Jacques HM COHEN 26 4 24
Sur les ondes de RCF: LIEN
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Professeur bonjour.
Bonjour et bien aujourd’hui on va faire de la santé.
Effectivement, c’est le sujet que vous avez choisi. On va parler des vaccins anti-grippe et plus particulièrement du vaccin Efluelda avec un retrait inhabituel. Si l’on fait une photographie Professeur de tout cela, de quoi voulez-vous parler concrètement ?
Le ministère de la santé a annoncé le retrait dans quelques semaines du produit Efluelda qui est un vaccin antigrippe quatre fois plus dosé pour les personnes âgées qui ont besoin d’avoir un système immunitaire plus stimulé pour répondre. Il est relativement courant qu’il y ait des retraits de médicaments pour des problèmes de tolérance et même pour des vaccins cela arrive de temps en temps sur des incidents de l’un ou l’autre. Mais là on est dans la mise sur la place publique d’une bataille de chiffonniers.
Traditionnelle aussi, mais qui d’habitude se déroule à guichet fermé, qui est la discussion entre le comité technique des médicaments et le laboratoire sur le prix auquel un produit sera remboursé.

vaccin grippe tetravalent « forte dose »
Pourquoi sur la place publique, parce que cette fois-ci de façon totalement inhabituelle au lieu de discuter entre quatre yeux et en privé, la chose est sur la place publique. Un prix du médicament a été fixé à 31 € et puis à ce moment-là la firme dit qu’elle y perd de l’argent, le gouvernement dit que c’est déjà bien assez cher comme cela. Mais en ayant été persuadé qu’on finirait par trouver une solution, on s’est laissé aller, si je puis dire, à ce que le produit soit autorisé et mis sur le marché.
Avec un point qui est quand même très tangent qui a probablement contribué au cafouillage, c’est que les vaccins antigrippaux des personnes âgées sont pris en charge par l’État. Ils sont gratuits et ils ne sont pas au prix du marché, même si officiellement c’est 65 % seulement de remboursement pour un produit à 31 € si je me ne trompe pas au catalogue, ce genre de campagne généralement se produit avec une prise en charge. Et là, on a quelque chose d’inhabituel qui risque de retomber sur les pieds des deux parce que c’est une bagarre où il risque d’y avoir deux perdants et pas de gagnant. Parce que la firme défend que le produit est utile, et qu’il apporte quelque chose par rapport au précédent vaccin. Elle rajoute que comme il y en quatre fois plus dans la seringue, elle ne rentre pas ses frais avec le prix fixé. Il y a du vrai et du faux là-dedans mais cela risque de leur retomber sur les pieds parce que la firme va récupérer là-dedans une image de rapace et le gouvernement une image de rapiat. Parce qu’il y a un bénéfice technique à ce vaccin par rapport au précédent et là la réponse gouvernementale c’est oui; mais le bénéfice il n’est pas si élevé que cela par rapport aux coûts et aux surcoûts et donc que cela ira bien pour les vieux de leur filer l’ancien vaccin.
Donc dans les deux cas, les protagonistes risquent d’y laisser des plumes, si je puis dire, au point de vue image pour quelque chose qui est invraisemblable. Et d’habitude ce genre de discussion de marchand de tapis ne se passe pas sur la place publique et surtout n’aboutit pas à un bras de fer disant « vous pouvez remballer votre vaccin, on n’en veut pas en France ». Ce qui d’ailleurs du point de vue de Sanofi n’est pas un arrêt de mort parce qu’il est autorisé aux Etats-Unis et je pense dans la plupart des pays d’Europe, c’est juste une question de discussion sur les prix. Et d’ailleurs, le retrait va poser un problème parce qu’on n’a jamais jusqu’à présent retiré un produit sur des questions financières, c’est toujours sur des questions techniques et là il n’y en a pas qui puissent être mises en avant. Et donc techniquement ce qui serait possible c’est de le dérembourser, mais de le retirer pour des raisons financières pose un problème juridique assez épineux que je pense le labo ne va pas manquer d’accrocher.
Donc on a l’impression que le savoir-faire ou la gestion des questions médicamenteuses du point de vue gouvernemental se situe quand même pas loin du cafouillage avec cette affaire et avec un autre sujet qui est tombé récemment qui est la question de l’attitude gouvernementale devant la vente de Biogaran dont le propriétaire qui est Servier veut s’en débarrasser. Alors il faut peut-être expliquer un peu plus ce que sont les génériques, ce qu’est une firme de génériques, et pourquoi un fabricant de médicaments contrôlait de cette firme de génériques et d’ailleurs pourquoi il n’en veut plus. Donc cela, c’est un sujet qui est également un b.a.-ba de la question des médicaments, et on a l’impression assez curieuse que le ministère de la santé et Bercy qui ne se parlent pas forcément beaucoup, n’ont pas une vue exacte du sujet. Alors Biogaran, donc principal génériqueur français. Qu’est-ce qu’un générique, c’est un produit qui n’est plus protégé et qui donc dans ce cas là la plupart du temps n’utilisera plus la marque, le nom qui est connu, donc ce qui fait la niche du marché, qui peut être fabriqué par n’importe qui, et vendu généralement beaucoup moins cher que quand il était protégé. Pour les génériqueurs, il s’agit de prendre des produits éprouvés par définition avec des coûts de fabrication qui soient faibles et les coûts de mise sur le marché qui le soient également parce que la démonstration de l’efficacité et de la sécurité d’un produit neuf et celle d’un produit j’allais dire usagé ne sont pas les mêmes. Là on demande simplement de démontrer la bioéquivalence sans dépenser toutes les études de la sortie du produit. Alors c’est devenu une spécialité, il y a des firmes de génériqueurs qui utilisent cette niche, qui permet de faire des médicaments en triant un petit peu, des choses simples à faire, des gros volumes et des petites marges. Alors Biogaran était le principal, ou est le principal génériqueur français, un deuxième génériqueur par exemple c’est la firme Téva qui est une firme israélienne. Et le paysage pharmaceutique comporte des éléments qui sont un petit peu de fuite en avant. Biogaran appartient à Servier qui est un laboratoire qui fait des produits traditionnels et si possible novateurs. Biogaran rapporte de l’argent mais pas tant que cela et il en immobilise beaucoup. Et donc Servier veut se débarrasser de Biogaran, parce qu’elle a besoin de cash pour continuer la course avec ses concurrents, les fabricants de vrais médicaments j’allais dire, de médicaments nouveaux, où les investissements sont élevés et où le taux de rentabilité malgré les apparences est quand même très élevé lui aussi. Et donc une immobilisation importante à faible taux, cela ne les tente plus. Alors cela rentre en collision d’ailleurs avec le discours gouvernemental de souveraineté médicamenteuse, de vouloir tout ramener à la maison. Et cela se confronte aussi à la réalité du marché mondial des médicaments, parce qu’on a des matières premières vracs, le produit, qui sont fabriqués par chimie fine dans plusieurs pays, mais très rarement ou même quasiment plus chez nous. Parce que c’est fabriqué non pas seulement en Chine comme tout le monde le dit, mais au Pakistan, en Inde et au Bangladesh, parce que ce sont des secteurs avec une faible marge et que les rapatrier si on veut les faire à la maison va conduire à des coûts beaucoup plus élevés et donc à renchérir le prix réel de fabrication des médicaments.
Il y a d’autres catégories de génériques, ce sont les génériques non pas de produits simples mais de produits compliqués, pour schématiser de produits biologiques. Là les investissements même pour génériques sont plus importants, mais la marge est plus importante. Et on voit des gens qui s’échappent de leur niche, Téva par exemple qui a une niche initiale sur les génériques bas de gamme s’est décalée à faire des génériques j’allais dire haut-de-gamme, et même à faire maintenant des produits originaux, ce qui montre la fluidité en fait du secteur pharmaceutique. L’autre fluidité c’est que pour racheter Biogaran qui est sur les rangs ? et bien les fabricants des produit vracs, du principe actif, des firmes par exemple indiennes ou chinoises ou du Bangladesh, parce qu’ils voient la possibilité d’agrandir leur niche vers le haut, vers des produits qui ont quand même une valeur ajoutée plus importante que de vendre la poudre en baril si je puis dire. Et on pourrait se poser aussi la question, est-ce que c’est intéressant de rapatrier des choses comme cela. Le raisonnement c’est aussi la sécurité médicamenteuse. Ce n’est pas sûr du tout compte-tenu des cycles et de la production, qu’on ne puisse avoir des stocks qui permettent de pallier une crise, ou qui permettent d’avoir diversifié ses fournisseurs pour ne pas risquer de rupture d’approvisionnement. On n’est pas obligé de tout mettre à la maison, ce qui n’aurait à ce moment-là qu’une conséquence, c’est-à-dire des renchérissements considérables.
Alors qu’on a aussi quelquefois des politiques des firmes qui sont un peu bizarres, et là c’est Sanofi qui essaie de faire survivre le Doliprane, le Doliprane étant un produit qui est génériqué, mais au lieu de l’avoir repassé à un génériqueur, Sanofi semble vouloir continuer le produit d’une main et de l’autre préparer sa bascule vers les génériques en réduisant la production. Ce n’est pas le manque de produits de base qui fait les pénuries de Doliprane, c’est une politique industrielle, qui est que considérant que sa marge n’est pas bien considérable, ce n’est pas la peine de continuer à tenir cette niche et qu’on devrait le passer à un génériqueur. Sauf que comme ce n’est pas fait, le résultat pratique c’est que la planification de l’obsolescence du produit bute sur le fait que son remplacement n’est pas assuré. Donc cela, c’est une question de politique industrielle des uns et des autres, mais c’est un petit peu sur des politiques j’allais dire contradictoires, ce n’est pas une question de pénurie vraie. Et on aurait plus de matière première sur laquelle il n’y a jamais eu de pénurie, on n’aurait pas résolu cette question de la fabrication et des doses de Doliprane dont la persistance n’était pas anticipée par Sanofi qui pensait que les génériqueurs allaient rapidement le remplacer sur ce secteur. Donc vous voyez que le paysage pharmaceutique est quelque chose d’un peu plus compliqué que l’illusion de fabricants français avec des médicaments qui peuvent courir dans la prairie et manger du grain au lieu d’être en batterie : on n’est pas dans des histoires de poulet.
Et bien un grand merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur ses différents aspects du paysage médical français et les différentes annonces gouvernementales qui ne sont pas toujours cohérentes, ou en tous cas qui ne tiennent pas forcément compte de la réalité. A très bientôt Professeur. Tout ce sujet est à retrouver sur votre blog jhmcohen.com.
A retrouver bientôt.