Chronique d’actualité enregistrée sur RCF Reims mercredi 29 avril 2015 : http://rcf.fr/actualite/dons-dorganes-qui-profite-le-doute
AV Bonjour Jacques. Exceptionnellement vous n’êtes pas en studio mais on assure quand même cette émission. Vous avez souhaité évoquer un amendement du député Touraine, député du Rhône qui prévoit que les organes pourront bientôt être prélevés sans l’avis des familles. Ce consentement qu’aujourd’hui on applique. Alors peut-être Jacques il faut un rappel de comment ça marche aujourd’hui ?
Et bien tout simplement le consentement présumé, c’est déjà la loi. Et c’est pas une loi qui a été édictée par un régime dictatorial d’extrême-gauche, c’est une loi qui date de Giscard d’Estaing. ( Loi n°76-1181 du 22 décembre 1976 ).
C’est le sénateur Caillavet qui avait fait passer ce consentement présumé. Que veut dire le consentement présumé ? Il suppose qu’à la fois quiconque dans la République Française a le droit à sa liberté d’opinion et de ne pas vouloir qu’on prélève ses organes. Et donc il suffit qu’il l’ait dit. Il peut s’être inscrit sur un fichier mais il suffit qu’il l’ait dit à ses proches.
A l’inverse, quand il n’y a pas d’opposition connue, on suppose que le donneur d’organe potentiel était, comme tous les Français, et selon la devise de la République « Fraternité », était d’accord pour qu’on réutilise ce qui peut encore servir.
Donc le consentement présumé, c’est de supposer que le sujet était d’accord, comme tous les citoyens français, sauf s’il avait manifesté son opposition.
Alors la famille là-dedans ? Et bien on était censé demander à la famille si elle avait connaissance, du vivant du sujet, d’une opposition de sa part. Et la dérive qui s’est produite, c’est qu’on en est venu à demander à la famille si elle était d’accord pour qu’on prélève son proche.
Là c’est très différent, c’est lui mettre sur le dos une responsabilité, une charge morale, quelque chose de beaucoup plus lourd et de tout à fait désagréable dans la période où elle vient d’apprendre qu’elle a perdu un être cher. D’autant qu’il est bientôt ramené à une liste de pièces détachées, dont on demande s’il faut les prélever ou pas, si on peut prendre ceci ou cela. Donc ce consentement demandé à la famille est à la fois une régression idéologique où les gens dépendent de leur famille alors que ce n’est pas le cas, et une charge indue pour cette famille.
L’amendement Touraine consiste à revenir à ce qui était le terme de la loi car le changement n’a jamais été fait par la loi. Il s’est établi progressivement.
Donc l’amendement Touraine c’est le retour à la loi, à la loi Caillavet, à la loi des années soixante dix du consentement présumé, basée sur la solidarité de tous les Français.
Il existe Jacques Cohen un fichier, j’allais dire des « non », de ceux qui ne veulent pas donner leurs organes, c’est bien ça ?
Alors, la première idée qui pourrait venir c’est: puisqu’il y a un fichier des « non », un fichier volontaire où on s’inscrit si on n’est pas d’accord, et d’ailleurs on peut ne pas être prélevé simplement parce qu’on a dit à sa famille qu’on était contre. Il n’est pas obligatoire d’être dans ce fichier.
Et bien on pourrait faire un fichier des volontaires du « oui ». Ce serait une très mauvaise chose en France. Cela marche dans les pays anglo-saxons, cela marche très mal dans les pays latins ou personne, ou presque, n’a de testament à jour. Où les gens sont superstitieux et ne veulent pas envisager leur mort. Et bien dans ces pays latins, un fichier des volontaires du « oui » serait peut-être un peu plus gros que le fichier des volontaires du « non », mais cela ferait effondrer les greffes.
Alors on peut passer à la question des fichiers obligatoires. En Belgique, cela existe, par exemple pour le vote. Et puis on peut l’envisager également pour le don d’organe. On peut envisager un fichier obligatoire comme par exemple le fait d’inscrire cela sur la carte Vitale. Il y a des tas de mauvais arguments pour ne pas le faire. Cela a été proposé depuis très longtemps et cela a été à nouveau refusé cette fois-ci, sur un argument totalement fallacieux qui est de dire : le médecin, le pharmacien pourront savoir ce que pense le sujet. Outre que c’est une question de codage dans la carte, c’est un argument qui ne tient pas debout. Le médecin est bien évidement au courant de plein d’éléments de cette carte. En fait, les dirigeants de la Sécurité Sociale, et beaucoup de Français, ne veulent pas qu’on associe la carte Vitale à l’idée de la mort. Moyennant quoi, il n’a pas été possible d’obtenir un fichier obligatoire qui serait effectivement une bonne solution. Là il y a eu un amendement pendant la discussion de l’amendement Touraine qui a été rejeté comme d’habitude.
Donc faute de fichier obligatoire, un fichier volontaire des « oui » reviendrait à effondrer les greffes d’organes alors que de nombreux malades sont en attente et meurent sur les listes d’attente, faute d’organe disponible. Et qu’on ne prélève pas la moitié ou le quart à peu près des organes potentiels.
Une question, Jacques Cohen, l’ordre des médecins s’est mêlé de cette affaire ?
Et bien oui, à mon grand regret. Alors qu’il y a donc une discussion et un débat. Qui est d’ailleurs un débat idéologique, parce qu’on retrouve, caché derrière le doute, des gens qui ne voudraient pas qu’on s’oppose à la sainte providence par l’action de la médecine.
On a déjà eu ça au début du XIXe siècle avec malheureusement un pape qui était hostile à la vaccination, parce qu’il fallait laisser faire la nature. La nature pour lui, c’était la providence ou la volonté divine. Bon on a depuis des interprétations théologiques un petit peu plus raffinées et il n’y a plus guère d’adversaires religieux anti-vaccination. Encore qu’il y a beaucoup d’adversaires des vaccinations sur un point de vue obscurantiste et naturaliste. Là on est un peu dans la même situation, on voit revenir des gens qui disent éventuellement que pour eux ils sont partisans du prélèvement mais que s’il y a un doute, qu’est-ce qu’il faut faire ? est-ce qu’on va pas prélever contre la volonté d’une personne ?
Il a donc une position claire et simple qui est celle que tous ceux qui pensent que la solidarité nationale passe par la solidarité et la contribution des individus, sauf s’ils y sont opposés. Et puis ceux qui dans le doute préfèrent que l’on mette les organes à la poubelle.
Parce qu’il faut bien savoir à qui profite le doute. Si le doute ne profite pas au malade, il profite aux asticots. Il n’y a pas beaucoup d’autres possibilités.
Et le conseil de l’ordre vient intervenir là-dedans. Alors que c’est un débat. Le conseil de l’ordre qui devrait être simplement la structure d’auto gestion administrative des médecins recommence, parce que c’est déjà arrivé, à intervenir sur le plan idéologique ou politique. Il a pris position contre le tiers payant récemment. Ce n’est pas son affaire. Et là il prend position contre l’amendement Touraine, sur les arguments d’ailleurs les plus éculés des adversaires des prélèvements d’organes.
Parce qu’il faut bien voir la réalité en face. Si l’on prend des mesures comme un fichier des volontaires du « oui », il y aura moins de greffes d’organes, il y aura plus de malades en attente de greffe qui mourront. C’est donc une attitude déplorable. Surtout de la part de médecins. Je leur en laisse la responsabilité.
Juste très rapidement le taux de prélèvement actuel, c’est quoi, 10% à peu près ?
Non, on est autour du quart des prélèvements possibles. A peu de choses près en prélèvements moyens. Je rappelle au passage que notre région est mal placée. Nous avons un taux de refus qui dépasse les 50%.