Chronique du 19 10 2016
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AV : Nous allons parler de Florange aujourd’hui, puisque le chef de l’état s’est rendu sur place. C’est un dossier très médiatique. Il y a eu la fermeture des hauts fourneaux en 2013, et vous souhaitez évoquer donc, ce dossier Florange, et notamment donc, la venue du chef de l’état, qui a dit : « Les emplois ont été conservés malgré la fermeture des hauts fourneaux ».
C’est un exemple, Florange, de l’importance des symboles et du décalage entre les symboles et la réalité. Arnaud Montebourg en fait le symbole du renoncement, puisque les hauts fourneaux n’ont pas été nationalisés et donc, n’ont pas continué à produire. On verra tout à l’heure que c’était parfaitement impossible, mais, de l’autre côté, le président de la République rappelle qu’il n’y a eu aucun licenciement, que le site a une activité, et qu’il y a un institut de recherche qui a été mis en place, puisque le point fort de la sidérurgie lorraine, c’est sa recherche, ce sont ses brevets, et pas seulement sa production.
Je crois que l’essentiel de l’acier haut de gamme produit en Europe, et même dans le monde, l’est sous des brevets qui dépendent de ce centre de recherche qui était à Metz. On en a construit un second plus près de Florange.
Il y a donc un décalage complet entre les symboles et la réalité. Et l’on peut dire aussi que c’est un point faible de la ligne du président de la République que de ne pas avoir réussi à créer des symboles à l’échelle, et à la mesure de ce qui a été fait. Puisqu’il est sur la défensive, alors que le bilan de l’affaire de Florange est au contraire très en faveur de l’action du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, et donc du président de la République.
Qu’en est-il ? Parce qu’à Florange il y a deux choses : un train peut en cacher un autre, une métallurgie peut en cacher une autre ! Il y a des produits froids qui sont parmi les plus performants d’Europe, je crois que l’essentiel des tôles de Mercedes vient de là, et puis il y avait deux hauts fourneaux. Les hauts fourneaux, on en a beaucoup en Europe, avec une production d’acier qui a baissé, je crois qu’il y en avait 21 à l’époque, dont pratiquement les deux tiers inutiles. D’autre part, il n’y a plus, au monde, de hauts fourneaux qui ne soient pas au bord de l’eau. Parce que des hauts fourneaux, cela consomme du charbon, donc du coke, et que le charbon, de nos jours, vient de loin, d’Australie la plupart du temps. Le système lorrain était donc condamné.
Pouvait-on dire qu’on allait les maintenir quoi qu’il arrive, parce que les ouvriers étaient fiers de leur savoir-faire. C’est quand même déjà un petit peu déraisonnable, parce que les savoir-faire, il faut quand même aussi savoir les changer de temps en temps.
AV: Ça évolue !
Et puis, ces hauts fourneaux, de toute façon, même si on les avait maintenus, il fallait les nourrir, et les nourrir avec quoi ? Puisque le reste de la sidérurgie, donc Mittal, n’aurait rien fourni à ces hauts fourneaux, ou n’en aurait rien consommé. Alors on aurait pu faire semblant. Il y a des exemples de situations où l’on fait semblant, mais cela revient quand même très cher. Parce qu’en plus, un haut fourneau ne peut pas se mettre au ralenti, ne peut pas s’éteindre. Il faut donc continuer à consommer énormément de charbon, sinon il est foutu. Cette fermeture des hauts fourneaux était prévue depuis plus de 10 ans et peut-être n’a-t-on pas dit assez froidement que c’était quelque chose d’acté depuis longtemps et d’inéluctable, que la partie sociale devait être correctement bouclée, ce qui a été le cas. Et qu’à la limite, si on les nationalisait et qu’on les maintenait envers et contre tout, ou on les maintiendrait pour rien, ou on aurait sur le dos et sur les bras le problème de la fermeture des hauts fourneaux concurrents à Dunkerque, ou bien des problèmes aux forges d’Hennebont qui sont d’ailleurs du côté de Nantes.
La politique qui a été suivie, a continué à défendre l’intérêt de la sidérurgie française, c’est-à-dire d’avoir les éléments d’amont, la recherche et les brevets, et d’avoir le développement des produits à haute valeur ajoutée dans la filière froide. Donc un succès total et qui pourtant est vécu comme un échec et une trahison. C’est là que se situe un peu le mystère.
Pourquoi a-t-on l’impression d’une trahison, alors qu’on a arrêté des hauts fourneaux périmés et inutiles? Cela est un peu mystérieux pour moi.
Il y a avait aussi un autre projet qui a expliqué aussi qu’on ne pouvait pas les garder pour faire semblant. Il y avait un projet ULCOS, qui était la récupération du CO2 produit par les hauts fourneaux. Les hauts fourneaux c’est ce qui produit le plus de CO2, c’est énorme comme quantité. ULCOS enterrait ce CO2 à distance, parce que dans le coin le sous-sol est fracturé par les mines, et donc on ne peut pas l’enterrer sur place. Seulement, techniquement ça posait d’énormes difficultés. D’abord parce qu’il n’y a pas que du CO2 qui est craché par les hauts fourneaux. D’autre part, il fallait emmener d’énormes débits liquéfiés sous pression à distance. Et la moindre fuite, pour un gaz lourd, aurait ravagé les villages ou les petites villes alentour. Donc un problème de sécurité majeure, pour ne pas se retrouver avec l’affaire du lac Nyos quelque part du côté d’Étain.
Mais ce n’est pas cette difficulté technique qui a tué ULCOS. ULCOS, c’était une spéculation sur les crédits de CO2, même si le projet, techniquement, était totalement irréaliste et ne pouvait pas être mis en place. Les bons, les crédits correspondants permettaient un marché tant qu’il y avait pénurie de ces bons, c’est-à-dire tant qu’il y avait une grosse production. A partir du moment où la crise a réduit la production, et bien plus personne n’avait besoin d’acheter ces crédits. Et donc l’alibi d’ULCOS ne tenait pas non plus. On aurait donc, si on les avait maintenus, gardé des hauts fourneaux, crachant du CO2 abondamment autour de la planète, aux frais du contribuable et sans aucune justification à cela.