Manouchian, un héros irrécupérable.

Jacques HM Cohen 23 02 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen, bonjour.

Bonjour.

Jacques aujourd’hui vous voulez nous parler d’une entrée au Panthéon, celle de Manouchian, c’était mercredi. Si l’on revient sur cette actualité, sur cette photographie, c’était quand même un moment d’histoire pour la France ce qu’il s’est passé ce mercredi.

Tout à fait, l’histoire est toujours écrite inlassablement selon les optiques idéologiques de la période. Alors il faut d’abord dire que Missak Manouchian est un indiscutable héros, quelqu’un de tout à fait digne d’être au Panthéon. Après on peut regarder plusieurs aspects de son histoire telle qu’elle a été présentée selon les époques.

Et parmi le premier aspect que vous voulez regarder, vous voulez notamment regarder son engagement dans l’armée française.

Oui c’est une chose récente, et la photo n’était pas connue jusqu’il y a peu de temps, je l’ai même découverte peu avant son entrée au Panthéon, Manouchian porte l’uniforme de l’armée française. Il faut voir quand cela se passe en fait. Cela se passe en 1940, il a déjà plus de 30 ans, il est en France depuis un moment, il a voulu avoir la nationalité française plus tôt mais il ne l’a pas eue. Tant qu’il n’a pas la nationalité française il n’est pas appelé à l’armée et puis il devint militant communiste donc suspect et en 1939 il y a le pacte germano-soviétique. Les militants communistes, surtout étrangers, qui sont sur la liste B comme les gens connus à interner en cas de guerre comme ennemis potentiels sont arrêtés, et c’est le cas de Manouchian mais ils ont deux attitudes. Un certain nombre d’entre eux obéissent, c’est le cas de la famille du jeune Guy Moquet qui va rester en taule et qui finira par être fusillé comme otage. Et un certain nombre d’autres militants communistes n’accepte pas le pacte germano-soviétique, dont Manouchian semble-t-il puisqu’il a le choix, « tu sors mais tu t’engages dans l’armée », et il accepte de s’engager dans l’armée française pour combattre le nazisme.

Le PCF va longtemps avoir une attitude d’opacité sur son attitude à ce moment-là du pacte germano-soviétique. Parce que le pacte germano-soviétique cela comportait une propagande contre la guerre, c’est-à-dire une propagande antimilitariste et même quelques sabotages d’avions de la part de militants communistes pendant la drôle de guerre. Ultérieurement, le PC va expliquer qu’il était résistant depuis la première heure et peut-être même trois heures avant. Mais ce n’était pas du tout le cas, la ligne officielle du PC c’est de lutter contre la guerre impérialiste, donc contre la guerre menée par les Français et les Anglais, en évitant d’expliquer contre qui, et ceci jusqu’à l’attaque de l’union soviétique par les Allemands en juin 1941. Donc après les choses vont s’arranger en virant en épingle à cheveux, et tous ceux qui avaient suivi la ligne sont soulagés de retrouver l’ennemi naturel, c’est à dire le nazisme. Et ceux qui avaient rompu avec le parti communiste vont pouvoir pour la plupart être réintégré dans la lutte qui débutait, quand le PCF laminé ne peut faire la fine bouche. On le découvre dans le film de Mosco « des terroristes à la retraite » https://www.arte.tv/fr/videos/024362-000-A/des-terroristes-a-la-retraite/ ) tourné en 1985 avec la plupart des survivants de la main d’œuvre ouvrière internationale MOI.

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Missak Manouchian en uniforme français en 1940

La plupart n’avaient pas suivi la ligne et s’étaient engagés dans l’armée française, même Holban le futur coordinateur des ftp-moi pour le PCF et le Kominterm. C’est le cas de Manouchian aussi. Parce qu’il suffit d’opposer la situation comme je viens de vous le dire de Guy Moquet et de sa famille et celle de Manouchian, pour comprendre que Manouchian avait choisi de continuer la lutte contre le fascisme hitlérien.

C’est donc un point intéressant et un point important et ce qui est assez amusant c’est que pendant un certain temps l’attitude du PC était dénoncée par les autres partis en France, qui se souvenaient que par exemple Maurice Thorez avait déserté au lieu de rejoindre son régiment et que Staline avait dit à De Gaulle lors de la rencontre à Moscou « vous ne me le fusillerez pas trop vite quand même, vous savez c’est quand même un bon français », en gros disant « je le tiens et le parti communiste sera sage de ce fait ». Et bien toute cette réticence vis-à-vis du PC a disparu aujourd’hui. Quelques survivants ou mémoires des anciens du PCF et mémoires de la politique française ont finalement une nostalgie du temps où le PCF était une puissance, alors qu’il est maintenant un petit vestige misérable. Et bien tout ce monde est d’accord pour reprendre la thèse que le PC était le parti de la Résistance en France alors que d’une part il s’est réveillé tard et d’autre part il n’était pas le seul. Donc là c’est intéressant de voir cette résurrection du masquage du pacte germano-soviétique qui était allé jusqu’à ce que le PC essaye de faire reparaître l’Humanité quand les Allemands sont entrés dans Paris Heureusement cela a foiré, mais la démarche a été faite, elle est indiscutable.

Alors il y a beaucoup d’autres aspects dans l’affaire de Manouchian qui sont intéressant à reprendre. D’abord pourquoi est-il mis en vitrine ? Et bien il est mis vitrine d’abord par les Allemands. Cela peut paraître surprenant mais il est mis en vitrine pour justement montrer que ce sont tous des étrangers ou des apatrides, tous des communistes, et qui sont pour la plupart juifs, 90 % sont juifs, mais surtout liés à l’Union Soviétique. Et justement les nazis mettent en vitrine celui qui n’est pas juif parce que pour les Allemands il y a un intérêt, c’est que l’Arménie c’est soviétique. Et pour le PCF qui va reprendre le développement de la mise en vitrine du groupe Manouchian en 1946, c’est beaucoup plus pratique également que de mettre Epstein qui est le vrai chef, parce que le PC en 1946 n’a pas tellement tellement envie de mettre en scène une immense majorité de juifs. C’est donc déjà quelque chose d’assez étonnant, mais là c’est une convergence qui fait que Manouchian va être mis en vitrine.

Il y a d’ailleurs un aspect qui est toujours resté ambigu dans la chute du groupe Manouchian, c’est que dans la lettre que celui-ci écrit à sa femme, il explique qu’il ne pardonne pas à celui qui nous a trahi, et à ceux qui nous ont vendu. Marc Pechanski pense qu’il parle de Vichy, mais c’est assez peu probable. Et quand Aragon va se servir de cette lettre, cette dernière partie de phrase va disparaître. Il est vraisemblable qu’il indiquait le fait que le PC avait délibérément décidé de sacrifier le groupe Manouchian en continuant à l’utiliser dans Paris alors que les renseignements en provenance de la police française montraient qu’ils avaient commencé à le cerner complètement et que tout le groupe allait inévitablement être intercepté et liquidé si on ne mettait pas les gens au vert en les déplaçant loin de Paris. Du point de vue du PCF pourquoi faire cela ? Parce que nous sommes fin 43, la libération approche et donc une force de frappe militaire qui soit exclusivement composée d’étrangers, quand le PC et le FTP avaient eu du mal à trouver des Français de souche pour faire le boulot, c’est le moment de s’en débarrasser parce que là cela commence à changer, nous ne sommes pas encore dans les 5 dernières minutes, mais on commence à avoir pas mal de monde grâce au STO, et on a plus tellement besoin d’eux. Donc on peut éventuellement considérer que la fenêtre serait opportune pour montrer une « francisation » des FTP. Vous voyez ainsi qu’il y a beaucoup d’aspects peu connus dans l’affaire du groupe Manouchian.

Il y en a encore un autre c’est que l’écriture de l’histoire à l’époque, de la saga de la résistance, après-guerre ressemble beaucoup à la vie des Saints ou à la légende dorée de Jacques de Voragine. C’est-à-dire qu’elle est directement décalquée de la théorie des martyrs et on va charger abondamment un présumé traître qui aurait parlé alors qu’en fait les renseignements obtenus par les brigades spéciales de la police française, avaient parfaitement cerné la quasi-totalité des gens du groupe et son organigramme bien avant que Davidowicz ne soit arrêté.

Tous fichés, tous ficheurs….

C’est l’occasion de rappeler un autre point c’est la grande puissance de la méthode de l’analyse des contacts par les filatures qui a permis à la 2ème brigade spéciale de la Préfecture de Police de reconstituer la totalité de l’organigramme et dans cet organigramme on voit d’ailleurs très bien que Manouchian n’est pas le chef, mais qu’il est devenu agent de liaison en retrait.  Pour une bonne raison. C’est qu’il a jeté une grenade lui-même mais il est retourné sur les lieux pour voir un peu les dégâts, et cela son chef Holban considère que c’est inadmissible, il le convoque et au lieu de faire profil bas quand il se fait engueuler, Manouchian lui explique qu’il est assez grand, que les communistes sont capables de juger de ce qu’ils font, etc, bref un indiscipliné parfait, et Holban décide qu’il n’ira plus sur le terrain. On ne met pas quelqu’un d’aussi dangereux que Manouchian sur le terrain parce que d’aller regarder, même si c’est parmi les badauds, cela peut être extrêmement dangereux si en face il y a une attitude correcte consistant à repérer qui vient traîner. Car justement il y a inéluctablement des gens qui viennent faire l’évaluation des dégâts, c’est une des pistes pour le suivi et la répression. Heureusement, Holban ne le fait pas abattre comme d’autres pour aussi peu. Manouchian ne deviendra chef qu’à la dernière minute, quand le PCF décide de mettre précisément le fidèle Holban au vert. Car trop proche de la direction et de jacques Duclos pour qu’on prenne le risque de le voir arrêté.

Donc Manouchian était quelqu’un de courageux, quelqu’un d’indiscipliné, quelqu’un ayant son libre arbitre, si j’ose dire, et non pas quelqu’un obéissant, sur cette antenne je peux le dire comme cela « Perinde ac cadaver », mais un homme à tous les sens du terme.

Merci Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur la personnalité et le visage de Manouchian entre au Panthéon donc mercredi et on aura plus d’informations évidement en suivant votre blog jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.

Il y aurait bien des choses à ajouter. Mais je voudrais traiter de 3 militants :

Je voudrais souligner le rôle essentiel de Golda Bancic dite Olga dans le groupe. Je regrette que la seule femme combattante ait été éclipsée par le choix du récit glamour de Missak et Mélinée. Golda était chargée du renseignement et ce sont ses filatures qui ont identifié et localisé le domicile de Julius Ritter, haut dirigeant de l’organisation Todt, qui a été abattu par la MOI.

Golda faisait du renseignement extérieur. Mais c’est l’occasion de parler aussi d’un domaine beaucoup plus dangereux et glauque, le renseignement intérieur par infiltration. Une flamboyante militante en était chargée, qui d’agent double triple et quadruple a dû faire des choix et sacrifier des camarades. A la libération, les gens de la MOI la tenaient pour une traître et n’ont pas compris que le parti leur interdise de l’abattre. Certains l’ont même accusée devant la justice bourgeoise ! Là aussi le parti et d’autres furent efficaces pour la faire acquitter. Elle a dû d’ailleurs continuer longtemps après un rôle plus obscur que clair car on la retrouve sous F. Mitterrand, proche d’un proche du Président.

Je voudrais vous parler d’un autre combattant des FTP MOI qu’on vient de voir parmi les accusateurs réclamant en vain la peau de cette dame ou de cette camarade selon le point de vue. Un autre militant MOI dont le passé a été occulté quand il a joué un rôle politique national plus tard : Henoch Krasucki devenu Henri Krasucki. Sa dernière action clandestine, bien plus tard devenu secrétaire général de la CGT, fut d’assister incognito aux funérailles de Mélinée Manouchian, la CGT et le PCF l’ayant prétendu en déplacement à l’étranger. On peut penser qu’il avait contribué à la faire revenir d’Arménie soviétique où elle était bien imprudemment partie après guerre. En revanche, il n’avait pu obtenir des dirigeants polonais de laisser partir sa propre mère, jusqu’à ce que sa vieille connaissance des négociations officieuses gaullo-communiste, devenu Président, ne l’y aide de façon décisive. On peut aussi rappeler que dans les années 80, la presse d’Hersant, qui fut sous l’uniforme allemand à la LVF, l’avait attaqué comme fraîchement naturalisé en 47 et illégitime comme dirigeant de la CGT intervenant dans la politique française. La journaliste chargée du sale boulot au détour d’une ITW, avait trouvé une porte de sortie : ayant posé la question, elle l’a laissé développer sa réponse: «  ma carte d’identité, je l’ai gagnée avec une mitraillette ».

A bientôt.

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