Voyant resurgir une mythologie de charge sabre au clair revue façon film de guerre contemporain, je voudrais rappeler la réalité historique de la victoire décisive pour la République à Valmy le 20 septembre 1792.
La campagne du Duc de Brunswick à la tête d’une armée prussienne de 40 000 hommes débute par la prise assez facile de Verdun. Déjà des partisans harcèlent les lignes de communication de l’envahisseur, qui les fait fusiller systématiquement. Goethe croise au pont sur la Meuse plusieurs partisans capturés en attente d’exécution. Le choix de l’un d’entre eux de se jeter lui même du pont après l’avoir regardé dans les yeux frappera durablement Goethe comme témoignage du courage des révolutionnaires.
Brunswick va ensuite bousculer tout aussi facilement l’armée inexpérimentée de Dumouriez et Kellermann qui n’avait pu l’empêcher de prendre Verdun et va refluer vers le sud. L’armée de la République va s’arrêter au défilé de Sainte Menehoult, établissant son QG dans la commanderie de Brau-Sainte-Cohère, un ancien casernement de surveillance frontalière des chevau-légers de l’armée royale.
Parmi les défilés de l’Argonne, ce n’est pas la route de Paris depuis Verdun et ce n’est donc pas l’endroit ou barrer la route de Brunswick. C’est pourtant un choix logique. Dumouriez et Kellerman tirent les conclusions des deux premiers affrontements. Leurs troupes ne seront pas capable de barrer un défilé et ne tiendront pas frontalement face à celles de Brunswick. Il leur faut donc le laisser passer vers la plaine de Châlons sur Marne en direction de Paris, Mais restant à proximité sur ses arrières pour couper ses voies de communication s’il continue vers Paris, ou lui faire perdre du temps s’il doit rebrousser chemin pour venir détruire l’armée de Dumouriez et Kellerman.
Après un début de campagne facile, arrivé devant Châlons, rien ne va plus pour Brunswick. Il a menacé la Convention en pensant qu’à l’approche d’une armée, les révolutionnaires vont s’égailler comme des lapins et fuir Paris. Mais la Convention ne cède pas. Et bien plus, galvanisée par Danton, originaire d’Arcis-sur-Aube dont l’armée de Brunswick est tout proche, les révolutionnaires font monter les enchères et déposent le Roi Louis XVI le 10 Août. L’armée de Brunswick de seulement 40 000 hommes est une force d’intimidation. Elle ne peut prendre une ville comme Paris, même contre des forces inexpérimentées et encore moins installer un siège. D’autant que la République met les bouchées doubles à marche forcée pour enrôler et équiper des volontaires, se doter d’une véritable armée. La persistance sur ses arrières de l’armée de Dumouriez qu’il n’a pas anéantie l’inquiète également s’il devait s’avancer vers Paris pour autre chose qu’une promenade militaire.
Et une autre élément nouveau tout à fait péjoratif inquiète Brunswick: la dysenterie s’installe dans son armée avec un potentiel de mise hors de combat du plus clair de ses troupes. En effet, avec moins de 200 morts à la bataille de Valmy, son armée aura fondu lors de son retour à Verdun à 10% de l’effectif initial !!!
Brunswick fait alors un choix militairement logique: il faut rentrer en Allemagne via Verdun et revenir avec une armée plus importante. C’est la logique que la coalition contre révolutionnaire va suivre en livrant bataille à Jemmapes dès le 6 novembre. Pour se faire battre par l’armée de la République spectaculairement montée en puissance grâce à l’impact politique de la victoire de Valmy et de la retraite de Brunswick, Ce que ce dernier a sous-estimé en négociant avec Dumouriez, et Goethe parfaitement comprendre ( « de ce jour, de ce lieu date une ère nouvelle… » ).

Une vue réaliste vue du côté des troupes françaises massées près du moulin
Brunswick va négocier le passage avec Dumouriez. Et accepter d’évacuer également Verdun s’il peut l’atteindre sans guérilla sérieuse sur sa route. Un simulacre de bataille est prévu à Valmy. Mais chaque camp a une arrière-pensée.
Pour Brunswick, c’est d’aller au delà du simulacre si les français fléchissent, de démontrer qu’il a pu bousculer à nouveau l’armée française, sans l’anéantir néanmoins pour respecter son accord et rejoindre Verdun sans trop de pertes en route. Pour Dumouriez et Kellerman, c’est de l’en empêcher, de tenir la position sans débandade en soulignant le repli de Brunswick face à une armée de la République. Face à l’armée de la République, mais dans quel sens ??

Le mythe des charges françaises figurées ici depuis….les positions prussiennes en contrebas du moulin !!
Contrairement à une mythologie simpliste où les français feraient barrage à l’avancée vers Paris, à Valmy, les français sont à l’Est et les prussiens et leurs alliés ( Souabes par exemple ) à l’Ouest. Et les français ne ferment pas le passage vers l’est et le défilé sud de l’Argonne. Autre mythe, les français ne vont pas charger sérieusement mais défendre. Défendre avec quoi ? Avec l’artillerie. Héritée de l’armée royale et redevenue opérationnelle et efficace.
Lorsque l’armée de Brunswick s’avance vers les troupes françaises, l’artillerie française bloque les colonnes de fantassins. Brunswick fait donner alors sa propre artillerie mais elle est surclassée par l’artillerie française, avantagée en outre par sa position dominante. Et les troupes françaises ne se débandent pas. La canonnade dure longtemps, toute la journée, dans un vacarme impressionnant. Goethe dira qu’on a tiré plus de 1000 coups de canons de part et d’autre. Une échelle nouvelle, qui frappe les esprits, qui ne savent pas encore que dans les guerres napoléoniennes on passera les 60 000 coups à Borodino puis les 100 000 coups à Leipzig.
La découverte que l’armée de volontaires va-nus-pieds de la Révolution dispose d’un artillerie efficace a une grande portée politique. L’artillerie à l’époque est l’arme de technologie avancée qui confère la suprématie si elle est assez dévastatrice pour décimer les colonnes d’infanterie et briser les charges de cavalerie. Elle joue le rôle dévolu de nos jours à la suprématie aérienne. Valmy montre que l’armée de la République, proclamée à son lendemain, est crédible.. Et la leçon se prolongera quelques semaines plus tard à Jemappes pour les sceptiques et les imprudents.
Est ce à dire que seule la technologie compte et fait la différence ? Certainement pas. Sans l’impact de Valmy, la montée en puissance des armées de la République n’aurait pu être assez rapide pour gagner à Jemappes. Mais c’est la motivation des révolutionnaires ne cédant pas à Brunswick, et de la jeune République mobilisant toutes les ressources, comme par exemple le raclage du salpêtre dans toutes les caves pour faire de la poudre à canon qui vont gagner. L’alliance de l’homme et de l’outil est de nos jours résumée par la devise des troupes blindées israéliennes: « C’est l’homme dans le char qui vaincra », Sans lui, le char n’est qu’une ferraille…
Après n’avoir pas été suffisamment motivée et aguerrie auparavant, c’est l’armée de Dumouriez et Kellermann qui la première, à Valmy, a démontré l’alliance efficace du moral et de la technologie. Vive la République !!