Chronique du 26 avril 2019
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Nous allons évoquer Notre Dame de Paris, cette cathédrale, c’est un symbole historique au-delà du symbole religieux.
Tout à fait, c’est même assez peu un symbole religieux, c’est le symbole du récit national. L’émotion qu’a déclenchée dans toute la France son incendie montre bien que c’est le récit national, que c’est l’histoire de France, le symbole de la nation qui partait en fumée. En tant que bâtiment, ce n’est bien sûr pas la plus belle des cathédrales gothiques, de très loin. Comme symbole religieux, ce n’est pas celle des sacres, ce n’est pas celle des enterrements royaux, mais c’est celle où il se passe quelque chose à chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important pour le pays.
Quelques exemples ?
Par exemple, quand il y avait des victoires, c’est là où, dès Louis XIV, on ramenait les drapeaux, même Napoléon n’avait pas encore complètement spécialisé les Invalides et des drapeaux de ses victoires ont été exposés à Notre Dame. Lorsque la situation devient catastrophique pour le pays pendant l’attaque Allemande de 1940, on a un Te Deum qui réunit les ministres croyants ou franc-maçons, c’est-à-dire tout le monde, parce que c’est là où l’on va quand tout va mal. Et en 1944 tout le monde se rappelle de l’autre Te Deum du Général De Gaulle au moment où on tirait encore un peu à tort et à travers dans le quartier.
La cathédrale de Paris qui a été aussi rendu célèbre par les écrivains, on pense à Victor Hugo par exemple.
Victor Hugo a d’ailleurs suivi l’avis de son éditeur, en basant Quasimodo et Esméralda à Paris. Parce qu’il les avait vus à Reims et son idée était initialement de raconter quelque chose à Reims. Il a d’ailleurs laissé un clin d’œil: il les domicilie rue Folle Peine qui existe à Reims et pas à Paris.
JC, vous étiez en train de nous dire au début de cette chronique, l’histoire nationale est partie en fumée. Il va falloir la reconstruire cette histoire, cette cathédrale. Comment faire ?
Alors là, on a un premier souci. Clémenceau disait que la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires, mais je ne crois pas que le patrimoine soit une chose trop sérieuse qu’il faille confier aux militaires. Nous avons la chance d’avoir une grande tradition en France de préservation du patrimoine, un grand savoir-faire, du personnel, des structures, des lois, des protections juridiques. Et il y a un architecte en chef des monuments historiques à Notre Dame. Il y a des architectes des bâtiments de France et je ne crois pas que le fait de choisir, à priori, un délai de reconstruction et de nommer un militaire par une loi d’exception, dont je ne suis pas sûr que le Conseil Constitutionnel la validera, soit la bonne solution. Parce qu’imaginez, par exemple que ce militaire et le Président ne soient pas d’accord : cela c’est déjà vu un militaire ou un officier général haut gradé qui ne soit pas d’accord avec le Président. Qu’est-ce que fait le Président ? Il recommence ? Il le vire et ainsi de suite ? Selon son bon plaisir ? Non, ce n’est pas du tout une façon de travailler. D’ailleurs, pour la petite histoire, il y a déjà eu un militaire conservateur d’un monument historique, mais comme je vous l’ai déjà expliqué je n’en ferais pas la colle pour nos autres invités, cela se passe en 1926, et c’est le château de Chantilly qui est confié au Maréchal Petain.
Cette reconstruction, il va falloir la faire en respectant le patrimoine ? Ou il va falloir faire mieux, faire plus beau ?
Alors, c’est à chaque fois le réflexe pendant la construction des cathédrales, chaque fois que le chantier s’arrête et surtout chaque fois qu’il recommence, on dit « on va faire mieux » et la plupart du temps cela va défigurer le bâtiment. C’est pour ça que beaucoup de cathédrales ont des façades d’aspects complètement hétérogènes, ce qui à l’épreuve du temps montre que ce n’était pas une bonne idée. Reims est une exception, parce qu’on a justement modifié plusieurs fois le plan, mais à chaque fois avec un grand respect du travail précédent, c’est même un cas unique. Et donc, si on se réfère à l’UNESCO et la charte de Venise, on doit restaurer le dernier état connu, parce que l’histoire du monument doit être présente.

Un toit vitré ? Pas si nouveau……
Mais il y a des exceptions ?
Notre Dame par exemple, a eu pas mal de modifications au 19e par Viollet-Le-Duc, ne serait-ce que cette fameuse flèche. On n’a pas le droit de les gommer en disant « ça, ça ne nous plait pas » parce que peut-être que dans un siècle les gens diront que l’idée de Viollet-Le-Duc était bonne et que la nôtre, qu’on va planter dessus, n’était pas la bonne. Donc, on doit être respectueux et on ne doit pas non plus, non pas dénaturer, mais modifier le bâtiment de telle sorte qu’il ne soit plus perçu de la même façon par les contemporains et si possible par ceux qui vont venir après. Donc, il faut là-dessus être très prudent et nous avons des spécialistes pour cela. En revanche, du point de vue de l’utilisation des technologies modernes, tout est permis du moment que ça se voit pas trop, pas trop ne veut pas dire que ça ne doit pas du tout se voir, parce qu’il faut aussi qu’il y ait un signal montrant que ce qui a été reconstruit n’est pas ce qui était là avant. Alors là-dessus il y a une question d’échelle, mais il parait extrêmement hasardeux de s’attaquer à faire une flèche différente de celle de Viollet-Le-Duc.
Vous le disiez JC, on a beaucoup de métiers qui permettent de protéger le patrimoine, qui permettent de reconstruire ce patrimoine, c’est une chance d’avoir un patrimoine aussi protégé en France !

Un toit vitré ? Un air de déjà vu…
Bien sûr, je suppose que la construction de la Basilique de Yamoussoukro a posé peu de problèmes avec les architectes des bâtiments de Côte d’Ivoire mais nous ne sommes pas dans cette situation.
Et vous disiez il y a quelques instants, c’est vrai que lors de son discours, Emmanuel Macron depuis la cathédrale a dit « on va mettre 5 ans à la reconstruire » pourquoi vouloir se précipiter ? Alors que finalement il faut peut-être laisser du temps au temps pour pouvoir faire les choses bien et dans les normes.
Il y a un petit peu l’ardeur du néophyte. Il y a aussi l’histoire des Jeux olympiques ce qui me parait fâcheux. Parce que c’est une opération qui elle-même posera des problèmes et des controverses quand sa facture finira par tomber. Là au moins, on n’a pas de problème de factures, tous les français sont pour reconstruise Notre Dame aussi belle qu’avant. Plus belle ça me parait quelque chose d’hasardeux : vous savez que pour un chef d’œuvre ce qui est important c’est quand on n’a plus rien à ajouter.
Puisque vous faisiez tout au long de cette chronique JC, des comparaisons avec la cathédrale Notre Dame de Reims, il a fallu 20 ans pour la reconstruire après l’incendie et les bombardements qui en avaient détruit là aussi une partie, la charpente avant qu’elle ne soit reconstruite en béton d’ailleurs, c’était en 1914.
Reims est un exemple de ce point de vue-là, puisque vu de l’extérieur tout est comme avant. Mais à l’intérieur la charpente en bois a été remplacée par une charpente en planchettes de béton. qui d’ailleurs, comportait un clin d’œil au passé. Parce que ce n’est pas la formule de la charpente initiale qui a été reprise, mais c’est une charpente en coque de vaisseau inversée de Philibert Delorme du 16e siècle qui a été reproduite non plus en bois, mais en planchettes de béton. On a de nombreuses solutions de nos jours. Mais par exemple le fait de mettre du titane à la place du plomb n’est peut-être pas si évident que ça, parce que le titane c’est très rigide, alors que le plomb est ductile, malléable et qu’une toiture de cathédrale ça bouge. Parce que le bâtiment gothique c’est quelque chose d’assez flexible, c’est quelque chose qui est léger, le plus léger possible tout en étant le plus haut possible. Donc il n’est pas absolument sûr que de mettre des plaques rigides puissent résister à l’épreuve du temps.
Est-ce que comme pour Victor Hugo, Notre Dame de Paris doit s’inspirer de Notre Dame de Reims pour se reconstruire ?
La reconstruction de Notre Dame de Paris doit s’inspirer de toutes les expériences en matière de reconstruction. Malheureusement beaucoup d’autres cathédrales ont brûlé. Même Chartres a une charpente qui est en fer depuis le 19e siècle. donc les technologies ont aussi évolué. Pour reconstruire Notre Dame de Paris aussi belle qu’avant, il faut s’inspirer à la fois du passé, de ce qui s’est fait, et de l’état actuel des techniques.
Merci JC de nous avoir éclairé sur le sujet de Notre Dame de Paris ce soir, à très bientôt.