Jacques HM Cohen 26 1 2025

Sur les ondes de RCF: LIEN

 

Merci d’être avec nous pour nous emmener aujourd’hui en Moldavie. La Moldavie, un modèle régional pacifique inattendu mais en péril, c’est l’objet de votre chronique d’actualité cette semaine. Il faut dire que la Moldavie est entrée il y a un mois environ en décret d’état d’urgence énergétique, notamment à cause du gaz. Photographie du paysage, Jacques Cohen.

Alors il faut d’abord effectivement avant de discuter du gaz, établir le paysage fort compliqué, insolite, mais intéressant de la Moldavie. Parce que la Moldavie, ancienne Bessarabie pour une partie, de temps en temps roumaine, de temps en temps russe, parfois polonaise ou turque, la Moldavie a une zone sécessionniste qui est la Transnistrie.

Donc la Transnistrie est une zone sécessionniste russe, et c’est un petit peu quelque chose d’exotique, hors du temps. C’est une région qui en est restée à l’Union soviétique. La glorieuse 14^ème armée de la garde de l’Armée Rouge possédait là un énorme centre de logistique du temps de la guerre froide pour se préparer si jamais elle se réchauffait. Ce centre logistique et ses munitions d’ailleurs sont toujours là. Alors depuis 30 ans les soldats de la 14^ème armée de la garde ne sont plus tout à fait les mêmes, mais c’est cette population russe qui a fait sécession et qui continue à entretenir d’excellentes relations avec Moscou et des relations, comme on va le voir, un petit peu variables avec le reste de la Moldavie. Car comme vous ne le savez peut-être pas la capitale de la Transnistrie est Tiraspol, tandis que la capitale de la Moldavie est Chisinau.  Chisinau  s’appelait avant, du temps du Tsar- ce n’est même pas la peine de s’arrêter simplement à la période soviétique – , elle s’appelait Kichinev qui a eu malheureusement une célébrité pour avoir été le lieu d’un grand pogrom anti juifs au début du 20^ème siècle, qui avait eu un retentissement international, car c’est le premier où on avait pris des photos des cadavres, qui ont parcouru le monde.

Et la Moldavie donc a une région sécessionniste, mais on n’est pas comme en Ukraine. Ce n’est pas une région sécessionniste avec des tranchées, des barbelés, où on se tire dessus le plus clair du temps. La limite c’est un fleuve, mais on le franchit allègrement.

Parce que vous avez commencé par me le demander, et cette histoire de gaz ? Et bien normalement, si je puis dire, la Russie fournissait en gaz la zone sécessionniste de Transnistrie gratuitement et la Moldavie en obtenait du courant électrique et même les 3/4 de son courant électrique. Puis récemment les Ukrainiens ont coupé le gaz. Ce qui fait que cela commençait à être gênant pour les deux. Du côté moldave, on a étudié comment essayer de se procurer du gaz en dehors, d’autant plus facilement que les Russes se proposent de fournir du gaz qui soit le leur ou pas tout à fait le leur par des gazoducs occidentaux, ou par la Turquie pour pouvoir approvisionner la zone sécessionniste.

Alors cette zone sécessionniste a quand même avec une frontière commune avec l’Ukraine. C’est officiellement un pays sans route ni accès à la mer, totalement isolée, mais qui finalement survit très bien. Elle vit très bien avec un espèce de miracle dont on va parler dans un instant. Déjà, il y a ce problème de gaz qui n’est pas tout à fait résolu, mais il faut savoir que la Transnistrie et la Moldavie ont des relations, des relations qu’on dira complexes et mutuellement profitables. D’abord parce que la grande centrale électrique qui marche au gaz est en zone sécessionniste mais qu’elle couvre 70 % du pays, ce qui pourrait paraître surprenant. De même, on a la proposition de Zelenski qui est de dire « non, non, non, vous n’aurez plus de gaz, je vous ai coupé le tuyau, puis si vous vous mettez à essayer de vous en procurer aller à l’Ouest cela va faire des histoires. D’ailleurs ce que je vous propose, c’est beaucoup plus simple, je vous fournis du charbon pour faire tourner votre centrale. Moyennant quoi vous couvrirez toute la Moldavie comme d’habitude et même vous aurez du rab que vous pourrez exporter chez nous parce que justement nous on a des centrales qui sont ratatinées les unes après les autres par les Russes, et donc la vôtre les Russes par définition ne la ratatineront pas ». Reste à constater qu’on ne convertit pas si facilement ni très rapidement une centrale à gaz en centrale à charbon pour voir bientôt les ukrainiens proposer d’aider à se fournir en gaz de provenance obscure discrètement en échange du courant qui leur manque. Donc vous voyez déjà un paysage quelque peu exotique.

Alors vous rajoutez à cela que côté moldave, il y a eu toute une offensive pour en finir avec ce statu quo mutuellement profitable, pour vouloir un rattachement officiel à l’Union Européenne et une rupture avec la Communauté des États Indépendants, c’est-à-dire avec le « marché commun » entre guillemets russe.

La population moldave a tout à fait voté contre aux dernières législatives et a considéré que le statu quo était très bien pour elle. Moyennant quoi d’ailleurs, les pro-européens poussés par les jusqu’au-boutistes baltes par exemple et tous les autres pays de l’Est voulant la guerre avec la Russie jusqu’à Moscou, ce qui est d’ailleurs une position très déraisonnable, ont tout simplement fait annuler les élections au motif que les Russes avaient fait campagne contre cette adhésion et que donc la campagne électorale s’était passée sous pression.

C’est d’ailleurs assez invraisemblable d’imaginer maintenant que Musk intervient directement dans les meetings de l’AFD, que si l’AFD comme on le craint progressait électoralement dans quelques jours, le chancelier fédéral d’Allemagne se révélait un peu moins démocrate qu’on ne le pensait, et décidait que les élections sont annulées. Cela serait quand même quelque peu cocasse.

Alors le paysage de Moldavie ressemble quand même beaucoup à celui d’une bande dessinée d’Hergé que vous connaissez, qui en fait est inspirée de cette région, il s’agit du sceptre d’Ottokar avec la Syldavie et la Bordurie qui sont toujours en train de se faire la guerre ou presque. Un pays très bizarre puisque par exemple la Transnistrie a une excellente production de vin, c’est une région viticole. Pour ajouter à la capsule temporelle soviétique, les séparatistes ont un trésor de guerre non pas en lingots d’or mais en bouteilles. En 1945, c’est là dans les magnifiques caves à vin du pays, que les soviétiques ont transféré les collections de grands crus des dignitaires nazis. Elles y sont toujours !! Sauf bien sûr ce qui c’est un peu évaporé…

Mais surtout, étant à cheval sur les deux zones européenne et russe, avec une large frontière avec l’Ukraine, c’est une zone fantastique d’échange commerciaux et de trafics, lesquels bien sûr bénéficient à tout le pays, Moldavie comprise. Il vous manque encore un détail dans l’exotisme, vous avez une région autonome dans le coin qui est celle des Gagaouzes. La Gagaouzie, elle aussi n’est pas censée avoir des accès miraculeux à la mer, mais pour le commerce tout se passe bien. Et d’ailleurs pour avoir une touche encore plus exotique, les Gagaouzes sont d’origine turque, ils ont une langue qui ressemble, et ils ont une mafia comme tout le monde dans le coin, qui est une mafia connectée avec des restes de la communauté juive du coin qui manifestement même la dirige depuis Tel Aviv. Donc vous voyez qu’on est dans un pays un peu bizarre où chacun maintient ses références culturelles et linguistiques en respectant celles des autres. Où finalement les Juifs et les Turcs s’entendent très bien et les sécessionnistes pro russes et les pas sécessionnistes ne se tirent pas dessus. Tout cela représente en quelque sorte un modèle qui pourrait avoir une importance dans le rétablissement de la paix en Ukraine.

Parce que pour être plus sérieux, si l’on avait en Ukraine une solution basée sur le maintien de la frontière de 1991, mais d’un pays devenant une association de Républiques autonomes qui pourraient parler les unes Russe, les autres Ukrainien et les autres Sourjyk, choisir leur église ou même le culte du Marxisme-Léninisme, et faire du commerce en choisissant d’être orienté vers l’un, vers l’autre, ou très probablement comme en Moldavie d’essayer de manger à tous les râteliers et de travailler avec tout le monde, et bien cela serait peut-être une solution pacifique possible.

Et donc ce petit exemple modèle en quelque sorte de la Transnistrie et de la Moldavie, préservé depuis le début du conflit de 2014 puis de 2022, en péril avec l’offensive des jusqu’au-boutistes pour brûler les vaisseaux dans une guerre d’affrontement avec la Russie pour aller à Moscou, et bien si finalement ce modèle était sauvé des eaux, il pourrait peut-être essaimer alentour de façon favorable. Vous allez me dire que donner en exemple une région de trafic en tout genre n’est peut-être pas l’idéal de la pureté morale, mais le commerce et le trafic sont quand même des choses dont les frontières sont floues, et si cela permet d’avoir un développement économique et surtout la paix, ce n’est peut-être pas la plus mauvaise solution.

Et ce sera votre conclusion pour aujourd’hui, Professeur Jacques Cohen. On retrouvera plus d’informations sur votre blog, jhmcohen.com. A très bientôt.

À très bientôt.

Un reportage touristique du magazine Géo en Transnitrie.

Et un peu de documentation:

https://www.axl.cefan.ulaval.ca/EtatsNsouverains/Transnistrie.htm

Les ponts entre Transnistrie et (reste de la) Moldavie