Jacques HM Cohen 8 4 2025
Sur les ondes de RCF: LIEN
Avec nous aujourd’hui, le Professeur Jacques Cohen. Jacques Cohen, Bonjour.
Bonjour.
Merci d’être avec nous. Alors on évoque avec vous des questions d’actualité de façon régulière sur l’antenne de RCF. Et aujourd’hui vous évoquez le problème du gaz. Alors le gaz, vous pouvez nous en parler, c’est un enjeu bien sûr stratégique. Et aujourd’hui on a entendu Trump nous en parler. Est-ce que vous nous recontextualisez la question ?
Alors c’est une question complexe et dont plusieurs aspects ne sont pas mis énormément en évidence mais la politique américaine implique que le gaz est inévitablement une des prochaines facéties de Donald Trump. Ce qui nous évite de discuter des péripéties au jour le jour. On est en train de donner un peu d’arrière-plan pour les péripéties futures. Le futur n’est pas forcément très loin d’ailleurs. Donc nous consommons énormément de gaz et en Europe nous n’en produisons que très peu dans les pays nordiques et un petit peu au large de la Grande-Bretagne. Nous nous fournissions à assez bon marché en Russie. Avec la guerre, on a l’impression qu’on a tout coupé, mais ce n’est pas exact.
Ce n’est pas exact parce que d’abord les Européens ont indiqué qu’ils se préparaient à se sevrer, si je puis dire, de gaz russe pour 2027, vous avez bien entendu 2027. cela veut dire qu’on a réduit, mais qu’on n’a toujours pas totalement annulé. Alors après il y a eu quelques péripéties. D’abord le gaz russe, il arrivait autrefois en Europe à travers l’Ukraine. Puis, compte tenu d’un certain nombre d’ennuis, les Russes et les Allemands ont développé des gazoducs, sous-marins d’ailleurs, en Baltique pour contourner, il y en avait 4. Il y en a 3 d’esquintés par les Ukrainiens, peut-être même un petit peu par les Américains, cela reste douteux ou du moins ont-ils laissé faire pour une partie. Mais il en reste encore un qui fonctionne. D’autre part, les tuyaux il y en a qui passent à travers la Turquie, c’est assez important, car depuis la Turquie avec l’Azerbaïdjan comme plaque tournante il peut arriver du gaz russe, du gaz iranien et les gaz du Golfe, car l’autre source principale c’est le Golfe Arabo-Persique, avec même une énorme nappe qui est exploitée non pas en commun mais des deux côtés par l’Iran et Abou Dhabi.
Mais vous savez, je vous interromps, Jacques Cohen, au début de notre entretien, vous avez évoqué Donald Trump. Est-ce que les États-Unis disposent de réserves de gaz ? De quel type de gaz disposent-ils ? Déjà, est-ce que cela existe cette force j’allais dire énergétique américaine ?
Alors non seulement cela existe, mais c’est en train de se déployer considérablement. Il s’agit de réserves de gaz considérables en gaz de schiste, c’est à dire en gaz qu’il faut extraire d’une façon un peu particulière, et qui montent en puissance considérablement. Le seul point faible de ce gaz de schiste, c’est que c’est un peu plus cher à exploiter que le gaz qui j’allais dire qui coule tout seul. Au passage d’ailleurs, nous en avons abondamment en France des réserves que nous avons renoncé à exploiter depuis longtemps parce que l’exploitation du gaz de schiste dans ses débuts n’était pas d’une grande sécurité environnementale. Il faudra sans doute reconsidérer la question un jour surtout s’il devient économiquement catastrophique de s’en priver.
Avant de développer, Jacques Cohen, je vous interromps encore, mais pour les auditeurs qui sont un peu comme moi néophytes, on ne fait pas forcément la distinction entre le gaz de schiste, vous allez nous expliquer, et puis ce qu’on appelle le gaz liquéfié, parce que je crois que c’est important de bien expliquer la nuance.
Ah, tout à fait. Alors d’abord, ce n’est pas le gaz de schiste ou pas de schiste qui est liquéfié ou pas liquéfié. Le gaz liquéfié, c’est le fait de transporter le gaz en citerne si vous voulez, par d’énormes bateaux et non pas par des gazoducs. Et donc la flotte mondiale est en pleine expansion, car les États-Unis effectivement exportent de cette façon. Il n’y a pas de gazoduc entre les États-Unis et leurs clients.
Les Russes ont un peu des deux maintenant. Et l’accord, si l’on peut dire, dont je vous ai déjà parlé concernant la route du Nord, c’est aussi la possibilité d’exporter en gaz liquéfié et pas seulement en gazoducs pour la Russie. Et du point de vue des États-Unis, non seulement il y a d’énormes réserves, mais il y a des exploitations déjà en cours qui font que maintenant les États-Unis représentent 20 % de l’approvisionnement européen, et qui est aux cours jusqu’à ces derniers jours beaucoup plus cher que la facture que nous présentait les Russes. Donc c’est une dépendance, et une dépendance comme souvent qui coûte.
Ces termes de Trump avec le gaz qu’il peut oui ou non fournir et qu’il veut fournir à la planète, est-ce que cela peut tenir la route ? Est-ce qu’il va y avoir des contraintes supplémentaires ? Et puis derrière tout cela, il y a forcément des considérations géopolitiques, Jacques Cohen ?
Et bien exactement, Trump tient l’Europe par le fait qu’elle est incapable maintenant de se passer de gaz américain alors qu’elle voudrait se passer de gaz russe. Alors évidemment, il y a bien une solution c’est de revenir au gaz russe ou de reprendre beaucoup plus de gaz russe. Mais pour l’instant la chose n’est pas envisagée, ou du moins ne sort pas concrètement. Quoi qu’on ne peut jamais prédire totalement l’avenir. Et si la pression américaine sur l’ensemble de l’Europe devient aussi féroce qu’elle l’est actuellement sur l’Ukraine avec l’accord sur les matières premières et l’économie ukrainienne où la dernière mouture de l’accord proposé est un pillage pur et simple et une mise sous tutelle totale coloniale, et bien si ce genre de choses finit par nous être gentiment proposé, nous serons obligés de regarder à nouveau de l’autre côté, ce qui pourrait être assez ironique en quelque sorte.
cela veut dire que Donald Trump a une arme et une arme importante. Est-ce que vous pensez que les Européens finalement, s’ils n’arrivent pas à avoir le gaz russe, vont devoir se fournir aux gaz américains ?
Mais c’est ce qu’ils font déjà. C’est ce qu’ils font déjà. C’est ce qu’on fait depuis qu’il y a eu une réduction du gaz russe, en partie par le sabotage des gazoducs et en partie volontairement, et donc nous sommes maintenant dépendants du gaz américain. Alors il y a un point important, c’est l’autre gaz. L’autre gaz, il est dans le Golfe Arabo-Persique principalement. Et donc actuellement, avec le ralentissement économique que va déclencher la politique délirante de Trump, le prix du gaz baisse. Ce qui est très mauvais pour les États-Unis parce qu’il est même au-dessous du prix de revient du gaz de schiste. Mais si je puis dire, il y a une solution simple, c’est que s’entendant avec la Russie d’une part, et d’autre part en déclenchant une poussée du conflit du Moyen-Orient qui détruise ou du moins empêche l’exploitation du gaz et accessoirement du pétrole du Golfe Persique, l’Amérique se retrouvera dans une situation de maître du jeu assez considérable et de régulation de la pénurie ou pas pour jouer sur les prix de l’énergie. Comme vous voyez l’énergie, comme souvent, est la clé de tout, car aucune activité industrielle ou même de service ne peut être développée sans énergie. Et on voit toujours l’idée du charbon et du pétrole pour faire de l’acier, mais pour faire tourner les ordinateurs il faut du courant électrique.
En 30 secondes, Jacques Cohen, pour terminer parce que le temps passe très vite avec vous parce que c’est toujours très intéressant, c’est la dimension écologique. Alors qu’ici, dans nos sociétés occidentales, on met beaucoup l’accent sur l’écologie, on sait bien que l’achat de gaz de schiste encourage véritablement des facteurs de troubles écologiques. C’est antiécologique le gaz de schiste.
Alors ce n’est pas le gaz de schiste en lui-même qui est anti-écologique. Ce qui est anti-écologique, c’est de liquéfier le gaz. Parce qu’on perd 15 % de l’énergie que comporte ce gaz à le comprimer puis le décomprimer. Donc déjà le transport du gaz liquéfié au lieu des gazoducs, c’est un non-sens écologique, c’est cela le point important. Que le gaz vienne de schiste ou soit de nappe gazeuse ou liquide sous pression plus faible, ce n’est pas le plus important dans l’utilisation du gaz. D’autre part, on a toujours déguisé le gaz comme particulièrement vert. Seulement le gaz cela finit par du CO2 et avec un rendement énergétique qui est inférieur aux hydrocarbures, en particulier inférieur au diesel. Alors si c’est le CO2 le paramètre principal pour le climat, l’activité maintenant basée sur le gaz est de ce point de vue-là une activité déplorable.
Il n’y a guère que le charbon qui soit plus nuisible au climat. Et qui représente toujours environ 40 % du CO2 libéré dans l’atmosphère.
Merci en tout cas, Jacques Cohen, de nous avoir fait réfléchir sur cette question d’actualité qui va rester encore très pertinente pendant de nombreuses semaines. Merci de l’avoir fait avec nous. Très bonne semaine et à bientôt sur RCF. Au revoir.
À bientôt.
Dernière minute. D Trump a tout simplement proposé aux Européens d’annuler toute taxe douanière réciproque, à condition que l’UE achète aux USA pour 350 MM€ par an de gaz et pétrole , c’est à dire la quasi totalité de sa consommation ! Comme ma chronique était enregistrée mais pas encore parue, on ne peut me reprocher d’avoir soufflé cette idée !!
