Aucun Président de la Vème République n’a pu résister à la logique de constituer un pendant « action » au gouvernement parallèle que représente son cabinet. Mais la structure mise en place, et les hommes employés, ont différés considérablement d’un Président à l’autre. L’affaire Benalla révèle un Président Macron pris en tenaille entre une image de naïf et une image de cynique, sans pouvoir échapper par sa tactique de défense à l’une ou l’autre, ou pire au deux.
Une brève histoire de l’ombre….
Le Général de Gaulle a mis en place un système d’une grande sécurité pour lui : il n’a jamais eu aucun contact avec les exécutants de terrain et pouvait affirmer n’avoir aucun idée des détails de leur action. Il s’est bien gardé d’avoir un « homme à tout faire » et utilisait des responsables « thématiques » pouvant faire fusibles, comme J Foccart pour l’Afrique,

Omar Bongo Jacques Foccart et C de Gaulle
J Delarue pour la lutte anti-OAS, C Melnick pour les services spéciaux, et quelques autres…..

Constantin Melnick longtemps après…
Des barbouzes, voire des truands dont des assassins pouvaient être mis en branle, dans le Service d’Action Civique SAC par exemple, sans pour autant que le Général de Gaulle puisse être supposé au courant de quoi que ce soit.
G Pompidou resserrera le dispositif autour de P Juillet et MF Garaud, qu’on retrouvera cornaquer puis assister J Chirac, certains réseaux gaullistes s’étant rebiffés contre lui, . Sa femme et lui fréquentant des artistes fréquentant eux-mêmes la pègre, des gaullistes lui étant hostiles, tentèrent d’instrumentaliser la liquidation par le milieu d’un garde du corps trop envahissant d’un acteur pour atteindre G Pompidou via son épouse.
V Giscard d’Estaing bénéficia avant son élection d’un homme de l’ombre de grande efficacité en la personne de M Poniatovski qui lui évita par exemple d’être coincé ou pire par les gaullistes pour contacts avec les factieux de l’OAS « au cas où ». Il sût faire fonctionner la machine de l’État et de l’Élysée à son service, mais finit par ne plus écouter personne. Ce qui revint à s’en priver et le conduisit à des erreurs retentissantes…
F Mitterrand se garda lui aussi de n’avoir qu’un homme de l’ombre. F de Grossouvre, qui voulut prendre trop de place, en finit mal. S’il recourut à de nombreuses actions illégales, dont la mise en place de services de police parallèles par exemple d’écoutes, il évita soigneusement de se salir les mains. Cynique et menteur hors pair même dans le monde politique, il put non seulement éviter de payer la facture de quelques bavures, mais protéger son image d’icone des convictions de Gauche. Quand la formule du neveu de Rameau ( » On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés. » ) décrit probablement bien plus un jeune idéaliste d’extrême-droite du milieu de la Cagoule, tournant casaque à l’approche de la défaite nazie pour une carrière où les convictions sont en fait encombrantes….
Outre ses mentors qu’il finit par marginaliser, J Chirac laissa C Pasqua et le bon Dr Pons prendre une place considérable. Mais pas plus que ses prédécesseurs, il ne prit le risque d’avoir des contacts directs avec les échelons inférieurs….
Le caractère impulsif et brouillon de N Sarkozy est bien illustré par des choix d’hommes de l’ombre de qualité variable de B Hortefeux à C Guéant en passant par M Boillon, P Buisson et quelques autres encore moins fréquentables. Il aura aussi la manie de vouloir se mêler de tout et de se salir de ce fait sérieusement les mains, d’où les affaires qui lui collent à la peau comme le sparadrap du Capitaine Haddock….
F Hollande au contraire a choisi d’afficher une image de capitaine de pédalo, bien loin de l’habileté manœuvrière de plus d’une décennie de secrétariat du parti socialiste et de quelques basses œuvres de la Mitterandie dans sa jeunesse. S’il refusa de protéger sa vie privée par des moyens pouvant s’avérer dangereux et accepta d’en payer le prix, il sut gérer bien des choses par une myriade d’intermédiaires. L’affaire Cahuzac se révélant sa seule grosse erreur en ce domaine. Ce qui le ne dispensa pas de nombre d’autres erreurs plus vénielles mais politiquement coûteuse.
L’affaire Benalla
Cette affaire a comme souvent deux faces : des faits reprochés plus ou moins pénalement répréhensibles et ce qu’elle révèle, qui est politiquement désastreux.
Au plan pénal, A Benalla peut au plus être puni pour a) usurpation d’insignes. Mais il ne les a pas volé mais reçus d’un authentique policier ce qui lui vaudra circonstances atténuantes, b) quelques violences sans IIT, c) recel d’images de vidéosurveillance ce qui est un peu plus cher payé. Mais là encore, il a transmis sans délai ces images à un authentique conseiller du Président qui semble d’ailleurs les avoir fait fuiter en ligne, ce qui lui laisse peu de responsabilités propres.
Une tempête dans un verre d’eau pense EM, qui le dit et le fait répéter. Mais en fait la réalité du personnage d’A Benalla mise en vitrine est calamiteuse pour son employeur, le Président de la République.
Un aventurier de banlieue au CV qui semble au minimum frelaté car la licence revendiquée dès l’âge de 19 ans doit être confondue avec une inscription en fac et le master parait lui aussi obtenu de façon étrangement rapide dans une courte existence trépidante. Le grade de lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, est extravagant pour quelqu’un qui n’a semble t il pas fait un jour de caserne et lui ouvre un cercle fermé de moins de 100 personnes habituellement professionnels hautement qualifiés. Bien sûr la direction des ressources humaines de la gendarmerie n’y était pas favorable mais l’ordre est venu d’en haut. La carte de visite d’adjoint au chef de cabinet est elle aussi le témoin d’une position administrativement incohérente ou tombée du ciel.
D’autant que son passé de garde du corps dans un milieu sulfureux, par exemple d’un avocat devenu truand et radié du barreau, n’était certainement pas passé inaperçu des vrais services de sécurité.
La compétence en maintien de l’ordre et sports de combat d’A Benalla est à l’oeil nu totalement surfaite : Pour étudier les tactiques des manifestants, on ne va jamais dans les rangs des forces de l’ordre même en uniforme approximatif, mais dans ceux d’en face. Un exemple date de l’affaire Malik Oussekine : le témoin au récit le plus détaillé et complet était en fait un observateur des services policiers de la République Fédérale d’Allemagne, qui lui a fait son travail couleur de muraille, n’a même pas été repéré par l’enquête, et s’est volontairement présenté à la Justice sur l’ordre de son service.
Coté sports de combat, A Benalla ventripotent à 26 ans, parait plus du gabarit et des pratiques d’un videur de boite de nuit, utilisant sa taille et son poids dans une foule compacte, alors qu’il est incapable de faucher proprement une dame fluette lui rendant au moins 35 kg…
La volonté de port d’arme, de passeport de service, de gagner une place de courtisan privilégié auprès du Président et de son épouse, malgré de probables mises en garde des services de sécurité officiels, de prendre un rôle de coordonnateur de la sécurité du PR en montant un service parallèle d’individus de son acabit, dessinent un portrait du personnage comme un aventurier de banlieue dont le Président, aurait dû se méfier. Qu’il l’ait au contraire encouragé jusqu’à lui donner ses clés du Touquet est un gros passif pour le président dans l’opinion : naïf irresponsable ou cynique tout aussi irresponsable à employer une bande d’individus de ce genre, en prise directe sur le couple présidentiel sans aucun fusible.
L’attitude d’E Macron
E Macron a accumulé les erreurs de gestion de la crise pendant plusieurs jours avant de réagir bien tard avec une ligne « je suis le chef donc le seul responsable » qui aurait pu être payante, associée à une grande contrition, mais qui devient elle aussi calamiteuse associée à une provocation que même N Sarkozy n’aurait pas tentée : « qu’ils viennent me chercher ». Ajouter qu’il était fier d’avoir embauché A Benalla à l’Élysée n’était pas non plus très heureux…
E. Macron ne semble initialement pas avoir crû à la pugnacité de la Justice, oubliant qu’un magistrat cajolé par le pouvoir trouve dans ces circonstances un excellent moyen de se dédouaner vis-à-vis de ses congénères !
E. Macron a tout d’abord laissé l’appareil politique de l’Élysée tenter des réponses dissonantes et contre-productives. Lorsqu’il a compris que le souci du ministre de l’Intérieur était de ne pas être inéligible aux prochaines municipales, qu’il le laissait tomber, et ne serait pas le fusible souhaité, la tactique « je suis le chef et j’assume » devenait la seule possible…
E. Macron et sa majorité ont laissé se mettre en place et fonctionner au plus vite sur la place publique, deux commissions parlementaires qu’il eut été aisé de paralyser dans l’oeuf en invoquant l’enquête judiciaire en cours.
E. Macron a laissé fuiter qu’il avait identifié les policiers responsables de la diffusion des informations et qu’il réglerait leur compte plus tard. Cela ne peut que les contraindre à continuer le combat et non à négocier, ce qui va les encourager à débusquer une ou deux autres personnes du même acabit dans l’entourage du Président pour empêcher qu’E. Macron ne puisse tenir parole à leur sujet.
Un proverbe éthiopien dit qu’il ne faut jamais tirer la queue du lion si on ne s’est pas préparé à le tuer immédiatement après. Robespierre lui-même fit la bêtise de dire qu’il avait établi la liste des traîtres sans la publier et faire arrêter sur le champ ceux qu’il y avait inscrits. Ce qui lui fut fatal.
L’image d’E. Macron partisan d’une vie politique nouvelle, gouvernant autrement, Jupiter au calme olympien, parait sérieusement compromise par cette affaire.
Une tempête dans un verre d’eau, sans doute. Mais il est peu flatteur pour l’opinion publique de voir le Président s’être noyé dans un verre d’eau.