Chronique d’actualité enregistrée mercredi 15 avril sur RCF Reims : http://rcf.fr/actualite/le-fn-part-en-courants
AV: Bonjour Jacques Cohen, vous avez souhaité évoquer aujourd’hui dans votre émission le Front National qui découvre les joies des courants politiques au sein même d’un parti
Absolument, absolument!! Et c’est une très bonne nouvelle pour ceux qui n’aiment pas le Front National. C’est une très bonne nouvelle parce que le Front National est victime du système de la 5e République, qu’il a choisi pendant longtemps d’en être exclu, d’être un parti d’un autre type, et que maintenant il ne peut plus y arriver.
Il ne peut plus y arriver, parce que ses courants n’ont rien à voir entre eux. Il a un courant « tradi » qui serait en gros « la manif pour tous », un courant souverainiste qui est pour la grandeur de la France isolée dans le monde, c’est toujours un peu contradictoire. Il y a un troisième courant qui est jacobin, autoritaire, centralisé, qui voudrait faire marcher tout le monde à coups de pied dans les fesses, ou avec l’armée je ne sais pas.
Ces courants n’ont rien à voir entre eux. Cela a explosé très récemment. Je pensais que cela n’exploserait qu’après les élections Régionales mais cela a explosé récemment. Pourtant ils vont se rabibocher. Parce que dans les partis politiques, ce n’est pas : « on reste ensemble à cause des gosses », on reste ensemble à cause des postes!
A cause des postes parce que le système de la 5e République a créé des primes majoritaires, qui étaient destinées à une bipolarisation mais qui, dans un système qui devient tripartite, impliquent de garder des partis forts pour avoir des postes. Et d’avoir de gros partis.
Quand l’ensemble des gens qui ont un vague souvenir en commun, mais sur le présent et le futur n’ont rien d’autre à partager que des appétits et la cloche à fromages, on obtient des partis qui deviennent inaudibles. C’est ce qui est arrivé à l’UMP, dans une certaine mesure au PS. Et le FN est sur cette pente. C’est-à-dire qu’il va devoir ménager la chèvre, le chou et d’autres choses. Et qu’il va peu à peu rejoindre dans l’opinion les autres partis.
Ce qui est aussi un problème parce qu’avec cette désaffection de l’opinion pour les partis politiques qui va concerner maintenant celui qui jouait la différence, on va se retrouver avec un problème de rejet du système beaucoup plus global et beaucoup plus incertain dans ses lieux de fixation, dans ses modes d’expression.
Du point de vue du FN, cela ne veut pas dire qu’il soit mort malheureusement. Ils vont juste fonctionner comme un parti qui ramasse des miettes, qui serre les coudes quand il y a quelque chose à bouffer. Ils vont bien sûr faire un score significatif aux Régionales. Ils auront plus ou moins d’élus. Mais cela va donner en quelque sorte du tirant d’eau. Et donc de la pression pour la dérive des différents courants les uns vis à vis des autres. On peut prédire, donc, des turbulences de ce point de vue-là, et des cahots certains pendant un moment.
Est-ce que cela ira jusqu’à se manifester suffisamment vite pour les rendre peu crédibles, rendre Marine Le Pen peu crédible en 2017, je ne sais pas. Mais à la vitesse à laquelle les premiers craquements ont eu lieu, ce n’est pas exclu. Après les craquements, il va y avoir comme à l’UMP les boules puantes, c’est-à-dire les scandales ou les petits combines des uns ou des autres, balancées pour les handicaper, ce qui peut finalement créer des dégâts beaucoup plus vite qu’on ne le pense.
Mais dans cette affaire Jacques Cohen, on le sait, le Front National c’est le bébé, c’est le jouet de Jean-Marie Le Pen. C’est à lui, même s’il n’est plus le président. Il n’est que président d’honneur. Est-ce qu’il peut aller, on sait que c’est un procédurier tout comme sa fille Marine, est-ce qu’il peut aller au bout ? Vous parlez des boules puantes, il en a sur sa fille
Et vice versa! C’est un affaire de famille, le Front National qui maintenant couvre trois générations. C’est un système dynastique de petits boutiquiers. C’est assez curieux, mais c’est comme cela. Il va y avoir chez eux des gens qui ne pourront pas accepter ce système dynastique. Qui vont réclamer des choses invraisemblables, comme la démocratie, de ne pas avoir un culte du chef qui soit monarchique ou féodal de père en fille et petite-fille. Donc cela aussi c’est un élément d’aggravation et de dissolution.
Là je pense qu’il vont se rabibocher parce que, comme je vous l’ai dit, on reste ensemble à cause des postes dans les grands partis. Et c’est ce qui va leur arriver aussi, avec des compromis temporaires, avec des crocs en jambe, des peaux de bananes etc
Donc un parti comme un autre ?
Un parti de ce point de vue là comme un autre, et peut-être même un parti un peu pire que les autres, parce que leurs combines, qu’on connait quand même ou qu’on subodore pour celles qui sont sorties en public, sont encore moins reluisantes que d’autres.
Il y a eu également ces affaires de financement qui entachent le Front National. Cela aussi peut être quelque chose qui peut être déterminant pour l’avenir du parti ?
Tout dépend si le phénomène des boules puantes s’amplifie. Mais c’est généralement par les bonnes volontés, si j’ose dire, d’un courant voulant créer des ennuis à l’autre, que ce genre d’affaire vient au grand jour. C’est ce qui est arrivé pour l’UMP il n’y a pas si longtemps.
Merci beaucoup Jacques Cohen, est-ce que vous ajoutez un petit mot en guise de conclusion ?
Qu’il devienne un parti comme les autres au sens de ses difficultés, n’implique pas qu’il en soit un au sens de ses idées. Les idées des trois courants sont toutes les trois, à mon avis, dommageables, et parfaitement irréalistes dans leurs propositions. Donc le Front National reste à combattre sous toutes ses formes. Cela sera peut-être un peu plus difficile si on a affaire à des gens qui jouent au ballon prisonnier comme on a entendu l’autre jour, Philippot je crois, dire : « il n’y a pas de pétainistes au Front National, moi je suis gaulliste ». Ce qui est quand même quelque chose d’assez surréaliste, et qu’on n’aurait pas entendu il y a dix ans.
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