Quels risques à piquer les avoirs russes ?

Jacques HM Cohen 13 3 2025

Sur les ondes de RCF: LIEN

La chronique d’actualité avec le Professeur Jacques Cohen, en ligne avec nous. Jacques Bonjour.

Bonjour.

Et cette semaine, on va revenir sur un fait d’actualité, l’Assemblée Nationale qui adopte une résolution de soutien à l’Ukraine appelant à saisir les avoirs russes. Professeur, c’est l’actualité sur laquelle vous souhaitiez revenir cette semaine ?

Oui, parce que du point de vue du droit international ce n’est pas terrible, et surtout du point de vue de l’efficacité et non pas de la morale c’est totalement contre-productif. On va voir pourquoi dans un instant. Du point de vue des postures, cela permet de prendre une posture morale irréprochable, les députés sachant qu’un vœu n’engage à rien, si je puis dire.

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Pièces d’or de 5 roubles datant de Nicolas II, le dernier tzar de Russie

Il y a d’autres vœux qui engagent sur cette antenne mais ce n’est pas le cas cette fois-ci. Donc de quoi s’agit-il ? On propose de saisir les avoirs de la banque centrale russe, donc des avoirs d’État, qui étaient dans différentes banques ou dépôts de garantie en Europe au moment du déclenchement des hostilités. Donc, ils ont été gelés mais ils n’ont pas été piqués. Et il y a eu toute une discussion déjà de ce qu’on faisait des intérêts. Déjà, actuellement, il y a eu une décision permettant non pas de piquer totalement les intérêts, mais de gager des prêts sur les intérêts. Ce qui est une façon de mettre un doigt de pied dans l’opération. Alors on peut voir deux choses.

D’abord quel est le droit international en la matière et les précédents historiques ? Vous me direz que le droit international en la matière, il n’y en a pas beaucoup parce qu’il n’a pas beaucoup de statut des opérations militaires spéciales ! Le droit international concerne les guerres déclarées en bonne et due forme, c’est à dire pas forcément chez le notaire mais pas l’état de fait. D’autant plus que Poutine ne prétend pas être en guerre, il est en opération militaire spéciale. Donc cela ne colle pas tout à fait comme parallèle. Alors le droit international à la matière, lui il est très clair. Les biens d’un État en état de guerre avec un autre, sont confiés à un neutre qui en a la gestion. La gestion j’allais dire quasiment souveraine, il fait ce qu’il veut avec, il les utilise au mieux, etc. C’est à dire qu’en gros le neutre a la confiance de celui qui est saisi. Il y a d’ailleurs un précédent durant la Première Guerre Mondiale, qui est que les intérêts allemands étaient gérés par, je crois, le premier secrétaire de l’ambassade de Suisse en France, lequel est mort d’un bombardement allemand, c’est à dire du bombardement lors du Vendredi-Saint, si je ne me trompe pas, de l’Église juste à côté de l’hôtel de ville de Paris par le canon allemand la Grosse Bertha, qui avait fait je crois 80 morts, dont le chargé d’affaire qui s’occupait des intérêts allemands. Ce qui faisait quand même plus que désordre au point de vue politique. Donc cette formule-là, elle ne préjuge pas de ce qu’on fait des biens de ce pays à la fin de la guerre. Justement à la fin de la Première Guerre Mondiale, l’ensemble de ce qui était sous séquestre a été confisqué par la France dans le cadre du traité de paix, a été confisqué aux vaincus, et il a été question de ce que les individus ainsi spoliés soient indemnisés par l’État allemand, c’est à dire par la République qui va devenir la République de Weimar Mais comme la République de Weimar a vite fait faillite, même qu’elle a pu organiser sa faillite grâce au bon Docteur Schacht, qu’on retrouvera sous Hitler comme stratège financier, et bien les malheureux ont été spoliés purement et simplement puisque l’État allemand n’a pas été capable de leur rembourser leurs biens français qui avaient été confisqués.

Donc dans la situation actuelle en Ukraine et la Russie, on a au total je crois à peu près 400 milliards qui sont gelés, et la question c’est de les piquer pour les donner aux Ukrainiens. Alors cela peut paraître très moral puisque bien évidemment tout le monde se rappelle que c’est Poutine qui a décidé d’envahir, quels que soient les motifs pour cela, mais en termes d’agression c’est évidemment lui qui est l’initiateur de la guerre. Seulement c’est bien gentil au point de vue moral, mais c’est totalement contre-productif au point de vue financier, directement et indirectement. Directement, parce que des biens occidentaux en Russie il y en a largement et que donc la Russie a annoncé que si on lui piquait son blé, et bien la fédération de Russie en ferait autant, donc déjà ce n’est pas terrible. Mais ce qu’on peut remarquer c’est que les Européens là-dedans voudraient du cash, du cash pour annoncer des budgets militaires rapidement. Donc effectivement piquer du cash peut être une solution pour cela, mais c’est en même temps une courte vue parce qu’il y a un retour de bâton fantastique qui vaut beaucoup plus que 400 milliards. On a gelé également des actifs de personnes physiques, c’est à dire d’individus, et à la rigueur de certaines sociétés. Mais des biens d’États souverains on ne l’avait pas fait jusqu’à présent. Si on crée le précédent que des biens d’États souverains, c’est à dire ici de la Fédération de Russie, peuvent être gelés unilatéralement et appropriés, c’est à dire piqués par les pays de l’Union européenne ou par l’Union européenne elle-même, et bien la crédibilité pour des tas d’États de mettre leur argent en Europe va s’effondrer. Et en particulier pour les places financières comme Paris ou Francfort, c’est un désastre, un désastre immédiat, et pour les banques européennes la même chose, parce que la confiance dans ces institutions pour tout un tas de pays, et donc pour énormément d’argent flottant, d’argent rapide, va s’effondrer. Donc c’est une mesure qui peut récupérer 400 milliards mais qui doit en perdre au bas mot 10 à 20 fois plus comme garanties du système bancaire européen.

Donc c’est une posture, si j’ose dire, commode puisque c’est un vœu qui n’engage à rien, c’est une posture politique, mais c’est un irréalisme total et ce n’est en dernière analyse jamais très bon de faire croire à la population qu’on peut faire des choses avec des bons sentiments sans se préoccuper de leurs coûts. Parce que le coût, il finit toujours par vous rattraper. Et quand il s’agit de gestes consacrés à préparer ou pas une guerre, ce qui est la meilleure façon de l’éviter bien sûr, « si vis pacem para bellum », mais on doit faire cela avec des moyens beaucoup plus réalistes que ce genre de truc qui consiste à dire, comme notre président l’a dit, on va avoir un budget militaire qui va être multiplié entre 2 et 6, et ceci sans augmenter les impôts et sans réduire le train de vie. Malheureusement, ce n’est pas une solution très réaliste. Si on a quelques instants, on peut encore se rappeler que la politique de dépenses militaires importantes à moyen terme est toujours une catastrophe, puisque ce sont des biens qui ne produisent pas ensuite de biens, voire même qui sont capables d’en détruire, mais qu’à court terme cela peut marcher au prix d’une inflation, à condition de contrôler celle-ci en piquant l’argent chez les particuliers. La politique de Schacht en Allemagne à partir de 1933 a fonctionné pendant un certain temps, sauf que Schacht indiquait qu’en 38 cela allait se gâter, et qu’en 41 il n’y aurait plus un sou dans la caisse. Moyennant quoi il a été débarqué puisque Gœring lui avait une solution très simple : on fait un plan de 5 ans et le financement c’est ce qu’on ira piquer chez les autres grâce à la guerre. Ce genre de raisonnement, bien sûr, n’est pas tout à fait superposable à celui de Trump. Mais là aussi, il y a quelques éléments auxquels il faut réfléchir.

A condition en dernière analyse de faire payer le malheureux consommateur américain, les politiques d’agressions économiques, de droits de douane, etc, que préconisent Trump peuvent fonctionner un certain temps, pas très longtemps mais cela peut donner une bouffée pendant un certain temps. Et l’annonce de leur catastrophe évidente et imminente est tout à fait un peu à nuancer. cela peut marcher un temps mais évidemment c’est une drogue, alors ce n’est pas la kétamine de Malhuret, mais c’est une drogue dont on ne peut pas abuser si je puis dire. Donc on voit là qu’y compris dans la position de Trump, il n’y a pas que la morale ou les bons sentiments, et il y a des choses qui peuvent marcher dans une politique de voyous.

Et bien en tout cas un grand merci, Professeur Jacques Cohen, de nous avoir éclairés sur cette résolution donc de soutien à l’Ukraine adoptée à l’Assemblée Nationale, entre les possibles et la morale. A très bientôt Professeur.

À très bientôt.

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