Dissolution: le choix d’une fin effroyable plutôt qu’un effroi sans fin.

Jacques HM Cohen  14 Juin 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen en ligne avec nous, Professeur bonjour.

Bonjour Alexis, en effet la politique française est quelque peu fluide et changeante ces jours-ci. On doit donc faire un panorama des surprises et les prévisions. Donc la première surprise c’est bien sûr la dissolution et surtout son moment. Il paraissait vraisemblable qu’on finisse un jour ou l’autre par une dissolution. Mais je pense qu’initialement Macron pensait la faire un jour de circonstances favorables. Mais à force d’attendre il n’en trouvait pas, et puis il en a eu marre. En gros, je crois que c’est plus simple. Vous connaissez la formule de Marx disant que la bourgeoisie déboussolée à la fin du directoire a préféré une fin effroyable à un effroi sans fin et que donc Bonaparte a pu en profiter.

feuille dépouillement

Feuille de dépouillement. Notre système, éprouvé par 2 siècles de tentatives de fraude déjouées, est de loin le plus sûr. A la limite, si quelqu’un inventait un nouveau moyen de fraude, il mériterait presque un prix d’innovation politique voire d’être élu !

Là heureusement on n’a pas tellement de Bonaparte sous la main heureusement, mais cela ressemble un petit peu. Je ne crois pas que cela soit un calcul extrêmement sophistiqué. Bien sûr, il a l’espoir de s’en sortir, peut-être même de pouvoir se représenter après une démission parce que la constitution n’est pas très claire là-dessus sur cette possibilité ou pas. Mais donc on part sur une configuration où une majorité relative difficile à gérer a toutes les chances d’être remplacée par une autre majorité relative très difficile à gérer et probablement avec une cohabitation. Alors que constate-on ? D’abord on constate non pas que le RN est haut, cela on le savait depuis longtemps. Mais que chez les Républicains, il y a une sécession. La sécession c’est la rupture non pas de la ligue du nord comme en Italie, mais de la ligne du sud. Les LR du sud s’allient avec le RN, ils auront 70 circonscriptions et probablement la moitié d’élus, cela les met en situation de dépendance importante vis-à-vis du RN. L’autre partie des Républicains, j’allais dire l’autre moitién c’est peut-être un peu plus gros que la moitié, eux aussi vont avoir un problème de masse critique et ils risquent de se retrouver tout à fait dépendants de Macron. Il y a deux possibilités, soit ils se requinquent et c’est le centre macronien qui s’écroule, soit plus probablement, ils sont obligés de travailler avec, et même plus ils vont se retrouver dans une situation de partis féodal géographique à qui il manque certain comtés, parce que comme je vous ai dit, toute la côte va leur manquer. Donc tout cela donne un paysage assez incertain

Et si on passe à gauche, là on est aussi dans une situation qui n’est pas absolument garantie. Le premier réflexe à gauche cela a été « il faut gagner des sièges, on fait une liste commune, et puis on se répartit le gâteau » si je puis dire. Mais cela, cela marche très mal. Parce qu’on a et c’est bien démontré des gauches irréductibles entre elles. On a celle du PS et des écologistes, ou celle de la social-démocratie laquelle est en souffrance et non représentée qui d’ailleurs a voté Glusksmann, ce qui montre nettement qu’elle existe puisque le score de Glucksmann était tout à fait significatif, et puis on a LFI. Et LFI qui a choisi une politique communautariste, séparatiste et assez largement antisémite, quoi qu’ils racontent, qui est de se constituer une clientèle et des bastions et ceci avec la bénédiction si je puis dire des partis islamiques. Le rapport de force, ou du moins les sièges concédés à LFI, risque de faire fuir les électeurs y compris quand ce n’est pas un LFI. Parce que les gens vont avoir du mal à regarder « ah oui mais il a l’étiquette commune du Front Populaire, mais celui-là il vient d’où, alors c’est un bon c’est un pas bon ». cela risque de conduire à une réaction de rejet, et il n’est pas sûr que à part, comme je vous l’ai dit, dans leurs fiefs LFI « issus de l’immigration » cela donne grand-chose comme résultat électoral. Il y a aussi une occasion manquée, c’est que le courant social-démocrate si Glucksmann s’était manifesté de façon plus nette aurait peut-être pu arriver à avoir une affirmation politique sur la perspective de 2027. Mais cela, c’est encore une fois raté. Comme vous le savez c’est le courant auquel je me rattache, je suis désolé de regarder passer les trains. Alors tout cela donne une situation qui peut encore changer mais je ne le crois plus guère, et on va voir avec le résultat des élections si Macron refait un gouvernement minoritaire qu’il dirige en fait dans des conditions encore moins bonnes que son précédent gouvernement minoritaire ou s’il se retrouve avec une cohabitation en étant obligé de donner les clés du camion à Bardella qui manifestement n’a pas son permis poids lourd. Pour l’instant la situation semble à peu près stable et prévisible, mais nous sommes dans un monde imprévisible. Je vous rappelle que quelqu’un s’est grillé les mains et la figure en manipulant des explosifs dans un hôtel de Roissy il n’y a pas 10 jours, on ne sait pas très bien ce qu’il comptait en faire. Et il peut y avoir des choses d’ici les élections qui peuvent changer sérieusement, soit des choses qui se passent en France, soit des choses qui se passent ailleurs. Donc que si j’ose dire restez à l’écoute parce que comme toutes les prospectives celle que je viens de vous faire peut largement être démentie.

Origine du titre de cette chronique:

K Marx parlant du 18 brumaire:

«  » »  Qu’on se représente maintenant le bourgeois français: au milieu de cette panique commerciale, combien sa cervelle, aussi malade que son commerce, ne devait-elle pas être torturée, abasourdie, ahurie, par les bruits de coup d’Etat et de rétablissement du suffrage universel par la lutte entre le Parlement et le pouvoir exécutif, par la Fronde des orléanistes et des légitimistes, les conspirations communistes du midi de la France, les prétendues jacqueries dans les départements de la Nièvre et du Cher, les réclames faites par les différents candidats à la présidence, les mots d’ordre charlatanesques des journaux, les menaces des républicains de défendre la Constitution et le suffrage universel les armes à la main, les évangiles des héros in partibus émigrés à l’ étranger, qui prophétisaient la fin du monde pour le deuxième dimanche de mai 1852, et l’on comprendra que, dans cette confusion incroyable, bruyante, de fusion, de révision, de prorogation, de Constitution, de conspiration, de coalition, d’émigration, d’usurpation et de révolution, le bourgeois ait crié, dans un accès de fureur, à sa République parlementaire: « Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin ! »
Bonaparte comprit cet appel…… »

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