Emission enregistrée sur RCF Reims mercredi 7 octobre : https://rcf.fr/actualite/la-societe-francaise-refuse-les-catastrophes-naturelles
AV: Chronique d’actualité, nous retrouvons comme toutes les semaines Jacques Cohen, bonjour Jacques, nous allons aborder le thème des inondations meurtrières qui ont frappé la Côte d’Azur et principalement le département des Alpes-Maritimes. Vous avez une réflexion à nous faire partager sur ce drame, qui pour certaines personnes décédées, est souvent dû à des imprudences ?
Ce qui frappe, c’est que dès que l’eau a baissé, on cherche des coupables. Parce que les coups du sort, ou les coups du ciel, ne peuvent plus exister de nos jours. On vit dans une société qui n’admet aucun risque.
Il n’est pas tombé d’eau de cette façon, à cet endroit, depuis plus de 130 ans que des relevés sont faits sur place. On peut toujours imaginer qu’il faudrait des digues gigantesques, qu’il faudrait qu’il y en ait devant chaque vitrine de café en ville etc etc pour quelque chose qui servira tous les 1, 2, 3 siècles. Ce n’est pas très raisonnable.
De ce point de vue là il faut pouvoir admettre qu’il puisse y avoir des dégâts et qu’on les répare. En revanche les dégâts humains sont toujours bien sûr beaucoup plus délicats. Là aussi il y a une sensation d’invulnérabilité. Puisque je suis dans une infrastructure urbaine, dans une société de zéro risque, eh bien je peux conduire puisqu’il n’y a pas de feu rouge et descendre dans une trémie où il y a déjà de l’eau. Et cela malheureusement conduit à la catastrophe. De même l’attachement à sa voiture pour aller la sortir du parking.
Le simple fait de se dire qu’en période d’inondation il ne faut pas descendre en-dessous du niveau de la terre, c’est une éducation qu’il faudrait probablement généraliser.
Cela veut dire Jacques que dans notre société d’aujourd’hui on n’envisage que le risque zéro, qui, par définition, n’existe pas ?
Voilà, et c’est une question de philosophie. Le bonheur sur terre comme l’opposé du bonheumr au ciel, c’est tout aussi exigeant. Au congrès des écrivains à Moscou dans les années trente, on vantait que le communisme qui était en construction serait tellement beau une fois qu’il serait fini que Malraux a sorti : « mais est-ce que les types ne risqueront plus de glisser d’une marche et de glisser sous le tramway en montant dedans ? » « Non, non il y aura plus de problème, il n’y aura plus de marches ». C’est un peu cette question qui persiste. Comme il ne peut pas y avoir de risque, il ne peut pas y avoir de coup du sort. Il faut des coupables c’est-à-dire qu’il faut que ce soit la faute du diable. Le diable ne fait plus recette mais on peut trouver moyen de diaboliser beaucoup de gens.
C’est dû à quoi, une évolution de la mentalité ? Un phénomène médiatique ?
C’est double. Je ne pense pas que les médias y sont pour grand-chose. C’est une société qui a perdu l’habitude d’être frappée de coups du sort ou autre. Je vous garantis que quand j’étais tout petit personne ne se serait frappé de ce genre de chose parce que les gens, dix ans, quinze ans avant, avaient connu des destructions bien plus importantes avec la guerre. Donc c’est le fait d’une société heureuse, d’une société gâtée, et qui dans ce cas là en veut encore plus. Il n’est pas question qu’il puisse lui arriver quoi que ce soit d’anormal. C’est l’état d’esprit actuel.
De même, dans cette recherche de coupable, on va tout amalgamer. Le retour ainssi à la bonne nature. C’est le béton qui est en cause. Il faut voir dans les pays qui sont peu bétonnés ce qui se passe quand il y a des pluies tropicales. Là, c’est la montagne entière qui descend sous forme de coulées de boue.
On n’a plus ce genre de chose possible en zone urbaine chez nous et donc l’eau dévale sans la boue, sans la terre. Si on enlevait le béton, on aurait la même chose avec des coulées de boue. C’est une illusion de la bonne nature de prétendre comme certains écologistes que tout est lié à ce genre de chose. Alors bien sûr on a construit des campings au bord de la rivière, ces campings sont envahis. Les mobil-homes en tout genre partent comme des coquilles de noix. C’est regrettable, on aurait peut-être pas dû le faire il y a une cinquantaine d’années. Mai si on regarde cela sérieusement, même s’il fallait remplacer un certain nombre de cabanons tous les cinquante ans, ce n’est pas très grave.
Donc pas de responsabilité dans la délivrance des permis de construire, pour ce cas là? Parce que si l’on se souvient bien lors de la tempête Xynthia à la Faute-sur-Mer, là il y avait quand même des responsabilités, des choses qui n’auraient pas dû se passer ?
C’est totalement différent. La Faute-sur-Mer, c’était typiquement une faute d’urbanisme. Ici, il y a quelques petites fautes d’urbanisme mais pas sur l’ensemble du problème.
Il faut bien voir que la loi date d’avant cette conception du risque zéro universel puisque la loi prévoit les catastrophes naturelles. Donc on prévoit que la solidarité nationale doit prendre en charge des choses inattendues, donc c’est admettre qu’elles peuvent arriver. Et fort heureusement nous avons encore cette loi. Une fois que les gens ont bien râlé sur le fait qu’il ne devrait pas y avoir de risque, même infime, on en appelle tous à la loi sur les catastrophes naturelles pour l’indemnisation.
Merci beaucoup Jacques Cohen, il nous reste une petite minute, un mot de conclusion ?
Je crois que c’est la responsabilité qui est le maître mot. La responsabilité et l’appréciation du danger. Ne pas se mettre en danger inconsidérément car dans le même temps qu’on veut une société du risque zéro, on s’en remet totalement à la société, même dans les situations où il faut se rendre compte qu’il n’est pas possible de traverser la rue quand elle est transformée en torrent.
Il y a peut-être une survalorisation du bien matériel ?
Il y a aussi l’attachement. Comme toujours, les gens vont essayer de sauver leurs biens. Quand il faut d’abord penser à sauver sa peau.
Mon avis: on ne peut parler de seule fatalité quand les événements se répètent de façon accélérée: une fois à Vaison la Romaine, plusieurs fois dans le Var, deux fois à Montpellier, maintenant les Alpes maritimes. Les sinistrés disent tous « on n’a jamais vu ça, parce que l’orage précédent était u dessus d’un massif voisin… La géométrie classique des fleuves du Midi parle d’elle-même, vaste lit majeur qui est presque toujours un champ de cailloux, mais permet aux crues de s’évacuer en torrent impétueux. Et si les villages sont « perchés » dans l’arrière pays niçois, ce n’est pas pour « faire joli !
Construire dans les lits majeurs est tentant mais tellement périlleux… Le malheur est que ceux qui rendent constructibles ces terrains sans valeur et ceux qui y construisent ne sont pas toujours ceux qui y habitent… Bien cordialement ClC
C’est hélas souvent vrai. Mais cela concerne peu les pertes humaines de l’inondation concernée, sujet central de mon sujet, sauf les trois décès de la maison de retraite. Concernant le caractère exceptionnel, là aussi nous sommes dans l’exception: Il y a des relevés locaux depuis 1880 et aucune pluie équivalente.
JHMC