CHRONIQUE DU 14 septembre 2016
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AV : On va s’intéresser aux fichés S, ces personnes qui sont dans un fichier de police, donc de renseignements, et on s’était interrogé, il y a déjà quelque temps sur, j’allais dire, l’outil législatif pour le cas de ces personnes, pour celles qui sont parties notamment en Syrie, ces Français. Est-ce que l’armée française pouvait tuer des Français ?
Et alors, vous avez fouillé, je crois, et vous avez trouvé des textes assez intéressants…
Il y a deux populations différentes. Il y a les gens qui sont allés en Syrie, qui combattent contre notre pays, donc ce sont des traîtres ! Et qu’ils aient rejoint un état ou un simili état, la loi prévoit que l’on puisse faire une déchéance pour tous, en ayant une déchéance de nationalité, pour ceux qui la combattent . Et les traités internationaux ne s’y opposent pas : dès 1961 les précautions ont été prises pour que l’on puisse faire de temps en temps de la déchéance pour tous avec une procédure d’avertissement, une procédure judiciaire, qui donnera donc des garanties légales, et qui à ce moment-là servira de dernier avertissement « ou vous rentrez ou vous êtes susceptibles, n’étant plus Français, d’être abattus sans préavis ».
Et donc de créer des apatrides, ça ne posait pas de problème ?
C’est parfaitement permis par la loi et nous ne sommes pas le seul pays à avoir mis des restrictions aux traités. La Grande-Bretagne y a mis les intérêts de la Couronne, et même l’Autriche a pensé à mettre ceux qui prennent les armes contre leur Etat dans une rédaction qui, d’ailleurs, est directement inspirée de celle du code Napoléon. Parce que c’est là que figure ceci, non pas pour la première fois, cela commence en 1793, mais c’est là où cela a été formalisé dans des conditions qui n’ont guère bougé en fait.
Alors l’autre aspect, c’est le fichier S et qu’en faire ?
D’abord le fichier S par définition, c’est un fichier, même avec des sous-fichiers, c’est un fichier de police et de renseignements, et « S » c’est « Sûreté » mais cela veut dire aussi « Suspect ». Suspect cela ne veut pas dire forcément coupable. Quand on cible quelqu’un , initialement tous les sujets contacts le sont aussi. Jusqu’aux parents des copains des enfants. Ensuite bien sûr on décante…concernant les dangers d’une surestimation « infamante » d’un passage dans le fichier S, il faut relire « l’honneur perdu de Katharina Blum » d’Heinrich Böll.
D’autre part, on a vu des politiques, comme Sarkozy, prétendre qu’il fallait prendre de nouvelles mesures, que l’on allait faire de la rétention administrative, que l’on allait « boucler » tout le monde. Il n’est pas, d’une part, forcément du point de vue du renseignement, idéal de « boucler » tout le monde…
Oui, c’est ce que j’allais dire, pardon de vous couper Jacques, mais un fichier S, c’est pour le suivre, essayer de comprendre, donc si on l’enlève un petit peu de son milieu sans essayer d’avoir le réseau c’est foutu !
Voilà, il faut aussi laisser la fluidité nécessaire aux services de renseignements, il faut aussi laisser courir les chèvres, si je puis dire, dans l’expression du milieu policier. Et donc avec ce fichier, il y a un certain nombre de choses qui peuvent être faites. Après il y a des individus dedans, il y a environ 15 000 personnes, qui présentent un risque potentiel puisqu’ils sont suspects, et on peut envisager qu’il faille un écrémage, mais cet écrémage il n’a pas besoin d’être administratif. On a toutes les caractéristiques d’infractions, au point de vue pénal au chapitre de la trahison du Code pénal, c’est l’article 411, ses différents alinéas et suivants, qui est très inspiré de l’article 75 de 1938 qui avait déjà prévu les choses en voyant s’amonceler les périls. Et toutes propagandes, non seulement pour un état, mais même pour une entité hostile, est passible, de tête, de 7 ou 10 ans d’emprisonnement. Donc on peut, en cas de besoin mettre les gens, si j’ose dire, « au frigo » sous la forme d’une belle et bonne condamnation, puisqu’il suffit d’avoir entretenu une intelligence avec ce type d’ennemis. Donc d’avoir eu un contact avec eux, que ce soit même par internet, cela permet déjà de ne pas avoir besoin de rechercher la preuve d’un complot organisé et d’aller au-delà de la préparation d’un attentat.
Non seulement il y a cette intelligence avec l’ennemi, mais toute propagande : crier « vive Daesh » dans la rue ou n’importe quoi, c’est automatiquement justifiable de la mise en examen pour trahison et de, là aussi, je ne sais plus, entre 3 et 10 selon les cas . Quant au reste, participer à une action hostile à notre pays, c’est 30 ans.
Enfin, tout cela permet de mettre les gens en fait au « frais » le temps de gagner la guerre et on verra plus tard.
Donc il n’y a pas besoin de nouvelle Loi, nous avons tout un arsenal, que ce soit pour la déchéance de nationalité des gens que l’on veut abattre, parce qu’il faut appeler les choses froidement, ou que ce soit pour pouvoir mettre en détention et non pas en rétention administrative, non pas tout le fichier S, ce serait comme on l’a vu au départ complètement stupide, mais ceux que l’on considère comme devant être mis « au frigo » en attendant de pouvoir décanter les choses, puisque l’on ne sait pas très bien s’ils ont une dangerosité immédiate ou pas, et ainsi de suite.
Donc, en réponse claire, on a l’arsenal législatif et pénal pour répondre et faire face à cette situation, ces deux situations, à la fois ceux qui sont en Syrie et ceux qui sont en France !
Il faut bien se rendre compte qu’il y a une très nette différence, en Syrie c’est 500 à 1 000 personnes, et effectivement une bonne partie d’entre eux, bon, vont mourir sur place. Déjà, cela simplifie les choses. Et puis peut-être faudra-t-il en aider certains autres pour éviter qu’ils ne rentrent avec des intentions parfaitement hostiles.
De même, à l’inverse, il peut y avoir des repentis, c’est même prévu par la loi ! La loi est très généreuse sur le repentir : elle permet même l’annulation de peine de celui qui donne son réseau, etc. C’est prévu de longue date. Donc là-dessus, on peut avoir une position ferme avec les nuances et souplesses nécessaires.
L’autre partie des fichiers S, ce sont 15 000 personnes, on change d’échelle. Mais s’il est nécessaire, un jour, de faire des prisons spéciales, qu’on les appelle camps ou pas, on a l’arsenal législatif pour le faire. Il n’y a pas besoin d’avoir de gesticulation comme le font certains candidats actuellement, dans une surenchère qui montre un manque de sang-froid, ou leur cynisme.
Parfois, pour les avocats, relire le code pénal, cela pourrait servir ?
Il est vrai que ces articles-là ne servent pas tous les jours, pour les avocats qui ont quand même plutôt à faire aux affaires courantes, j’allais dire aux divorces, ce n’est pas tous les jours que l’on a à regarder en détail ce qui traîne dans le chapitre des intelligences avec une puissance étrangère, ou des crimes et délits contre la nation, l’état et la paix publique.
Mais des fois, il faut jeter un petit coup d’œil !
Mais parfois, comme vous dites, ce sont des choses qui peuvent, hélas, devenir d’actualité. Car nous n’avons pour l’instant, pas été confrontés à des attentats par réseaux organisés et sérieux. On a tout au plus des bandes de copains ou des actions isolées, mais c’est sans proportion avec ce qui pourrait arriver à partir de réseaux organisés ayant des moyens et une logistique permettant un ciblage, et non pas que les types se fassent « sauter » avec des explosifs de troisième catégorie miteux, de fabrication artisanale. Malheureusement, nos sociétés sont fragiles, il y a des attentats beaucoup plus sophistiqués, et c’est ce qui est à craindre, donc nous devons nous y préparer et préparer les moyens de riposte.
En complément:
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