Guerre ou paix en Ukraine, du rose aux différentes nuances de noir.

JHM COHEN 10 1 2025

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité, la première de l’an 2025, avec le Professeur Jacques Cohen, avec nous en ligne par téléphone, Professeur bonjour.

Bonjour, bonne année.

Une très belle année, une très belle santé évidemment et puis meilleurs vœux pour cette année 2025, Professeur. Merci pour votre fidélité aux ondes de RCF en ce début d’année civile, mais en cette continuité d’année radiophonique. Et on va revenir sur un sujet dont on a beaucoup parlé ces derniers mois, bien évidemment la guerre Ukraine-Russie et particulièrement de ce qu’il se passe du côté de l’Ukraine, Professeur Jacques Cohen, avec vous. Guerre ou paix en Ukraine, du rose aux différentes nuances de noir, c’est le titre de votre chronique aujourd’hui, Professeur Jacques Cohen. Est ce qu’il y a encore un petit peu d’espoir quelque part ?

Oui, il y a des espoirs parce que la guerre finalement coûte cher à tout le monde, à tous les sens du terme, et que donc on ne sait jamais, c’est peut-être le plus fou qui fera la paix. cela veut dire Trump. On ne sait donc jamais mais ce n’est pas la seule possibilité.

A Odessa, le monument au chanteur et poète dissident soviétique Visotsky:

vysotsky avant

vysotsky après

Ce qui reste du monument aujourd’hui. Crédit Photo SO-PA

Vous savez que la ligne occidentale n’est pas du tout celle que je préconisais puisque les livraisons de matériels ont comporté l’autorisation de s’en servir en Russie, et que si l’on voulait le plus efficacement possible aider l’Ukraine c’est par la désagrégation à l’intérieur du monde politique russe que l’on pouvait y arriver. Et on a vu, par l’aventure de Prigogine que ce n’était pas totalement impossible. En gardant l’échelle d’un conflit régional mais de plus en plus coûteux pour la Russie. Mais à partir du moment où les Ukrainiens délibérément rentrent sur le territoire de la Fédération de Russie et surtout bombardent allégrement, y compris avec du matériel occidental, très en arrière en Russie, pas seulement près du front et des centres de communication de combat, et bien à ce moment-là on a obtenu exactement le contraire, c’est à dire que la population russe à 95 % considère que Poutine a peut-être fait une grosse connerie mais que les Occidentaux, c’est-à-dire les Américains, en profitent et veulent en profiter pour démanteler la Russie, ce qui ferait le plus grand plaisir aux pays baltes et aux Ukrainiens, et qu’il n’y a donc pas de choix : il faut se rassembler pour défendre la patrie et la Fédération de Russie. Malheureusement, cela a parfaitement marché.

Parce qu’on peut d’abord retourner la question : que ce serait-il passé si Poutine avait réussi ? C’est à dire si l’invasion avait fonctionné en 8 jours comme c’était prévu. Et bien, il aurait inauguré le début d’un Afghanistan occidental. C’est à dire qu’inéluctablement, il y aurait eu une guérilla importante, une opposition armée, etc, et les Ukrainiens ne se seraient pas plus couchés, si j’ose dire, n’auraient pas plus obtempéré à une politique agressive de troupes d’occupation. Comme vous le savez, on peut faire beaucoup de choses avec les baïonnettes, mais pas s’asseoir dessus. Bien avant le directoire, dès le début de la Révolution française, avant de se retrouver entraîné dans une fuite en avant, Robespierre lui-même disait qu’on n’exporte pas la révolution par une armée et que les gens n’aiment pas qu’on leur tape dessus. Donc c’est ce qui se serait passé. L’opération de Poutine d’invasion rapide a échoué et on est rentré dans une période de guerre prolongée.

Il faut rappeler en matière de guérilla que de 45 à 53, il est resté une guérilla pro-occidentale, d’ailleurs légèrement pronazie en Ukraine et que ce n’est pas la répression du NKVD qui en est venu à bout, c’est le développement économique. Parce que l’Union Soviétique à l’époque a privilégié l’Ukraine dans sa reconstruction, parce qu’elle avait souffert épouvantablement, et aussi parce qu’une bonne partie de l’élite politique soviétique était d’origine ukrainienne. On peut même rappeler d’ailleurs que Trotsky, Jdanov, Brejnev et bien d’autres, pas seulement Khrouchtchev, étaient du coin. Donc c’est le développement économique qui avait obtenu d’en finir avec la guérilla et si Poutine avait gagné et bien il se serait retrouvé à nouveau avec cette situation, et on sait avec l’exemple de l’Afghanistan ce qu’il se passe dans ce cas-là.

Mais on est rentré dans une radicalisation, pour l’affirmation d’une identité ukrainienne dans la négation de l’héritage russe, allant jusqu’à démolir la statue du poète, Vissotski icône des dissidents soviétiques, ce qui est quand même gonflé. Et qu’il y a des patrouilles ridicules pour interdire aux gens de parler russe et ainsi de suite. De même est particulièrement irréaliste, la revendication de la Crimée, rattachée à l’Ukraine par Krouchtchev pour le 300 ème anniversaire du ralliement au Tzar de Russie du chef des cosaques ukrainiens, et peuplée très majoritairement de russes sans aucune attache ukrainienne, saupoudrée d’à peine 10 % de Tatars d’origine turque. On voit que la radicalisation chez les Ukrainiens n’est pas négligeable, de même l’extrême droite ukrainienne qui ne pesait rien avant la guerre croit et embellit, et d’ailleurs Poutine n’a pas hésité à échanger parmi les prisonniers ceux qui étaient d’authentiques prisonniers néonazis du groupe AZOV, parce qu’il essaie d’obtenir une telle dérive en Ukraine. Donc cela c’est pour indiquer un peu le contexte général. Les attaques en profondeur ont soudé les Russes autour de leur direction, et c’est finalement la meilleure chance de Poutine.

Alors ce qui est à craindre, c’est qu’on a plusieurs scénarios. Le scénario rose, je vous en ai donné dernièrement plusieurs, mais ils comporteraient que les Russes reconnaissent que l’Ukraine existe. A partir du moment où le pays est décentralisé en républiques autonomes qui permettent que chacun vive, si j’ose dire, en paix, et que selon les régions il puisse y avoir des accords avec l’Union européenne ou avec la communauté économique russe, ou les deux à la fois. Je pense d’ailleurs que c’est ce que choisirait la plupart des régions, parce qu’ils peuvent très bien gagner sur les deux tableaux.

Regardez la situation de la Moldavie en voie d’entrée dans l’Europe , avec une sécession pro russe en Transnistrie et de larges échanges entre les deux zones. Ce que certains voudraient remettre en cause. Mais la population y tient dans les 2 camps d’où le résultat des dernières élections.

Et donc on peut rentrer en Ukraine dans un scénario de paix à condition d’éviter les deux positions extrêmes qui sont celle de VV Poutine : « l’Ukraine n’existe pas », et l’autre position extrême qui est « les Russes dégagent et l’OTAN arrive à la frontière russe, laquelle va évoluer avec le morcellement de la Russie et de ses marges » avec l’Ukraine qui y est donc intégrée comme leader régional.

Donc les scénarios noirs c’est qu’on n’arrive pas à s’entendre là-dessus. Parce que le cessez-le-feu sur la ligne de front je n’y crois pas beaucoup.

Si les gens n’arrivent pas à se mettre d’accord, malgré les intérêts des uns et des autres pour cette solution ou quelque chose de ce genre, on a d’autres scénarios qui ne sont en fait que du gris au noir et du très noir. Les scénarios de cessez-le-feu sur la ligne de front actuelle paraissent assez peu probables, d’abord parce que les Russes grignotent tous les jours, et qu’ils n’ont pas de raison de choisir une solution où ils s’arrêtent avant un bout de temps.

D’autre part, on risque plus d’être dans une situation moyenne orientale que dans une situation coréenne, parce qu’à la première occasion, et même s’il n’y en a pas, chaque camp en profitera pour continuer à tirer sur celui d’en face et à lui faire des misères. Donc on serait dans une guerre tiède ou une guerre sporadique plutôt qu’une guerre tous les jours mais on n’en sortirait pas. Ensuite, il y a une autre situation qui est à craindre qui est beaucoup plus noire, qui est que les Ukrainiens ont comme logique qu’il ne faut pas rester à un conflit régional. Ils sont plus petits que les Russes ils le savent très bien, et donc il faut obtenir de mouiller l’ensemble de l’Occident dans leur camp avec comme toujours la ligne de vouloir la destruction de la Fédération de Russie avec l’envahissement préalable comme le disait un ministre ukrainien « quand nous défilerons sur la place Rouge ». Ce qui est quand même assez casse-gueule comme raisonnement, parce qu’il y a bien des Allemands qui ont défilé sur la place Rouge mais ils étaient prisonniers. Donc l’arme qui leur reste pour soutenir cela c’est d’intensifier avec pour l’instant du matériel occidental, mais du matériel ukrainien est parfaitement possible pour cela, d’intensifier les attaques en profondeur y compris bombarder Moscou sérieusement, etc. À ce moment-là que va-t-il se passer ? Bon, le régime russe a comme attitude de dire attention si des intérêts vitaux sont mis en cause, on va lancer des bombes atomiques, mais malgré les apparences les bombes atomiques tactiques sont à mon avis une illusion. Parce que ou elles sont telles qu’elles avaient été définies pour intervenir dans les combats de chars mais il n’y en a pas, c’est fini, ou bien c’est la taille au-dessus pour raser une ville mais on est plus exactement dans la bombe tactique si on vitrifie  Zaporijia, Dniepro ou Kharkov. Donc en fait du point de vue du régime russe il y aurait déjà une grosse difficulté qui est de dire mais qu’est-ce qu’on fait de plus à partir du moment où il y a une escalade de la part des Ukrainiens. Alors éventuellement des choses asymétriques mais cela ne peut pas aller bien loin non plus parce que dès qu’on dépasse l’asymétrique gentillet ce sont des actes de guerre sur les territoires de pays de l’OTAN et qu’à ce moment-là l’escalade est garantie.

Et bien, il reste une possibilité, c’est que contrairement à l’illusion des Ukrainiens qui est que les bombardements devenant de plus en plus coûteux en Russie, le régime va s’effondrer. En fait, le plus probable et de très loin c’est que l’opinion russe va considérer qu’on n’en a pas fait assez pour l’instant, cela fait trop longtemps que cela traîne, que d’agir ainsi est coûteux et qu’on a pas fait de mobilisation générale, ni même de mobilisation partielle, on n’a que des volontaires, on a à ce moment-là un corps de bataille d’à peu près 300 000 personnes, on peut le doubler ou le tripler, et à ce moment-là on règle la question parce qu’on envahit une bonne fois l’Ukraine.

Et je crains que le scénario noir le plus vraisemblable, s’il n’y a pas d’accord de paix, ce soit celui-là. C’est à dire que les Ukrainiens continuent à accentuer leurs interventions militaires sur le terrain de la Fédération de Russie, sur le sol russe, visent des centres de plus en plus significatifs avec du matériel de plus en plus destructeur, et que contrairement à leur illusion de voir dans cette situation la population russe exiger la paix et faire dégager VV Poutine, on ait le contraire, c’est à dire l’attitude suivante « cela suffit, cela nous coûte cher d’y aller doucement, il faut une mobilisation beaucoup plus importante et envahir toute l’Ukraine » c’est à dire qu’il faut à peu près un an pour mobiliser, équiper et ensuite la question peut être effectivement réglée en 3 mois si la Russie dispose de 900 000 hommes comme force d’intervention au lieu de 300 000 actuellement. Donc cela c’est un très gros risque parce que psychologiquement et historiquement, la mise en cause de la Russie avec des dégâts importants peut conduire à ce que Poutine se fasse déborder sur la ligne interventionniste qui est nous souffrons de dégâts tels qu’il faut en finir et envahir l’Ukraine, et pour l’envahir il est évident qu’il ne faut pas grignoter quelques kilomètres par semaine, il faut une force de frappe bien plus considérable, de 2 ou 3 fois celle qui est actuellement à l’oeuvre, et à ce moment-là, effectivement, 3 mois de campagne permettront de liquider l’Ukraine. Cela semble ce qu’a sous-entendu N Patrouchev en disant que s’il n’y a pas d’accord de paix dans un an, l’Ukraine n’existerait peut-être plus.

Et bien merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur ces différents scénarios. Du rose aux différentes nuances de noir. Plus d’informations sur votre blog lorsqu’il sera à jour en ce début d’année 2025. Encore une fois, Professeur, meilleurs vœux et très bonne année.

Très bonne année, mais j’ajouterai une chose c’est que c’est comme dans les séries, à la fin de cette saison-là imaginons donc des dégâts épouvantables et l’Ukraine envahie, et bien on revient aux 8 premiers jours de la guerre, c’est à dire d’avoir une opposition politique et armée et une guérilla dans un pays occupé pour la saison suivante.

Merci Professeur, ce sera le mot de la fin. A très bientôt.

A très bientôt.

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