Mesures santé : Comment écoper dans le Titanic médical ?

JHM Cohen 12 4 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Professeur bonjour.

Bonjour.

Merci d’être avec nous et vous allez revenir à vos premiers amours, si je peux me permettre Professeur, puisque l’on va parler santé si vous le voulez bien aujourd’hui. On va parler santé et des mesures proposées par le Premier Ministre, Gabriel Attal. On en cite quelques-unes au passage parmi de nombreuses, la taxe lapin, l’accès direct aux spécialistes et j’en passe, Jacques Cohen. Quel est votre regard sur l’ensemble de ces annonces qui étaient quand même surprenantes, on peut le dire, de la part du Premier Ministre.

Et on revient toujours à ses premières amours, c’est très connu, et surtout quand on ne les a jamais totalement abandonnées. Ces mesures, ce catalogue de mesures du Premier Ministre, que la Ministre de Tutelle doit voir avec soulagement, puisque c’est lui le Premier Ministre qui les a annoncées qui en payera le prix politique. Ces mesures sont malheureusement, j’allais dire paradoxalement, pétries de bonnes intentions mais ne font qu’entériner la dégradation de la situation sans être en aucune manière capables de la redresser. Alors que se passe-t-il et qu’est-ce qui est proposé ?

britannic

Naufrage du Britannic, Navire hôpital sistership du Titanic

Ce qu’il se passe, c’est qu’il y a de moins en moins de médecins exerçant comme généralistes et donc que les déserts s’étendent, c’est le contraire qui devient rare. A moment-là, les gens ne savent pas comment se faire soigner et on cherche tout un tas de ficelles pour qu’ils puissent être quand même soignés. Alors l’une que vous n’avez pas citée, c’est qu’on va permettre de faire de la médecine, puisque c’est en fait à cela que cela revient, à soigner les infections urinaires, les otites, les angines, à dire aux pharmaciens et aux infirmières qu’ils devront cocher des cases. Pour des malades schématiques cela marche très bien les cases. Mais en dehors des cases, d’abord il y a à voir s’il y a réellement une angine ou pas, et s’il y a réellement une otite ou pas, idem pour les infections urinaires. Et donc avec tout cela, on va permettre aux pharmaciens, aux infirmières, bientôt aux assistants médicaux, et ainsi de suite, de prescrire des médicaments et non plus des médicaments de poudre de perlimpinpin ou de faible action, mais carrément des antibiotiques, tout simplement parce qu’on dit que sinon les malades n’en auront pas. Et parce qu’il faudra ainsi moins longtemps pour avoir la consultation qui permet d’avoir un sachet de Monuril 2 fois à 8 jours d’intervalle, publicité gratuite. Et donc donner à des sous-médecins le droit de faire de la médecine, cela revient à entériner de la sous-médecine. Alors ce n’est pas discriminant par rapport à ces professions, mais ils n’ont pas fait 12 ans d’étude dans un sens bien précis et n’ont donc pas la compétence nécessaire, ou alors il faudrait dire que la compétence médicale ne sert à rien. A ce moment-là il n’y a pas de raison de mettre comme intermédiaire entre le malade et la boite de médicaments, un pharmacien, l’infirmière, etc, et donc aller se servir avec un distributeur automatique remplaçant les distributeurs de Coca, cela sera pareil. Donc cela, c’est déjà une constatation.

Alors évidemment, cela part d’un bon sentiment, que chacun veut faire en sorte que dans une situation de dégradation, on finisse quand même par maintenir des lambeaux d’activités médicales. Mais c’est présenté de façon triomphaliste, c’est présentéen faisant de nécessité vertu, en présentant un recul comme une victoire. cela me fait penser aux reculs élastiques dont Pierre Dac se moquait pour les troupes allemandes en Ukraine en 1943.

Et il n’y a pas que cette mesure-là, il y a une autre mesure qui elle fait partie on pourrait dire de la panoplie des Shadoks, c’est l’accès direct aux spécialistes. Même à votre âge, Alexis, on se rappelle que l’accès direct aux spécialistes, il a existé. Il n’y a qu’une quinzaine d’années qu’il a été supprimé. Et donc on s’était dit les spécialistes sont saturés, sont débordés, on va demander aux médecins généralistes de filtrer et on ne pourra pas aller voir les spécialistes directement. Maintenant on dit exactement le contraire, cela ne veut pas dire que les spécialistes soient moins débordés, il faut toujours des mois pour avoir des rendez-vous chez les spécialistes. Mais avec le retour à l’ancien système, il y aura un petit moins d’activité chez les généralistes, mais il y aura certainement des retards encore plus considérables chez les spécialistes, c’est une mesure balancier totalement ridicule. Ensuite il y a l’augmentation pour la énième fois du nombre d’étudiants en médecine. Mais le gros problème, c’est que, vous me pardonnerez d’avoir aujourd’hui des tas de métaphores liquides, il s’agit du tonneau des Danaïdes. Parce qu’une bonne partie des médecins mal classés qui se retrouvent contraints à faire généraliste ne le font pas. Ils trouvent des sous-spécialités du 3ème orteil gauche, des DU plus ou moins fantasmatiques qui permettent de faire des pratiques de charlatans, ou des pratiques pas trop difficiles. Pensez par exemple à Olivier Véran qui a l’air d’être frappé par ce syndrome beaucoup plus tard que ses jeunes collègues. Tout cela aboutissant à ce qu’il y a un tonneau des Danaïdes en formant des médecins qui n’exerceront pas, j’allais dire de façon productive. Et cela, c’est quand même également tout à fait un désastre, d’autant qu’on les laisse faire. Puisqu’il n’est pas question d’avoir des systèmes contraignants qui disent par exemple qu’on a besoin de médecins à tel endroit et pas à tel autre, et qu’ils ont le choix d’aller là où on a besoin d’eux et pas ailleurs, et on verra si à ce moment-là d’être tenté par la médecine esthétique, effacer les rides tous les 3 mois et faire gonfler les lèvres, on verra s’ils trouvent de la clientèle à Bogny-sur-Meuse de façon aussi facile qu’à Cannes, à Menton ou dans d’autres villes plus richement dotées.

Jacques Cohen, je me permets je vous interromps parce que le temps passe toujours très vite et je sais que vous voulez développer sur une deuxième partie qui va être un petit peu longue aussi. Qu’est-ce qu’on pourrait faire d’autre concrètement Professeur ?

Et bien regarder les choses en face, cela serait déjà la première chose. Parce que toutes ces mesures reviennent à écoper les cales du Titanic puisqu’il n’y a même pas de pompes, et puisque la brèche est trop importante, en envoyant les passagers avec des sceaux, puis avec des casseroles quand il n’y a plus de seaux, puis avec des grandes cuillères, en leur disant « essayez quand même on coulera un peu moins vite ». Je vous dirais que cela les occupe, mais ce n’est quand même pas excellent pour la survie des passagers. Ce qu’on doit regarder en face donc c’est que la démographie médicale implique un système directif. Il n’y a qu’en France qu’on puisse avoir un système de liberté totale, alors que la collectivité paye les études d’une part, rembourse les malades d’autre part. Donc cela, c’est quelque chose d’invraisemblable. Alors bien sûr de laisser les médecins ne pas exercer mais rentrer dans les activités de charlatans sans remboursement par la Sécu, la Sécu en est ravie. Mais du point de vue du système de santé ce n’est pas bon.

D’autre part sont toujours en embuscade les compagnies d’assurances et leurs faux nez mutualistes. Leur idée évidemment, c’est que pour imposer des systèmes clos ou un système de caisse unique, mais la leur, plus chère qu’ailleurs et pour ceux qui peuvent payer, il faut d’abord obtenir la peau de la Sécu et de la convention unique à réduire à une peau de chagrin. Et toutes ces mesures, y compris la disparition du concours anonyme de première année, vont dans ce sens-là. Parce que les facs vont se différencier, les unes jouant la qualité, les autres jouant le bas de gamme, et on retrouvera comme avant 1958, les médecins mettant sur leur plaque Docteur Trucmuche de la faculté de médecine de Trifouillis et pas de Bécon-les-Bruyères. Si on rajoute à cela que l’absence d’anonymat va ressusciter extrêmement rapidement le népotisme et les passe-droits, c’est une garantie de destruction de l’œuvre de Robert Debré et de Charles De Gaulle en 1958, parce que Michel Debré, premier ministre n’a fait que mettre en musique et signer ce que son patron Charles De Gaulle lui avait demandé après avoir en discuté avec son papa qui était Robert Debré. Et il faut se rappeler qu’à l’époque, même à l’époque où la chambre UNR était quand même assez obéissante, le choix a été fait de faire passer la réforme entièrement par ordonnance pour éviter les combats de retardement, de détournement et toute manœuvre dilatoire. Donc là, c’est un grand dommage.

Moi je suis partisan de longue date d’un concours en première année, on est pris ou on n’est pas pris, on est payé dès ce moment-là, et dans le contrat il est précisé qu’on fera tant d’années dans un coin où on a besoin de vous, et d’autre part que les spécialités seront choisies par un ordre de classement avec un classement de sortie et que cet ordre de classement s’imposera sans qu’on ait comme actuellement 36 astuces pour imiter les poissons changent de sexe en vieillissant, car c’est ce qui arrive chez certains poissons. Et éviter de travailler comme généraliste.

Alors merci Professeur de nous avoir éclairés sur les mesures annoncées par le Premier Ministre, Gabriel Attal, et puis d’avoir développé d’autres pistes. On vous retrouve très bientôt et pour en savoir plus on donne un rendez-vous à nos auditeurs, ils connaissent l’adresse jhmcohen.cm, c’est votre blog. A très bientôt Jacques.

A très bientôt, sur le blog dans quelques jours car je suis encore en déplacement de travail.

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