Emission enregistrée mercredi 14 octobre sur RCF Reims : https://rcf.fr/actualite/larmee-francaise-peut-elle-liquider-des-citoyens-francais
AV: Bonjour à tous, nouveau numéro de « chroniques d’actualité », Jacques Cohen, bonjour. Nous allons nous intéresser aujourd’hui aux frappes françaises en Syrie. La France qui via la voie aérienne s’implique dans ce conflit. La France a frappé des camps d’entraînement où il y a des Français. Donc ce sont des militaires français qui tuent des Français ?
C’est là où il y a un petit flou juridique. C’est le moins que l’on puisse dire.
Il est habituel et normal que des Français s’engageant dans un conflit, se retrouvent exposés aux risques de celui-ci, donc aux risques des combats. Mais là, il n’y a pas de combats. On est même d’ailleurs allé, d’après les déclarations du Premier Ministre, spécifiquement taper un camp de combattants de Daesh français ou francophone. Et on sous-entend qu’un certain nombre de Français ont été tués.
Il y a un flou juridique, un saut par rapport à la situation précédente, puisqu’il n’y a aucune procédure judiciaire. Il y a une action délibérée commandée par l’exécutif ordonnant à l’armée française de tuer des citoyens français. Ce qui ne s’était jamais produit. Cela ne s’est jamais produit pendant la guerre d’Algérie. Une barrière qui n’avait jamais été franchie. C’est même la barrière que les Services Spéciaux n’avaient pas voulu franchir. Ils avait refusé d’obéir au Premier Ministre de l’époque, M Debré qui souhaitait le faire.
C’est un peu à l’image de ce que font d’autres pays. Aux Etats-Unis, qui ont la peine de mort et qui ne s’embarrassent pas de ce genre de choses, c’est déjà arrivé. Pour les Russes, Poutine a une position beaucoup plus simple : il ne veut pas que ses expatriés reviennent. Il veut tous les liquider purement et simplement en allant les chercher partout, que ce soit chez Daesh, que ce soit chez Al Qaida etc.
Nous n’avons pas cette attitude. Nous mettons en examen pour « participation à une entreprise terroriste » les gens qui rentrent quand ils rentrent. Mais nous n’utilisons pas la trahison. Et nous n’avons pas de peine de mort prévue pour des citoyens français. C’est un peu ennuyeux d’avoir cette dérive.
Ce qui est intéressant, c’est que ce sont les militaires qui ont toussé parce que la position proférée était un peu hypocrite: du genre on a tapé sur des camps d’entraînement où il y avait des français. . On ne le savait pas, on ne l’a pas fait exprès. Mais c’est dans les risques qu’ils avaient pris. Et ce n’était pas un assassinat ciblé.
Or là il s’agit bien d’une liquidation précise sur renseignements et reconnaissance. Et nous devrions nous entourer de garanties juridiques et judiciaires. Parce qu’en France, premièrement il n’y a plus la peine de mort, deuxièmement l’instance judiciaire doit surveiller l’action de la police ou des services de renseignement. Sinon on sait très bien comment ces choses là commencent mais on sait aussi très bien comment elles finissent : dans l’arbitraire le plus complet dans de nombreux pays. Nous ne devons pas mettre le doigt dans cet engrenage.
En revanche il y a certainement des moyens de faire les choses dans un cadre légal et avec des garanties pour chacun.
Des garanties pour l’instant bancales, vous l’avez même employé ce mot Jacques, alors qu’est-ce qu’il faut faire ? On parle notamment de déchéance de nationalité, cela impose un retour en France finalement pour la personne dont la nationalité doit être déchue ?
On ne peut pas enlever la nationalité française à des ressortissants français s’ils n’en ont pas d’autre. Cela vient de se faire pour des bi-nationaux franco-marocains. Mais là, si on considère que Daesh est un Etat, c’est son nom « Etat islamique au levant », et qu’ils prennent alors la nationalité de cet Etat en étant combattants d’une puissance hostile à la France, on peut engager cette procédure et c’est une procédure judiciaire. Donc il y a une audience, ils peuvent rentrer ou se faire représenter. Et rentrer s’ils ont pensé justement que c’est un saut particulièrement important qui maintenant, ils en sont prévenus, est un saut périlleux. On peut avoir à ce moment là une vérification judiciaire de leur état, de leur situation. Après quoi, s’ils sont ressortissants d’un Etat qui nous fait la guerre, ils s’exposent au risque correspondant.
Le flou actuel est quelque chose de nuisible parce qu’un jour on dira que ce n’est plus en Syrie qu’il faut les coincer, mais sur le chemin. Et on se mettra à abattre des citoyens français un peu n’importe où dans le monde, au Liban, en Turquie, en Grèce, en Egypte, n’importe où sur la route.
Quelle réponse apporter ?
Je pense que la clarté est toujours la meilleure solution. Et de rappeler que l’ordre judiciaire en France doit surveiller l’action de l’exécutif. Et que d’utiliser soit la mise en examen pour trahison, soit surtout les déchéances de nationalité, en constatant la prise d’une autre nationalité, sont des décisions préalables qui devraient être prises pour l’essentiel de ces expatriés, qui permettent ensuite de ne plus les considérer comme des citoyens français.
S’ils sont citoyen français, comme il n’y a pas la peine de mort en France, il n’est pas permis d’aller les assassiner simplement sur le fait qu’ils présentent un risque futur. Parce que les risques futurs, pourquoi faudrait-il les considérer là-bas ? Les risques futurs, il y en a chez nous. On peut, par ce petit jeu là, rentrer dans un engrenage redoutable.
Et la trahison ?
La trahison est prévue par le code pénal français. Elle a un petit avantage sur la « participation à une entreprise terroriste », c’est que l’entreprise terroriste, soit il y a des attentats et donc on peut réprimer. Soit il y en a l’intention, mais l’intention cela ne se réprime pas. Soit il y a eu réunion de moyens par un groupe organisé. Mais s’il n’ y a pas eu d’attentats, le groupe organisé est difficile à définir. Les attentats qu’on a eu en France pour l’instant n’ont pas été le fait d’un réseau lié à Daesh ou à d’autres. Ce sont plutôt des Rantanplans qu’on considérait inutilisables au combat et qu’on a renvoyé à la maison en leur disant : tâche de faire un attentat, c’est ce que tu pourras faire de mieux. Et qui se sont débrouillés avec les moyens du bord.
La démonstration d’une entreprise terroriste coordonnée avec des attentats réalisés ou des moyens donnés pour cela, est un peu périlleuse. En revanche la trahison, c’est le fait de participer à une action hostile à son pays. Avec un état de guerre, il n’y a pas besoin d’avoir une définition aussi méthodique de réalisation des choses que dans le cas d’une entreprise terroriste.
Et enfin la déchéance de nationalité est parfaitement possible puisque la plupart des combattants de Daesh ont donc pris la nationalité de cet Etat. Le fait est qu’on ne reconnait pas cet Etat. Mais il ne reste guère d’Etats dans la région donc cela ne devrait pas poser d’énormes difficultés juridiques.
Merci beaucoup Jacques pour ce décryptage juridique de la situation qui soulève des questions importantes.
Nous devons rester un Etat de droit.
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