Emission enregistrée sur RCF Reims mercredi 30 septembre : https://rcf.fr/actualite/les-2-france-une-france-daction-directe
AV: Nouveau numéro de chronique d’actualité avec Jacques Cohen, bonjour Jacques, alors vous avez fait un constat et vous souhaitez le partager avec nous : il y a deux France ?
Il y a toujours eu deux France et il y a même eu plusieurs paires. Mais il y a une antinomie qui se développe aujourd’hui.
Nous avons toujours été à la fois un pays latin et un pays moins méditerranéen. Nous avons maintenant une évolution frappante de dissociation entre la France du nord, non pas au sens du nord de la Loire, mais la France liée aux pays du nord, liée à l’Allemagne, une France des règlements, des normes, d’un fonctionnement consensuel ; et une France du sud au sens d’une France d’action directe. C’est-à-dire qu’on fait ce qu’on veut. On prend ce dont on a envie. On n’accepte pas une mesure, et bien on ne l’applique pas et ainsi de suite. Et dans des proportions qui sont quand même annonciatrices de grandes difficultés.
Vous vous rappelez de la coupure de l’autoroute A1 parce qu’il s’agissait d’obtenir une libération provisoire pour aller à un enterrement, quelque chose de tout à fait banal et courant. Mais le moyen utilisé est d’une échelle extravagante. Et il n’a conduit à aucune réaction.
De même, j’ai vu récemment la question d’un restaurant qui servait des plats avec un danger sanitaire, cela ne se passe pas dans la Marne, et le sous-préfet a eu un problème pour le fermer parce qu’il a dû indiquer au maire qui a attiré son attention : « je ne peux pas le fermer, il n’a jamais ouvert ». Parce qu’il n’avait jamais demandé la moindre autorisation, il fallait passer pour arrêter cela à des mesures beaucoup plus importantes.
De même, on voit à la télé qu’il existe des garagistes qui fichent en l’air les pots anti-pollution, les filtres à particules, avec des sites internet à peine déguisés, et que cela ne conduit pas tout ce beau monde à la fermeture administrative de l’établissement etc etc. Et à des mesures féroces en face.
De même on voit circuler en ville des boosters, vous savez des petits scooters, ou même des trois roues. Mais surtout les petits scooter de 50cm3 deux temps avec des pots trafiqués qui permettent qu’ils aillent deux fois plus vite. Et on les voit à l’oeil nu. Ils se voient même les yeux fermés parce qu’on les entend ! Donc c’est une pollution sonore et c’est aussi une pollution du moteur bien évidement. Mais c’est avant tout une mortalité considérable. Ces engins ne sont pas faits pour rouler à 100km/h. Ils sont responsables de plus d’une centaine de morts par an. Et tout le monde s’en fout.
De même le permis de conduire devient de plus en plus savant, de plus en plus compliqué, de plus en plus long et de plus en plus cher, eh bien dans ce cas là, certains ne le passent plus et ainsi de suite.
On a une dissociation des deux France dans des cas de plus en plus considérables. L’action directe par rapport aux portiques, l’écotaxe a quand même coûté plus d’un milliard à l’Etat. La France du nord considère, semble-t-il, – France du nord au sens des pays du nord- , considère que finalement elle a les moyens de laisser filer, de limiter cela à une échelle gérable et tolérable. Mais cela ne pourra pas durer éternellement, parce que l’écart entre les deux comportements des deux France n’en est que plus spectaculaire. On ne peut pas à la fois avoir une France qui est horrifiée par les NOx du diesel mais qui laisse foutre en l’air les pots anti-particules, et qui laisse les boosters circuler avec des pots trafiqués.
Si ces deux France finissent par se faire la guerre, laquelle tuera l’autre ? Redeviendrons-nous, deviendrons-nous un pays du sud ? Le premier des pays du sud, mais lâché du peloton des pays du nord. Ou allons-nous pouvoir ramener la zone grise des comportements atypiques dans une échelle tolérable pour une société arrimée au fonctionnement européen des pays du nord ?
Il faut retrouver un arsenal répressif, le mot est peut-être un peu fort, face à des comportements qui peut-être il y a quelques années auraient été rapidement identifiés et neutralisés ?
L’arsenal répressif existe, c’est même un petit peu le problème. Il est inadapté. La loi, les juges, tout cela c’est fait pour ramener un mouton qui s’écarte du troupeau. Ce n’est pas fait pour arrêter un troupeau de bisons qui fonce tout droit à sa perte, parce qu’il va tomber de la falaise.
Ce n’est pas tellement une question d’outil. Les outils existent. La volonté politique c’est une autre chose, mais c’est aussi admettre qu’il y aura une grosse casse. Si on doit mettre au pas toute la société grise. La société grise c’est aussi celle du travail non déclaré, des TVA non payées. La mettre au pas aura un coût. Et la France qui marche, la France qui gagne, hésite à payer ce coût. Ce n’est pas une question de moyens. C’est une question de décision : quand faudra-t-il arrêter de laisser filer ? En sachant qu’il faudra en payer le prix.
Et on a toujours, il nous reste une petite minute Jacques, vous parliez de cette France du nord, on a toujours été, au moins une partie du pays, attiré par ces modèles saxons et de règlements, on a l’impression que c’est carré que c’est bien ?
C’est amusant que ce soit en même temps que l’Allemagne découvre les avantages et inconvénients de la flexibilité et de la « combinazione » avec l’histoire de Volkswagen où ils sont de très mauvais tricheurs. Parce que ce sont des débutants, alors il faut leur pardonner….
Mais l’insertion dans le monde globalisé de la France comme un pays développé, comme un pays de pointe, comme un pays qui fait des bénéfices et qui a les moyens de se payer sa protection sociale, cela implique aussi d’adhérer à ce modèle consensuel. Et cela ne permet pas de faire durer trop longtemps, ou à une trop grande échelle, le modèle latin qui lui est inéluctablement un modèle dont la productivité est moindre.