Emission diffusée mercredi 27 avril 2016 sur RCF Reims : https://rcf.fr/actualite/le-trampoline-du-chomage
AV/ Chronique d’actualité avec Jacques Cohen, bonjour Jacques, on va s’intéresser au sujet brûlant de l’actualité: c’est le chômage, avec ces chiffres du mois de mars : une baisse très forte, la plus forte enregistrée depuis 2000. Mais alors Jacques, c’est quelque chose qui finalement était prévisible ?
Sur certains aspects c’était prévisible, sur un autre c’est une bonne nouvelle. Ce qui était prévisible c’est que démographiquement il est inéluctable qu’il y ait une petite baisse du chômage. Ce qui est nouveau c’est qu’il y a des paramètres, des indicateurs d’activité économique qui redémarre, qui n’est pas flambante mais qui redémarre, et que donc cette baisse est plus spectaculaire encore qu’on aurait pu l’attendre. Et elle va continuer.
Mais il faut regarder la baisse du chômage, non seulement en terme de courbe mais en terme de structure du marché du travail. Parce qu’en terme de courbe on peut toujours dire que ce n’est pas bien quand cela monte et que c’est truqué quand cela descend, ou le contraire selon le camp où l’on est. On a tous un peu l’impression d’être des élèves de Pierre Dac qui rappelait que le plus court chemin entre deux points est une droite, à condition que les deux points soient bien alignés. En dehors de ce genre de rhétorique, on doit regarder la structure du marché du travail de deux points de vue, de l’activité économique d’une part, de la structure légale des emplois d’autre part.
C’est vrai qu’il y a ce problème des CDI, c’est-à-dire des emplois stables avec un certain nombre de garanties, et des CDD qui en ont beaucoup moins. On doit trouver une formule qui permette que les CDD conduisent au CDI. Pour cela, je vais dire, à nouveau comme Pierre Dac, il faut d’abord qu’il y ait des CDD!
Donc il faut à la fois encourager à passer les CDD en CDI, et à la fois, ne pas trop décourager de prendre des CDD. Tout cela est un problème d’équilibre délicat, pour lequel il n’y a pas de solution fokon yaka du café du commerce alors qu’on entend régulièrement proposer des tas de choses totalement déraisonnables.
Le problème le plus sérieux, c’est que la structure du travail en France est un chômage durable à un niveau relativement élevé, qu’on pourrait situer à 7 ou 8 % incompressible. Le reste étant une variable sur laquelle nous agissons. Et j’espère qu’il continuera à y avoir des résultats qui vont être visibles. Nous avons durablement, non pas un plein emploi mais une structure qui fait que non seulement il y a 7, 8 ou 9% de chômage incompressible mais aussi une fraction des classes d’âge occupées au travail qui est déplorable à partir de 50 ans et avant 25 ans. Cela fait quand même peu de périodes où la fraction employée de la population est élevée. Là dessus, ce sont des efforts à plus long terme qu’il faut entreprendre dans la structure de l’offre, c’est-à-dire dans la formation et dans l’utilisation des compétences autrement qu’en jetant les types quand ils commencent à coûter trop cher. En négligeant le fait qu’ils représentent une mémoire et une expérience qui sont utiles. Donc là il n’y a pas de mesure immédiate ou spectaculaire, mais ce sont deux chantiers de fond qui doivent rester ouverts.
D’ailleurs Jacques vous évoquiez l’expérience de ces quinqua comme on dit, vous avez une petite anecdote sur les cheveux blancs ?
Moi, j’ai des cheveux blancs depuis longtemps. Même quand je n’étais pas aussi vieux qu’aujourd’hui. Et certains de mes amis en avaient aussi. Ces amis sont dans le privé. Un jour, j’ai dit à l’un d’entre eux : pourquoi tu te teins les cheveux c’est ridicule. Il a répondu : Mais tu ne te rends pas compte de la situation dans le privé. Dès que tu as l’air vieux, ils te considèrent comme tel, et se préparent à te virer à la première occasion. Donc nous sommes contraints à des opérations cosmétiques permanentes qui ne sont pas réservées aux dames.
Donc il faut rester jeune. Pour revenir à notre sujet, vous évoquiez ce chômage structurel. Il ne faut pas 5 ou 10 ans, mais c’est peut-être 20 ou 30 ans pour réformer cela. Est-ce que c’est possible en ayant des gouvernements qui changent de politique avec des points de vue différents ?
Evidemment les gouvernements changent, les politiques et les ajustements changent mais il y a aussi des réformes structurelles qui sont reportées à chaque fois en disant : on n’a pas le temps, ce n’est pas l’actualité, il faudra les faire un jour ou l’autre. J’espère qu’on ne mettra pas trente ans à les faire.
Parce que fondamentalement le coût du travail en France est légèrement inférieur au coût du travail en Allemagne contrairement à ce qu’on raconte.
En terme de productivité, nous sommes très largement au-dessus. Malgré tout cela nous avons une situation du marché du travail qui n’est pas satisfaisante, une situation de l’université, ou de la formation plus globalement, qui ne l’est pas non plus parce qu’il y a des vaches sacrées. Les vaches sacrées on peut tout au plus les traire, et encore, mais il est hors de question d’en modifier le nombre, ou d’en liquider quelques unes. Et pourtant un jour ou l’autre il faudra s’y résigner. Parce que c’est à partir de là que nous aurons un nouveau départ. On ne peut pas continuer à porter des charges considérables et des scléroses considérables dans de nombreux secteurs en s’imaginant que la marge que nous avons permettra de traîner cela quand même. On ne fait pas le 110 mètres haies avec des chaussures de scaphandrier.
Comment expliquer qu’il y a de gros problèmes? Finalement, par exemple est-ce que c’est dû à cette génération des soixante huitards qui s’est battue pour des acquis sociaux, qui veut les garder, qui est prête à faire moins de concessions que les nouvelles générations ?
Les soixante huitards, ils sont à la retraite de toute façon. Donc ils ne sont pas concernés. Non, c’est que globalement nous sommes une société qui a peu souffert malgré les apparences, comparée à d’autres pays autour. C’est-à-dire que la crise, nous l’avons gérée avec des sacrifices modérés. Et un petit peu comme pour un élastique ou un trampoline, on n’a pas beaucoup plié et on redémarre plus doucement que ceux qui ont eu un à-coup considérable, qui sont allés beaucoup plus bas et qui remontent beaucoup plus vite.
C’est un choix tout à fait respectable mais ensuite, une fois le redémarrage acquis, pour monter, pour rester dans le peloton, il va falloir faire d’autres types d’efforts et la malchance pour l’instant est que, ayant échappé à la crise aigüe, les Français pensent que ce n’est pas bien grave, on n’y a toujours échappé, on y échappera toujours. Et on peut continuer à vouloir la réforme, surtout celle du voisin mais pas la sienne. C’est un état d’esprit qu’il faudra un jour ou l’autre renverser.