturaux honnis par la population tout en assurant, j’allais dire, leur sécurité, c’était la pire situation et c’est ce qui est arrivé. Nous avons eu un effondrement politique qui nous a conduit à devoir retirer nos interventions militaires. Là-dessus c’est d’une grande naïveté. Et je sais que ce n’est pas très très dans l’air du temps je pense que l’interventionnisme et même la question du mandat de l’ONU, puisque cela a été le cas non par pour l’ONU mais pour le SDN au Liban et en Syrie après la première guerre mondiale, devrait être posée.
On ne peut pas laisser ces pays s’enfoncer comme ils le font et sombrer dans une misère et une idéologie moyenâgeuse islamique, ce qui est en train de se passer. La seule garantie justement aux sources c’est le développement et pour le développement il faut se débarrasser d’une infrastructure politique qui est une spirale descendante et donc l’imposer y compris avec les moyens militaires qui permettent de battre éventuellement l’État Islamiques dans ces régions. C’est cela qu’aurait dit Henry Kissinger. Faire de l’interventionnisme militaire en pointillés sans interventionnisme politique, c’est d’une naïveté désastreuse. Pour l’Afrique du Nord, c’est un peu plus compliqué parce que le jeu géopolitique fait que différentes puissances ont intérêt à ce que nous restions en termes variables selon les pays du Maghreb, et avec une population de ces pays présente en France significativement importante, sans pourtant qu’il y ait d’accords politiques correspondants et de flux bidirectionnels. Donc là, il ne suffit pas de dire qu’il faut exiger qu’ils reprennent leurs mauvais sujets quand on veut en virer. Mais pour le faire il faut avoir un rapport de force géopolitique et des accords beaucoup plus importants, on n’aura pas le temps de traiter ça aujourd’hui.
Mais globalement ce que je voudrais indiquer, c’est que l’immigration est un problème des sources. Les sources ne peuvent que réagir au développement, et le développement ne peut être assuré que par des changements de situation politique et pas seulement en faisant ruisseler de l’argent. On a vu à Gaza que le ruissellement d’argent de Doha ou d’autres n’a pas été suffisant pour éradiquer l’islamisme radical, c’est-à-dire un courant moyenâgeux obscurantiste qui se répand dans toutes ces régions. Sinon je voudrais terminer sur une vue un petit peu pessimiste, sinon et bien nous allons continuer à dévaler la pente. C’est-à-dire que ces pays vont surtout se dégrader en pays et de plus en plus pauvres, contrôlés par des dictatures qui seront de plus en plus islamistes et avec chez nous une population en référence et en écho que nous aurons de plus en plus mal à tolérer jusqu’à ce que nous choisissions soit la solution communautarisme américaine, chacun vit dans son ghetto et n’en sort pas, – et les mesures à Reims de détruire le pont Charles De Gaulle sont dans ce sens-là mais à petite échelle, c’est-à-dire on coupe le centre-ville, on l’isole, et ce qui est stupide. – Ou dans l’autre sens c’est d’assumer l’entièreté du problème, ce que nous pouvons bien sûr pas assumer seulement comme français mais qui devrait au moins être assuré à l’échelle européenne, voire plus pour ce qui est de l’Afrique parce que les deux puissances qui financent ou qui appuient la dérive actuellement sont ceux qui nous veulent du mal, c’est à dire essentiellement le Qatar et les Emirats qui financent le développement de l’islamisme en Afrique subsahélique ou la guerre civile au Soudan et la Russie qui tire les marrons du feu, puisque pour elle pour l’instant tout ce qui affaiblit les États occidentaux est bon à prendre, compte-tenu du conflit en l’Ukraine.
Pour terminer sur Henry Kissinger, je pense que la première chose qu’il aurait dite, c’est de s’entendre avec les parrains de ces gens-là, les parrains ou les ennemis parce que pour les pays du golfe l’Arabie Saoudite a toujours pensé qu’elle devait récupérer les micros États du Golfe et que l’aider à au moins les menacer permettrait de tarir le financement de l’islamisme subsahélique d’une part et de l’autre côté avec les Russes il y a là aussi des contentieux et qu’une négociation pourrait comporter des choses qui arrangeraient les uns et les autres. Parce que dans une négociation il faut que tout le monde soit content ou du moins ne soit pas totalement insatisfait. Et donc ce n’est donc peut-être pas très moral, mais c’est la voix qui serait la plus raisonnable plutôt que de laisser les choses dériver.
Merci Professeur. Parmi les bonnes résolutions, c’est tenir votre blog à jour cette année, on aura plus d’informations prochainement sur le site jhmchoen.com. A très bientôt Jacques Cohen.
A très bientôt.