Ukraine, des scenarii, du noir au rose.

Jacques HM COHEN 17 10 2024

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen avec nous en ligne, Professeur Bonjour.

Bonjour.

Professeur, vous nous emmenez en Ukraine mais non pas pour parler de la situation actuelle, quoique ça sera certainement essentiel pour faire le point sur ce que vous allez faire, mais en sortant la boule de cristal et en nous projetant sur l’Ukraine en 2025 avec quatre scénarii possibles ou peut-être trois, c’est vous qui allez décider, Professeur Jacques Cohen, qu’est-ce que vous avez envie de nous dire sur l’avenir de ce pays qu’est Ukraine ?

Alors comme vous le savez, même avec une boule de cristal, la prévision c’est difficile, surtout pour l’avenir !! Donc nous allons quand même étudier ce qui est vraisemblable en 2025. Il y a une grosse échéance, c’est celle des élections américaines et il ne faut pas imaginer que si c’est Trump c’est la paix, si c’est Harris ce n’est pas la paix. C’est beaucoup plus compliqué dans les deux cas, parce qu’il y a différentes paix. Alors nous allons partir du noir pour aller vers le rose. Nous avons plusieurs scénarios, le premier il n’y a pas de paix. Ce premier scénario il est très noir, c’est la spirale noire.

ukraine destrutions urbaines 2

Gigantesques destructions urbaines de la guerre en Ukraine. Détail d’un immeuble

ukraine destrutions urbaines

Cette vue d’ensemble donne l’échelle…..

Les scénarios noirs : les choses s’aggravent

C’est-à-dire que l’escalade de bombardements ukrainiens sur Moscou par exemple, avec des choses qui dépassent les 40 kilos d’explosifs, conduit les Russes à dire que ça suffit et à envoyer une bombe atomique, pas de quoi vitrifier Kiev ou Lviv, mais histoire quand même de ratatiner par exemple une ville proche du front pour détruire la logistique ukrainienne à Sloviansk ou Kramatorsk ou à Soumy, ou même à Kharkov qui est à la limite une cible intermédiaire. Après quoi, les Occidentaux décident d’une zone d’exclusion aérienne et les Russes décident que les missiles qui partent de Pologne ou de Roumanie sont des cibles légitimes et ainsi de suite, on se retrouve avec une guerre généralisée et qui comporte les territoires des pays de l’OTAN. Donc cela c’est le scénario le plus noir.

En un petit peu moins noir, dans les nuances de gris foncé, on a une escalade qui coûte de plus en plus cher à la Russie en bombardements et en infrastructures, mais qui dans le même temps commence à coûter aussi cher aux Occidentaux, pas forcément sous forme de bombardements mais d’attaques asymétriques sur d’autres terrains, aboutissant à renforcer ou à déclencher ou à aggraver une crise économique à l’Ouest avec des divergences entre les pays. Et donc on est dans un scénario d’accroissement du conflit, on est dans le noir pâle, j’allais dire.

La guerre qui dure

Troisième scénario, on ne bouge pas. C’est à dire qu’on continue à avoir une guerre de tranchées avec des grignotages. Où la Russie grignote, c’est toujours elle qui grignote, les offensives ukrainiennes n’ont pas une force suffisante, et sur les deux prochaines années peu à peu la Russie se rapproche du Dniepr. Parce que c’est finalement l’objectif raisonnable pour eux, c’est qu’un jour ou l’autre, il y ait soit paix, soit cessez le feu, sur une ligne qui leur soit favorable ou du moins acceptable du point de vue russe qui serait tout ce qui est à l’est du Dniepr, même si cela leur restera en travers de la gorge de ne pas avoir Odessa, où paradoxalement c’est là où ils ont le plus de partisans. Donc ceci durerait un an ou deux, avec une supériorité russe qui est montée en économie de guerre, surtout au point de vue industriel, plus facilement que les Occidentaux. Mais dans ce scénario, au bout de 2 ans, les Occidentaux, malgré la crise que cela induira chez eux, se sentent obligés d’avoir une production industrielle significative et de faire passer des sauts technologiques dans le conflit, ce qui fait qu’au-delà de 2027 on ne sait pas exactement ce qui se passera, mais il y a des chances que le front reparte dans l’autre sens. Donc tout cela, ce sont des nuances de gris et de noir.

Le scénario rose

Alors on a des scénarios qui commencent à s’éclaircir à partir du moment où on envisage un cessez-le-feu. Alors soit un cessez-le-feu sur les lignes actuelles de ce que les Russes auront d’ici 3 mois, ce qui permet à chacun de se préparer pour l’étape d’après et ce qui permet donc un peu plus aux Ukrainiens de se préparer en gagnant du temps, comme ils l’ont fait à partir de 2014, jusqu’à ce que l’Occident ait une mobilisation industrielle significative. Donc, même si c’est ce qui est souvent présenté comme le plus probable après les élections US, cela me paraît peu vraisemblable parce que les Russes n’y ont pas intérêt. Ils ont intérêt comme dans le scénario précédent à continuer à grignoter pendant les négociations..

Et puis, si on repart dans le sens de la paix, dans le sens du rose. On a un scénario beaucoup plus ambitieux qui est lui franchement rose. C’est à dire qu’il y a un vrai cessez-le-feu et il y a des plans de paix. Alors comme toujours pour faire la paix sans victoire décisive, il faut que les deux y aient intérêt, et qu’aucun ne soit battu à plate couture. Pour l’instant on n’en est pas là. Mais pour que les deux y aient intérêt, il est possible que les Ukrainiens s’aperçoivent que les Occidentaux n’ont pas envie de transformer leur industrie en industrie de guerre, et que donc il leur faut lâcher du lest, mais pas trop de leur point de vue. Du point de vue des Russes, il faut lâcher quelque chose que les Ukrainiens soient capables d’apprécier, et cela serait que l’ensemble de l’Ukraine reste sur ses frontières de 1991. Simplement à l’intérieur, on découpe les oblasts en républiques autonomes. Dans le fond, cela ne les dépaysera pas puisqu’il y en avait en Union soviétique. Il n’y en avait pas en Ukraine, mais il y en avait en Union soviétique, quoique la Crimée a été temporairement république autonome. Et à ce moment-là, les républiques autonomes elles sont en fait totalement autonomes. Autrefois elles étaient sous la férule du pouvoir central mais comme le pouvoir central dans ce cas-là il n’y en a plus guère, elles sont autonomes. Celles qui veulent parler russes parlent russe, celles qui veulent faire uniquement alliance avec l’Ouest le font, celles qui veulent jouer probablement sur les deux tableaux en plateformes commerciales intermédiaires le font aussi et deviennent très riches d’ailleurs. Dans ce cadre, il faut aussi probablement rajouter un petit changement chez les Russes qui serait que Vladimir Vladimirovitch Poutine partirait pour raisons de santé, ce sont toujours des raisons de santé qu’on invoque, ce qui donne un petit peu plus de souplesse pour accepter ce que je viens de vous expliquer : que l’Ukraine reste l’Ukraine, même si son contenu change considérablement. Donc cela, c’est le scénario rose. Il n’est pas le plus invraisemblable malgré les apparences. Vous savez que c’était presque le plan proposé par Elon Musk il y a déjà presque 2 ans maintenant, et qu’à partir du plan Musk et de ce que je viens de vous raconter, des diplomates imaginatifs peuvent trouver des choses, peuvent construire une pilule qui puisse être avalée des deux côtés. Si les Américains souhaitent la paix, avec comme raisonnement que ce n’est pas la peine de continuer à esquinter la Russie, parce qu’ils ne peuvent ainsi que la rejeter vers la Chine alors que leur priorité est de l’en détacher, C’est le scénario le plus probable. Mais les autres, malheureusement, ne sont pas exclus.

Ça veut dire, Jacques Cohen, c’est justement la question que j’allais vous poser, parmi les scénarii que vous nous avez proposés, le plus probable c’est celui finalement qui est le plus rose que vous nous proposez. Est-ce que le plus probable est aussi celui qui a le plus de chances de se réaliser finalement ?

On attend le choix des USA après leurs élections. Mais le choix russe me paraît fait en ce sens à partir de deux indices.

a) Très loin des rumeurs récurrentes plus ou moins exotiques sur la santé de VV Poutine, c’est de son entourage par ex le porte parole Peskov – on dira de sources autorisées- qu’il a été mentionné qu’il allait souvent visiter un certain hôpital. Pourquoi faire ? Si VV Poutine était à l’article de la mort, c’est plutôt un remplacement par plus dur, partisan de l’escalade immédiate, genre Medvedev ou pire qui serait à craindre. Tandis que profiler sans urgence la perspective de son retrait de cause honorable en mettant en vitrine un plus jeune comme Patrouchev junior par exemple serait bien dans sa manière. Et donnerait de la souplesse à la négociation. Que VV Poutine soit réellement malade ou pas n’a pas d’importance s’il faut une maladie diplomatique.

b) Quel plan de paix ? Non plus l’affirmation que l’Ukraine est un pays artificiel, qui n’existe pas et donc à anéantir. Mais admettre que le retour à l’Union Soviétique ou à Catherine II n’est plus possible.

Il y a des indices dans la presse russe gouvernementale de la part d’un « analyste indépendant » Konstantin Remchukov, editor-in-chief of Nezavisimaya Gazeta qui n’est pas tout à fait un journal d’opposition… : https://www.rt.com/russia/605836-putin-russia-west-countries/ Texte complet des points significatifs :

7 Today’s fighting makes it clear that the main goal of Russian troops on the ground is to reach the administrative borders of the Donetsk and Lugansk regions. When listing his objectives, Putin increasingly uses the following words: the liberation of the Donetsk and Lugansk regions, and Novorossiya. It can be assumed that Novorossiya is only part of the Kherson and Zaporozhye regions. The main issue here is the land connection with Crimea. If my observations are correct, it is possible to draw a more concrete picture that will allow us to say that the military operation has been completed and its goals have been achieved.

8. It should be stressed that in recent months there has been a clear change in the Russian leadership’s assessment of the nature of Ukrainian statehood. This is the main difference from February 2022. Today, Moscow recognizes that a significant number of Ukrainians voted for the current government, consider themselves Ukrainians, and do not want to see a future with Russia. In this way, the Kremlin recognizes the state of Ukraine. When the West promotes the narrative that Moscow wants to destroy Ukraine as a state, this is an obvious contradiction, given today’s realities. Moreover, it is this narrative that allows Western politicians to claim that by destroying Ukraine, Russia will move further into Europe – into Poland and the Baltic states.

Alors il a des obstacles, non seulement des obstacles centraux dans la direction ukrainienne et dans la direction russe, mais il y a des obstacles pratiques. Parce que par exemple l’extrême droite ukrainienne qui en fait en plus de plus en plus à sa tête, qui a un rapport de force qui lui est devenu favorable, n’acceptera pas. Donc elle voudra continuer la lutte armée sous une autre forme. Et à ce moment-là, les autres seront obligés de contrer des campagnes d’assassinats, d’attentats, enfin tout ce qui est classique de la part d’une guérilla hostile. Et donc, compte tenu du poids qu’a pris maintenant l’extrême droite ukrainienne, je vous rappelle qu’ils ont quand même pu se permettre le culot d’appeler Nachtigall ( Rossignol en allemand ), la première unité entrée en Fédération de Russie dans la région de Koursk, ce qui est le nom de celle des supplétifs ukrainiens qui en uniformes nazis étaient rentrés les premiers en 1941 en Union Soviétique et avaient commis les premiers pogroms à Lvov. Donc cela montre quand même une marge de manœuvre de l’extrême droite qui est maintenant considérable, même si cela ne doit enchanter ni la direction ukrainienne, ni leur parrain américain. Donc cela veut dire d’ailleurs que dans ce scénario rose, finalement Poutine avait raison sur ce point, il faudra les massacrer puisqu’eux, ils ne céderont pas.

Autre problème du scénario rose, c’est le bloc du nord, c’est-à-dire que les Baltes, les pays scandinaves et la Pologne, sont dans une attitude d’approuver le raisonnement ukrainien actuel, qu’il faut porter la guerre en Russie et qu’il faut défaire la Fédération de Russie militairement, ce qui permet de la morceler politiquement et ainsi de suite.

Cela, pour la fédération de Russie, quel que soit la nuance politique des Russes c’est inadmissible, même Navalny était absolument contre. Navalny, je vous le rappelle, était contre le fait de céder la Crimée qui lui paraissait russe, pour vous rappeler la distance qu’il y a entre l’image qu’on crée des gens en Occident et ce qu’ils représentent.

Donc il y a des difficultés pour la réalisation du plan rose, qui implique une volonté politique américaine ferme et que la situation européenne ne soit pas dominée par ce bloc du Nord. On a l’impression que ce bloc du Nord c’est une nouveauté, les pays scandinaves, les Baltes et la Pologne, et que finalement l’Alliance franco-allemande peut quand même leur dire de se tenir tranquille et qu’on n’en parle plus. Mais ce n’est pas le cas, cela fait quand même un bout de temps, j’allais dire, qu’ils n’obéissent pas, à commencer par la Pologne qui empoche l’argent européen pour acheter du matériel américain ou sud-coréen.

Malgré le caractère allergisant pour eux des prises de positions hectiques de notre Président de la République, les russes que le « bloc du nord » inquiètent devraient aider notre pays à rétablir un leadership franco-allemand en Europe. Ce que notre crise politique interne et l’état économique de la RFA gènent considérablement pour l’instant.

Ce n’est pas absolument certain, il y a des difficultés dans ce scénario-là mais il est parfaitement réalisable s’il y a une volonté politique ferme américaine dans ce sens. Donc cela, nous le saurons à la fin du premier trimestre 2025.

Et bien merci Professeur Jacques Cohen de nous avoir éclairés sur ce conflit Ukraine-Russie en nous présentant les différents scénarii possibles. Et puis, il y aura davantage d’explications et même d’illustrations sur votre blog, jhmcohen.com. A très bientôt Professeur.

À très bientôt.

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