Le débat sur la déchéance de nationalité pour tous les binationaux, alors qu’elle n’est pour l’instant possible que pour une partie des naturalisés, ne résout pas plusieurs aspects de la lutte anti-terroriste. Tout en traînant les images d’une discrimination entre les français et, bien à tort, celle déplorable de Vichy. La déchéance de nationalité de tout citoyen français ayant pris les armes contre son pays ne semble pas en revanche hors de portée.
La convention des Nations Unies de 1961 de réduction de l’apatridie, empêche-t-elle la déchéance de nationalité de nos citoyens sans autre passeport ?
Tout le monde récite que cette convention interdit de créer des apatrides et empêche la déchéance de nationalité de nos ressortissants s’ils ne sont que français. Cette convention comporte pourtant une clause restrictive ( article 8.3 voir en annexe en fin de texte) permettant que des États la ratifie avec des exceptions. Plusieurs États y ont recouru: ces exceptions concernent par exemple les actions contre l’État ( et la Couronne pour le Royaume-Uni ), de rejoindre une armée étrangère pour l’Autriche….
Et l’on découvre dans la liste des pays ayant retenu la clause d’exceptions….. que la France y figure. Il n’est donc même pas sûr qu’il faille que le Congrès dénonce la convention et la ratifie à nouveau en activant la clause de réserve, puisqu’il semble que la France l’ait déjà fait, en oubliant peut être de déposer la liste des exceptions retenues avec les instruments de ratification. Au Conseil d’État de dire quelles modalités législatives exactes de retour à l’intention française initiale devraient être employées, ou si, la clause restrictive étant toujours active, il suffit d’un décret en Conseil d’État pour déchoir de la nationalité française dès aujourd’hui, quelqu’un qui a pris par exemple les armes contre son pays.
La déchéance de nationalité pour les binationaux. Entre deux cibles…
L’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux condamnés pour terrorisme tape entre deux cibles. Vers le bas, elle ne permet pas d’expulser et d’interdire du territoire français la mouvance des Frères Musulmans, c’est-à-dire l’appareil de la vitrine légale, de l’encadrement de la population de certains quartiers par l’action sociale ou les pressions ; les prédicateurs salafistes quand ils sont assez prudents pour ne pas appeler au djihad hic and nunc ; les porteurs de valises sur lesquels on n’a pas assez de preuves matérielles…. Un élargissement des motifs à ceux qui permettent d’expulser des ressortissants étrangers pour trouble à l’ordre public serait tentant, mais le risque de dérapage et de discrimination entre les citoyens français, serait sans doute considéré comme excessif par le Conseil d’État, qui rejetterait cette disposition.
Vers le haut, et c’est le principal souci, elle ne traite pas du problème de nos ressortissants « mono-appartenants » sans autre passeport, rejoignant un état ou une armée hostile, que nos forces pistent et abattent hors de tout cadre légal. En effet, la liquidation ciblée de citoyens français par nos forces, sur la seule base d’opinions de police ou de services spéciaux, sans aucun contrôle judiciaire… et sans base légale aucune rétablit à leur intention la peine de mort hors de toute décision judiciaire. La « légitime défense » d’un Etat invoquée pouvant difficilement s’appliquer à ses ressortissants individuels.
Il faudrait mettre en oeuvre la déchéance de nationalité pour tous ceux qui choisissent de rallier Daesh, qui s’appelle bien l’ETAT islamique au levant ? Un Etat non reconnu internationalement, mais Etat de fait quand même. Et en tout cas territoire syrien. Cela constituerait un ultime avertissement et éviterait d’abattre de façon ciblée et sans aucun jugement des citoyens français. Ce que nous avons pratiqué pour la première fois en 2015, à l’imitation des russes, des américains et des anglais, alors que le SDECE ( ancêtre de la DGSE) l’avait refusé à Michel Debré durant la guerre d’Algérie.
La déchéance de nationalité, en les reconnaissant comme ressortissants d’une puissance étrangère qui nous fait la guerre, ne nécessiterait pas de procès spécifique ultérieur pour les abattre. Tandis que l’audience judiciaire leur retirant la nationalité française, avec un droit au remords d’un mois par exemple, pourrait avoir un rôle de dernier avertissement….et faire comprendre à certains d’entre eux qu’il vaut mieux aller au trou au retour que dans un trou là-bas !
Vichy, déchéance de nationalité, et dénaturalisation
Vichy n’a pas inventé la déchéance de nationalité. Elle figure dans le code civil depuis 1803, pour ceux par exemple qui ont rejoint une armée étrangère.
Article 23-8
Créé par Loi n°93-933 du 22 juillet 1993 – art. 50 JORF 23 juillet 1993
Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n’a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l’injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement.
L’intéressé sera, par décret en Conseil d’Etat, déclaré avoir perdu la nationalité française si, dans le délai fixé par l’injonction, délai qui ne peut être inférieur à quinze jours et supérieur à deux mois, il n’a pas mis fin à son activité.
Lorsque l’avis du Conseil d’Etat est défavorable, la mesure prévue à l’alinéa précédent ne peut être prise que par décret en conseil des ministres.
Et ces motifs sont toujours ceux employés contre certains binationaux aujourd’hui, ce qui a eu lieu à 6 reprises l’an dernier, et demain pour tous les binationaux, ayant commis des crimes ou délits en relation avec une entreprise terroriste, selon le projet gouvernemental:
Section 3 : De la déchéance de la nationalité française
Article 25
L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.
Vichy a employé la déchéance de nationalité dès le 23 Juillet 1940 contre quelques personnalités ayant quitté le territoire national ( P Cot, le Général De Gaulle, quelques Rotschild, des journalistes comme H de Kérilis ou Geneviève Tabouis ). Si tous les hommes pouvaient à la rigueur être considérés comme mobilisés et partis sans ordre de mission, la présence de cette dernière effondre le prétexte invoqué. A noter que l’un des Rotschild obtiendra l’annulation de la mesure car il était parti à Alger et non aux États-Unis. Et que Le PCF clandestin protestera par tract comme cette preuve évidente de collusion entre capitalistes, pour lesquels l’antisémitisme n’est qu’un paravent pour tromper les masses populaires….
Les dénaturalisations des français naturalisés depuis la facilitation de l’acquisition de la nationalité française en 1927 furent bien plus nombreuses et ont laissé une empreinte mémorielle profonde de l’ignominie de Vichy. D’autant qu’il n’était pas nécessaire d’avoir commis le moindre délit pour être concerné. Certains ont pensé que Vichy avait utilisé ce subterfuge pour livrer des Juifs aux nazis, les Juifs français étant soi-disant protégés par Vichy. En fait, hors effet d’annonce et de propagande, les dénaturalisations ont été peu employées car contre-productives: peu employées car concernant 15.154 personnes soit 3% des naturalisés, dont environ la moitié était juives. Contre-productives car dénaturaliser quelqu’un était en fait un avertissement très sérieux lui faisant comprendre qu’il valait mieux passer rapidement à la clandestinité ! Et Vichy n’a jamais eu besoin de dénaturaliser pour remettre aux nazis des citoyens français comme par exemple les enfants des juifs rafflés en Juillet 42 dont les fiches comportent toutes la mention de nationalité française.

Fichier Tulard. Les fiches bleues concernent les juifs français, comme indiqué à l’item nationalité « Fse » du petit Isaac Cohen. Ces deux enfants ont bien été déportés.
Clairement les mesures proposées par le Gouvernement n’ont aucun rapport avec celles de Vichy, et ne souffrent comme critiques, non négligeables mais d’un tout autre registre, que celles de leur ciblage imparfait et du risque de marginalisation des binationaux qui sont de l’ordre d’un peu plus de 5% de la population française, et à 90% originaires d’Afrique du nord.
La déchéance pour tous, solution pratique évitant un traitement spécifique des binationaux
Contrairement ce que tout le monde récite, moi y compris, avant d’aller chercher les textes sources, la convention des Nations-Unies sur la réduction de l’apatridie, ne nous empêche pas des dénaturalisations ciblées par les motifs prévus dans la clause restrictive de son article 8 alinéa 3. Clause restrictive activée par la France en 1961, le Général de Gaulle étant Président de la République.
ANNEXES DOCUMENTAIRES:
Convention des Nations Unies de réduction de l’apatridie
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/Statelessness.aspx
Clauses restrictives rassemblées dans l’article 8, retenues par certains États, comme l’Autriche, le Royaume-Uni, la Tunisie… et au moins initialement par la France!
Article 8
1. Les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride.
2. Nonobstant la disposition du premier paragraphe du présent article, un individu peut être privé de la nationalité d’un Etat contractant ;
a) Dans les cas où, en vertu des paragraphes 4 et 5 de l’article 7, il est permis de prescrire la perte de la nationalité;
b) S’il a obtenu cette nationalité au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux.
3. Nonobstant la disposition du paragraphe 1 du présent article, un Etat contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité, s’il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, à une déclaration à cet effet spécifiant un ou plusieurs motifs prévus à sa législation nationale à cette date et entrant dans les catégories suivantes :
a) Si un individu, dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l’Etat contractant;
i) A, au mépris d’une interdiction expresse de cet Etat, apporté ou continué d’apporter son concours à un autre Etat, ou reçu ou continué de recevoir d’un autre Etat des émoluments, ou
ii) A eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat;
b) Si un individu a prêté serment d’allégeance, ou a fait une déclaration formelle d’allégeance à un autre Etat, ou a manifesté de façon non douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l’Etat contractant.
4. Un Etat contractant ne fera usage de la faculté de priver un individu de sa nationalité dans les conditions définies aux paragraphes 2 et 3 du présent article que conformément à la loi, laquelle comportera la possibilité pour l’intéressé de faire valoir tous ses moyens de défense devant une juridiction ou un autre organisme indépendant.
Clauses restrictives des parties signataires:
http://www.unhcr.org/416113864.html
France
At the time of signature of this Convention, the Government of the French Republic declares that it reserves the right to exercise the power available to it under article 8 (3) on the terms laid down in that paragraph, when it deposits the instrument of ratification of the Convention. The Government of the French Republic also declares, in accordance with article 17 of the Convention, that it makes a reservation in respect of article 11, and that article 11 will not apply so far as the French Republic is concerned. The Government of the French Republic further declares, with respect to article 14 of the Convention, that in accordance with article 17 it accepts the jurisdiction of the Court only in relation to States Parties to this Convention which shall also have accepted its jurisdiction subject to the same reservations; it also declares that article 14 will not apply when there exists between the French Republic and another party to this Convention an earlier treaty providing another method for the settlement of disputes between the two States.
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