JHM Cohen le 11 septembre 2025
Sur les ondes de RCF : LIEN en attente https://www.rcf.fr/actualite/chronique-dactualite/embed?episodeId=612319
« La paix par la force », le retour des protectorats.
La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous par téléphone. Professeur, bonjour.
Bonjour.
La chronique du jour : la paix par la force, le retour des protectorats. Professeur Jacques Cohen, pouvez-vous nous éclairer ?
En effet, Benjamin Netanyahou a théorisé d’ailleurs dans son nouveau concept sa politique de « la paix par la force ». Ce qui n’est peut-être pas en termes de marketing politique quelque chose de très affriolant, mais qui recouvre une réalité et un concept qui demandent à être repris parce qu’on assiste au retour des protectorats.
Au Maroc sous protectorat français le tabac et le cannabis sont gérés par une régie d’État
De même qu’autrefois il y a eu les mandats de la Société des Nations, ces protectorats représentent un concept politique non pas nouveau, mais totalement inhabituel au Moyen-Orient.
Netanyahou propose qu’il ait les moyens politiques d’employer la force, pour le bien dit-il, c’est-à-dire pour assurer qu’il puisse y avoir un appareil d’État, des services qui soient rendus, etc, et que si les gens se mettent en travers, il obtienne une position de force pour imposer la paix par la force, le concept qu’il établit. Alors il ne s’agit pas de savoir si c’est bien ou si c’est mal, il s’agit de regarder « est-ce que cela fonctionne », est-ce que cela peut fonctionner, combien de temps cela peut fonctionner.
On peut déjà reprendre, pour donner un exemple, la question des Druzes. Parce que finalement pour les Israéliens, les Druzes c’est ce qu’ils auraient aimé faire partout et qu’ils ont d’ailleurs raté particulièrement au Liban. C’est une minorité. Et on a eu récemment quelque chose de très spectaculaire, c’est que les Druzes sont parfaitement intégrés avec une société assez patriarcale, qui est un peu le retour, non pas d’un âge d’or mais, pour les Israéliens d’une situation qu’ils auraient pu développer plus et qu’ils n’ont pas pu développer, parce que fondamentalement, on va le revoir, c’est le concept d’État hébreu qui ne fonctionne pas. Mais si on enlève ce concept, on arrive à une situation beaucoup plus intéressante. Les Druzes sont en partie au Liban, en partie en Israël, en partie en Syrie, et ils sont parfaitement intégrés en Israël. Non seulement il n’y a aucun problème de droits civiques, ils sont dans l’armée, il y a même je crois actuellement il y un ou deux généraux d’origine druze.
Et il y a eu un exemple tout à fait spectaculaire, les islamistes déguisés en nouveaux démocrates ont voulu massacrer des Alaouites, puis ensuite massacrer des Druzes à l’occasion d’une querelle entre Bédouins et Druzes, et ils ont d’abord essayé leur explication habituelle, c’est-à-dire on massacre les gens mais ce n’est pas nous, ce sont les irréguliers, et puis on fait semblant de ne pas s’en apercevoir pendant 2-3 jours le temps que tout le monde soit massacré. Sauf que là, les Israéliens ont eu une sonnette d’alarme qui leur a été apportée par leurs amis Druzes et c’est l’armée israélienne à ossature druze, parce qu’une grande partie des troupes de montagne israéliennes sont druzes, les gardes-frontières sont druzes, etc., qui est allée faire le ménage jusqu’à Damas. Parce que c’est une province à majorité druze qui est poreuse avec la Jordanie et avec les Bédouins. Et à partir du moment où ils ont compris que les Syriens djihadistes se préparaient à les massacrer comme les Alaouites, Tsahal est intervenu de façon totalement rugueuse et efficace et avec un très grand succès politique, c’est que pour les druzes la question ne se pose pas, les Israéliens sont le partenaire fiable qui va probablement tenir durablement non pas les hauts du Golan mais toute la partie sud justement des hauts du Golan jusqu’à Damas, parce que Damas qui n’est pas tout près, c’est la limite de la grande zone urbaine et les israéliens tiennent à contrôler cette zone maintenant par cette tactique de la paix par la force.
Professeur Jacques Cohen, vous évoquez l’exemple des Druzes que vous expliquez très bien, y’ en a-t-il d’autres que vous pouvez évoquer à l’antenne ?
Absolument, il y a en Israël des minorités ou des populations hétérogènes qui sont méconnues. En particulier c’est peu connu qu’il y a une population de Bédouins qui n’est pas négligeable, qui sont des nomades sur une grande partie du Néguev, qu’il y a également cette population de Druzes et les Bédouins correspondants en Syrie, qu’il y a surtout la situation des Druzes et d’autres minorités au Liban. Et les Israéliens n’ont guère travaillé dans cette direction-là au départ. Il faut dire aussi que les Européens ne les ont pas beaucoup aidés en sauvant la mise d’Arafat après qu’en septembre noir les Jordaniens aient liquidé la force militaire et les forces politiques palestiniennes en Jordanie, dont l’état qui était basé justement sur les Bédouins. Et donc il y a cette minorité des Druzes et deux-trois autres au Liban. Et puis il y a aussi une autre minorité non négligeable qui sont les Arabes palestiniens.
Alors là c’est aussi une chose est peu retenue : quand on parle de minorités et d’Arabes palestiniens, on a l’impression qu’il ne peut y avoir que des zones avec des checkpoints, des barbelés, tout ce qu’on veut, etc, Mais pas du tout. Du côté d’Haïfa par exemple, les Arabes israéliens, et bien ils ont des passeports israéliens, ils peuvent voyager, alors évidemment tous les pays de la région n’acceptent pas de les voir passer mais il y a aussi, comme ils sont doués pour le commerce, il y a aussi beaucoup de mouvements plus ou moins officieux. Et aucun de ces arabes palestiniens n’envisage d’aller s’installer en Syrie ou au Liban, parce que finalement la minorité arabe palestinienne en Israël, ce sont des gens qui voient que les pays arabes autour ne sont pas du tout reluisants, ne sont pas du tout intéressants pour eux, et qu’ils se trouvent finalement fort bien d’être israéliens. Ce qui ne correspond pas à ce que l’on voit comme image naïve des pauvres Palestiniens martyrisés dont on entend parler par des gens qui n’en savent pas grand-chose. Donc certes ce sont des populations qui ont, dans ces régions de Haïfa par exemple, des services publics qui fonctionnent moins bien qu’ailleurs, des infrastructures moindres, de la pauvreté, de la criminalité parce qu’on va passer plus ou moins facilement les frontières et avec des activités trans-pays cela favorise aussi ce genre de choses.
Mais globalement, ils ont des droits civiques à peu près corrects, d’ailleurs ils ont le droit de vote et ils sont représentés au Parlement, et ils ont pris maintenant goût aux délices plus ou moins empoisonnés de la démocratie parlementaire avec la proportionnelle et un tas de combines et magouilles locales en Israël, comme on en voit dans beaucoup d’autres pays occidentaux. Donc finalement, une population qui est très bien insérée. Et qui n’a aucune envie de se retrouver dans la configuration du Liban, de l’Égypte, de la Syrie, sans parler de l’Irak etc.
Et ce qui surprend souvent quand on en parle, c’est de rappeler que cela représente un bon 15 % de la population israélienne. Ce n’est pas du tout une minorité minuscule. Le prénom le plus répandu en Israël en dernier était tout simplement Mohamed !
Alors cela serait un peu provocateur, mais on peut aussi dire qu’il y a une autre minorité ce sont les Haredims, c’est-à-dire les juifs ultrareligieux et craignant Dieu, qui eux aussi ne sont pas insérés tout à fait valablement en Israël, mais qui eux se basent sur le fait de vouloir être une minorité qui ne fait pas son service militaire par exemple, parce qu’ils sont trop occupés à prier, ce qui en période de guerre commence à faire grincer les laïcs. Et puis d’autre part, ils ne respectent pas un certain nombre de lois, en particulier c’est à cause d’eux qu’il y a eu une épidémie de rougeole il y a quelques mois, et il y a déjà eu des incidents vis-à-vis de ces minorités, non seulement à Mea Shearim et à Bnei Brak, où les forces de police ont dû intervenir. Et d’ailleurs cela permet de rappeler que les forces de police en Israël qui mettent au pas quand ils exagèrent ces minorités religieuses, et bien ce sont les Druzes justement. Donc vous voyez une société un petit peu multi-ethnique ou multiconfessionnelle qui a un développement qui n’est pas inintéressant.
Cela permet aussi de souligner la grande différence avec la Cisjordanie ou bien même Gaza. Dans le cas de la Cisjordanie, les Israéliens , ou du moins le gouvernement israélien, s’efforce de chasser les gens pour obtenir un État homogène, et dans le cas de Gaza c’est un petit peu la même chose, il s’agit de dégager le terrain. Mais dans le cas des Arabes israéliens c’est le contraire, et la logique à laquelle la coalition que soutient Netanyahou ne peut pas adhérer, c’est que finalement cela devrait se terminer sous la forme d’un État multiconfessionnel ou d’un État laïc et non plus sous la forme d’un État juif, qui est une formule qui ne pourra pas durer éternellement. D’ailleurs, il y a une autre minorité à laquelle il faut penser.
Très rapidement, Professeur Jacques Cohen.
C’est la minorité russe, car il y a plus d’un million de russes en Israël qui sont quasiment tous laïques, qui ont des raisonnements relativement simples j’allais dire soviétiques, et qui sont un parti assez structuré aussi, qui croient à la force, et voilà ce qui me permet de boucler mon histoire, qui croient à la force et à celle de l’État qui permet de voir que l’on peut envisager des sociétés relativement développées, disposant d’un pouvoir de police et d’État, et imposant comme du temps des protectorats un développement et une sécurité. Les protectorats, cela a été le Liban, et la Syrie sous la Société des Nations, mais cela a été aussi le grand protectorat marocain par exemple qui a donné un développement économique considérable jusque dans les années 50 de façon assez efficace.
Et donc, si on allait plus loin de dire que finalement, dans les pays d’Afrique en déliquescence où les gens se sauvent devant la misère et la guerre et vont en Europe, on pourrait peut-être envisager de faire le contraire, c’est-à-dire une espèce de néocolonialisme où on développe un appareil d’État qui soit efficace pour les populations, même si cela ne correspond pas au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à laisser leurs mafias se débrouiller toutes seules.
Merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés dans cette chronique d’actualité consacrée à la paix par la force, le retour des protectorats. Plus d’informations sur votre blog lorsqu’il sera à jour, jhmcohen.com, cela sera d’ici quelques jours. À très bientôt Professeur.
A très bientôt.
