Elections US, la fin des illusions européennes.

Jacques HM Cohen 8 11 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone, Professeur Bonjour.

Bonjour.

Et on va s’intéresser cette semaine à un événement qui a défrayé la chronique dans le monde entier évidemment, et cela déjà depuis plusieurs mois, les élections américaines. Le duel tant attendu Kamala Harris face à Donald Trump. Et finalement, c’est bien Donald Trump qui a été élu 47ème président des États-Unis. Jacques Cohen, qu’est-ce que cela vous inspire cette photographie des élections américaines 2024 ?

Ce qui m’a frappé, c’est la surprise en Europe, parce que ceci va d’ailleurs être le début de la fin des illusions européennes sur les États-Unis. La plupart des Européens avaient l’habitude de prendre, j’allais dire, pour argent comptant ce que raconte la grande presse US, la grande presse donc démocrate, et laquelle a donc vendu et survendu que dans la dernière ligne droite, la candidate démocrate pourrait s’en sortir. Ce qui était en fait mal barré depuis très très longtemps.

trump

47 ème Président des USA

Avec le système électoral compliqué des grands électeurs aux États-Unis, il faut au moins 3 points d’écart en faveur des démocrates pour arriver à un président démocrate élu. Il y a d’autre part la question des deux chambres, et là, il faut 5 ou 6 points pour faire un grand chelem démocrate, et ce qu’on a constaté c’est le contraire. C’est à dire que à partir d’une égalité en voix, ce qui donc porte des risques considérables pour l’avenir, c’est que le pays est vraiment divisé en deux, à partir d’une égalité en voix et bien Donald Trump ramasse le grand chelem.

C’est à dire il ramasse forcément la présidence, mais il ramasse les deux chambres. Alors cela c’est très ennuyeux. Parce que le pouvoir US donne pas mal de liberté au président sur les affaires étrangères, mais à l’intérieur il ne peut pratiquement rien faire sans les chambres ou du moins sans le congrès. Et là, on a pensé pendant longtemps qu’un certain nombre de coups de menton ou de déclarations intempestives de Trump pouvaient être bloqués par la Chambre, ce qui s’est passé lors de son précédent mandat, et cette fois-ci au moins au début ce n’est pas le cas. Il tient toutes les chambres donc ce qu’il dit, peut passer tout droit. Tout droit un certain temps parce que les élus vont retrouver les pesanteurs j’allais dire sociologique comme on dit d’habitude, les élus défendront leur circonscription, et il n’est pas sûr que les chambres entièrement républicaines soient entièrement trumpistes ad vitam æternam. Donc là on verra ce qui se passera, mais au départ cela peut un petit peu coincer.

Alors dans les illusions européennes qui vont disparaître, il y a deux choses. L’une c’est que les États-Unis puissent être généreux, les États ne sont pas généreux, ils défendent leurs intérêts, cela c’est bien connu, mais c’est déjà le cas. Donc ce n’est qu’une illusion, j’allais dire idéologique qui va partir en fumée. Là, les mesures protectionnistes de Biden étaient déjà considérables et il y a peu de chances que celles que Trump prendra soit réellement beaucoup plus agressives, elles seront plus spectaculaires mais du point de vue de faire mal, il y a peu de chances parce qu’en fait finalement les États sont aussi obligés de faire avec le fait que d’assassiner leurs partenaires les saignent eux aussi pour faire un raccourci.

La question va être un peu la même pour la Chine. Les États-Unis ne peuvent pas, malgré les apparences se permettent de couper tout pont avec la Chine, principal acteur du commerce mondial.

Mais alors du point de vue des Européens, il y a un point tout à fait évident pour nous, c’est que cela fait très longtemps que Trump dit qu’il faudra que les Européens investissent dans leur défense au lieu de compter sur le fait que ce soit les Etats-Unis qui le fassent. Or l’équation économique correspondante est énorme, et le fardeau est totalement hors de portée d’une Europe dont les principaux pays sont en crise. La principale crise la plus notable de très loin, c’est la crise allemande. Vu que là cette crise économique va se doubler d’une crise politique puisque Scholz vient de renvoyer son ministre des finances, ce qui aboutit probablement à faire exploser la coalition. Mais d’autre part, nous avons en France, une situation un petit peu meilleure malgré les apparences, mais qui ne pourra pas durer longtemps si l’Allemagne, notre partenaire majeur, reste engluée dans sa crise.

C’est là où je vais plutôt venir à vous raconter un panorama européen qui est un problème. Tout d’abord, le contexte général, c’est que si le protectionnisme se répand partout, la croissance économique s’effondrera et la tentation sera grande partout de passer dans une économie non pas de guerre, mais de préparation de la guerre. C’est à dire de faire un petit peu ce que le Docteur Schacht avait fait pour Hitler, qui a permis à un essor économique de 1933 à 1938. A ce moment-là Schacht a dit « cela suffit, faut arrêter parce qu’après la Banque centrale n’aura plus un sou probablement vers 40-41 », et que donc on ne peut pas vivre comme cela longtemps. Ce à quoi les nazis l’ont renvoyé de son ministère en lui disant « ce n’est pas un problème, d’ici là on aura assez de moyens militaires pour aller piller les autres et on vivra là-dessus ». Alors ceci a marché pendant 3 ans, puis la suite vous la connaissez. Donc c’est très ennuyeux de rentrer dans ce genre de chose. Et si on ne veut pas entrer dans ce genre de choses, il faut défendre le commerce international, mais on ne peut pas le défendre tout seul.

Dans cette situation, les horloges européennes ne sont pas à l’heure. D’une part de dire qu’il ne faut pas de protectionnisme c’est un principe général qui est bon mais qu’on ne peut pas appliquer seul, sinon on se fait plumer, c’est quand même déjà un premier problème. Deuxièmement, les mythes écologistes sont une ruine pour l’Europe, alors qu’elle avait tous les atouts pour profiter de la situation de crise mondiale pour améliorer sa situation, elle s’est mise en position de reculer nettement.

Alors ensuite, il y a la situation conjoncturelle française particulière. Nous, nous avons une crise conjoncturelle de dettes. Et je vais peut-être vous surprendre, mais le raisonnement global qu’il ne donne jamais en public du président Macron, c’est que de toute façon l’État ne peut avoir de protection sociale, l’état protecteur ne peut exister que si on a de la croissance, sinon tout le reste s’effondre. Et les réformes de retraites avec des points et demi-points, des quarts de point, des timbres à coller, ou n’importe quoi, ou des âges, cela ne peut pas tenir s’il n’y a pas de croissance. Et pour la croissance, c’est ce qu’on appelle la politique de l’offre, c’est à dire que l’État aide les entreprises à pouvoir produire efficacement et que la consommation puisse faire tirer tout cela. Paradoxalement, c’est un des rares points ou il a un réflexe généralement de gauche keynésienne que de dire cela, enfin de faire cela. Alors, Macron l’a fait un peu inconsidérément beaucoup plus que nécessaire, et le redémarrage de l’inflation nous conduit à une crise conjoncturelle aiguë, il faut apurer au moins une tranche de cette dette, ou du moins pour alléger le service de la dette. Mais nous allons y être aidés parce que l’inflation va d’abord diminuer. Avant que le protectionnisme ne crée manifestement une situation, à l’échelle mondiale hélas, de stagflation. C’est-à-dire peu de croissance, mais un peu plus d’inflation et une économie qui s’englue. Donc les taux d’intérêt baissant là conjoncturellement, le problème de crise de dette cela va être réglé ou du moins cela pourra être supporté.

Mais l’aspect structurel des choses, c’est à dire que nous avons une balance commerciale qui est déficitaire et même une balance agricole déficitaire hors des exportations de spiritueux, c’est un scandale. C’est qu’un des principaux atouts du pays, une agriculture florissante, a été délibérément sacrifié et on voit que l’Europe, dont je vous disais que les horloges ne sont pas à l’heure, voudrait continuer avec l’accord du Mercosur qui est complètement anachronique. Donc nous avons là une situation qui est très nuisible. Quand on voit que nous avons donc des aides, on découvre parce que le Premier ministre est fâché, que Auchan, la grande distribution, touche du crédit impôt-recherche.

Vu de mon point de vue de chercheur, c’est un truc à m’arracher les tripes car on est toujours obligé de se battre pour le moindre centime de subvention, et quand on voit que les subventions industrielles déguisées à des gens qui ne font jamais de recherche bouffent 5 milliards par an de crédit impôt-recherche sur lesquels il y en a bien 4 milliards sur 5 qui sont de cet acabit, on voit qu’il nous suffirait de récupérer 2-3 trucs à la petite cuillère pour que la recherche puisse enfin être à l’aise et productive, d’autant plus que nous avons là de gros atouts pour l’avenir.

Donc en fait, dans un premier temps, il va y avoir quelques péripéties, mais au-delà il va y avoir le problème structurel pour tout le monde, et c’est une question que Trump ne résoudra pas. Il va commencer par des mouvements de menton.

Le seul point qui est positif, c’est que paradoxalement, effectivement il n’est pas sûr que Trump veuille la guerre ou qu’il veuille les guerres. Et donc d’alléger la charge, le fardeau que représente les conflits, peut donner une bouffée économique favorable sur les différentes économies et nous verrons si finalement cela se déroule ainsi de façon inattendue ou si l’on se retrouve dans la même situation qu’avec le précédent Président, c’est à dire des USA incapable d’être gendarme du monde comme les États-Unis l’ont été un moment, mais leur puissance actuelle ne le permettant pas. Et donc incapables d’éteindre les conflits. Donc vous voyez c’est en demi-teinte, il n’est pas impossible que les mouvements de menton de Trump soient pour certains positifs ou aient des résultats positifs. Et donc le pire et l’apocalypse ne sont pas toujours sûrs.

Merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur ces élections américaines avec le titre de cette chronique, la fin des illusions européennes. A très bientôt Professeur. Plus d’informations comme d’habitude lorsqu’il sera à jour sur votre blog jhmcohen.com.

À bientôt.

Laisser un commentaire