Jacques HM Cohen 2 3 2024
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen au téléphone avec nous, Professeur bonjour.
Bonjour.
Et aujourd’hui on va parler de la ténébreuse affaire Navalny, c’est comme ça que vous avez appelé votre chronique. En tout cas Navalny, cet opposant à Vladimir Poutine, décédé le 16 février dernier, tant bien que mal 10 jours plus tard son corps avait été remis à sa famille. Il a été enterré maintenant il y a plus d’une semaine. Professeur Jacques Cohen, pourquoi avez-vous envie de revenir sur cette affaire que vous décrivez comme ténébreuse ?
Parce qu’il y a plusieurs choses étranges. A partir du moment où Navalny est mort brutalement en prison, un certain nombre de gens se sont demandé si c’était une mort naturelle. L’interrogation est tout à fait légitime.

Funérailles d’A Navalny. A cercueil ouvert selon la tradition russe orthodoxe March 1, 2024. (AP Photo)
Seulement, les morts naturelles existent aussi comme mort subite même chez un sujet jeune. Et puis, il avait quand même réchappé à une tentative d’empoisonnement qui là aussi était un peu étrange, parce que Poutine l’avait laissé filer en Allemagne ensuite. Soit il avait voulu le faire tuer et il avait raté, soit c’était un avertissement, mais c’est compliqué de faire des avertissements toxiques, et de toute façon cela a abouti à le faire partir en Allemagne. Puis, il est rentré en Russie où il a continué une activité d’opposant sans concession, ce qui l’a conduit en taule, puis cette taule a été complétée de ne pas rester en prison du côté de Moscou, mais d’aller près du cercle polaire, au-delà de Vorkouta, l’ancien camp de Staline, au fin fond vers le nord de la Sibérie. Et il est décédé.
Donc dans un premier temps on a toute une discussion sur de quoi est-il décédé. Et assez curieusement les occidentaux ne réclament pas une commission d’enquête impartiale avec des légistes de 36 pays, etc. Les Russes disent qu’ils vont faire leur enquête tous seuls et personne ne s’en offusque. là, l’affaire commence déjà à prendre un tour étrange. On se dit à ce moment-là que ce qu’attendent les occidentaux c’est que les Russes finissent par rendre le corps et qu’on puisse faire des dosages ou des détections pour voir de quoi il est mort. Et puis après deux-trois péripéties, on apprend que le corps a été rendu à la famille et qu’il sera enterré à Moscou. On n’a pas parlé de deuxième autopsie, puisqu’il n’y a eu que le point de vue des légistes russes qui d’ailleurs n’est pas connu. Parce qu’ils ont rendu leur certificat en classant le décès en mort naturelle mais ils n’ont pas mis la cause de la mort, elle n’a pas été publiée à ma connaissance par la partie russe, ce qui est un peu étrange. D’autant plus que ce qui est tout aussi étrange, la partie occidentale, si j’ose dire, ne la réclame pas. Donc tout cela est étrange et on va voir que l’affaire devient un petit peu plus ténébreuse à partir de quelque chose d’étonnant.
J’allais dire, Jacques Cohen, si vous soulevez ces problématiques c’est certainement que vous avez déjà réfléchi ou « enquêté » sur ce qu’il pourrait y avoir derrière. On va peut-être soulever un lièvre.
Oui, un lièvre je ne sais pas, mais une baleine sous gravière je ne sais pas, ou un mammouth sous la glace puisqu’on est en Sibérie. Il y a une chose étrange, c’est que le chef des services secrets ukrainiens, Boudanov, qui lui est un partisan de la guerre à outrance et des opérations spéciales sous forme d’assassinats, d’empoisonnements, d’explosifs, enfin j’allais dire la routine du KGB devenu FSB, et qui au SBU ukrainien est à peu près la même, il ne faut pas mythifier ce personnage. Et bien Boudanov a dit que, « je vais vous décevoir, il est mort d’un caillot ». Alors une thrombose, cela peut être une thrombose coronaire cérébrale, etc, aortique, on ne sait pas exactement, mais enfin pour lui, c’est une mort naturelle. Cette remarque au cours d’une interview n’a pas été reprise, ni dénoncée comme fake-news. Black-out point barre. Soit, mais enfin il n’est pas d’habitude là pour servir la soupe ou pour tirer d’affaire ses adversaires vu son opposition radicale à la Russie, et cela oblige à réfléchir un petit peu plus loin. Tout d’abord, on apprend qu’en fait on était en phase finale d’une négociation pour faire l’échange d’un lot d’espions américains ou supposés tels, ou journalistes et puis de Navalny, que les Russes auraient rendu en échange d’un certain nombre d’autres de leurs espions arrêtés à l’ouest en particulier d’un gars qui s’est fait piquer quand il est allé descendre un chef Tchétchène en Allemagne.
Donc a priori Nalvalny, est mort au moment où on allait l’échanger. Ce qui est un peu étonnant mais la faute à pas de chance ça existe aussi. Et le fait que Boudanov soit au courant et qu’il puisse dire de quoi exactement il est mort, cela fait un petit peu réfléchir. Cela fait un petit peu réfléchir, parce qu’en fait il faut revoir qui était Navalny et qui avait intérêt, si tant est que quelqu’un a fait quelque chose et que cela ne soit pas le bon Dieu, si j’ose dire.
Qui avait intérêt à ce que Navalny disparaisse du jeu ? On peut supposer que Poutine ait ainsi voulu terroriser son opposition. Mais dans ce cas, il n’aurait pas choisi de tolérer des obsèques à Moscou et des défilés de condoléances.
Paradoxalement ce sont les Ukrainiens qui avaient intérêt à ce que Nalvany sorte du jeu. Parce que Navalny a commencé sa carrière politique dans l’extrême droite nationaliste russe, avec un certain racisme anti musulman d’ailleurs, mais il avait approuvé l’opération d’Ossétie du Sud contre la Géorgie, il a surtout surtout tout à fait approuvé le rattachement de la Crimée. Et je n’ai pas connaissance qu’il ait changé d’avis sur la Crimée. Donc si on se retrouvait avec un « chef » de l’opposition russe mis en vitrine en Occident avec une position qui soit une base de négociation en quelque sorte possible, ceux qui pouvaient en être tout à fait gênés ce sont les extrémistes ukrainiens. Peut-être pas tous les Ukrainiens mais en tout cas Boudanov qui lui considère qu’il n’y a pas d’autre solution que de détruire la Russie et qu’on ne pourra faire quelque chose que quand il aura défilé sur la place rouge. Donc pour eux effectivement Navalny pouvait être l’homme à abattre pour faire capoter l’échange.
Mais bien sûr, on a aucune preuve de quoi que ce soit dans cette affaire. Mais je reviens quand même sur cet aspect, personne ne demande de deuxième autopsie, personne ne réclame le compte-rendu de la première, y compris donc comme on dit les proches de Navalny, comme si en fait tout le monde savait de quoi il s’agissait et qu’on ne veuille surtout pas en parler. Donc que ce soit une mort naturelle ou une thrombose déclenchée, parce que certains poisons peuvent déclencher des thromboses, c’est quand même une histoire étrange.
On peut aussi envisager, comme pour la polémique sur la mort de Yasser Arafat, que Navalny ait été porteur d’une affection chronique qu’aucun camp ne veuille afficher. Les uns pour ne pas l’avoir soigné et les autres parce qu’elle serait stigmatisante.
C’est pour cela que je continue à penser que l’affaire Navalny est une ténébreuse affaire, qu’on en aura comme toujours le fin mot un jour, mais que ce n’est peut-être pas demain la veille.
Et en attendant, Jacques Cohen, que doit-on faire, où doit-on regarder pour essayer de comprendre les choses ?
Je ne crois pas qu’on puisse faire grand-chose. Les différentes parties qui semblent avoir non pas un accord, mais avoir décidé de ne pas parler des choses qui fâchent, vont maintenir un black-out un certain temps, et donc il n’y a pas beaucoup d’investigations possibles dans un court délai, à moins que vous ne vouliez aller récupérer dans un tiroir du FSB le rapport d’autopsie, ou prendre votre pioche pour aller chercher à récupérer des prélèvements sur le cadavre six pieds sous terre à Moscou.
Et la communauté internationale s’en contente, Jacques Cohen ?
Et bien c’est ce qui est justement un petit peu étonnant, mais c’est ce qui donc me fait penser qu’il y a anguille sous roche. Je vais rajouter un petit détail parce qu’on peut légitimement penser que j’ai trop d’imagination. Mais si on se rappelle l’affaire du gazoduc de la mer Baltique où finalement les Ukrainiens semblent bien mouillés, probablement avec les Polonais, pour l’avoir fait sauter, la réalité dépasse régulièrement l’imagination des analystes, des journalistes, des commentateurs, etc.
Merci en tout cas de nous avoir éclairés ou en tout cas comme vous le pouviez sur cette affaire Navalny un petit peu ténébreuse comme vous la qualifiez, et on vous retrouvera la semaine prochaine avec une nouvelle chronique d’actualité. Plus d’informations sur votre blog, ça n’a pas changé jhmcohen.com. A très bientôt professeur.
A très bientôt.