JHM Cohen 8/08/2021
Le pass sanitaire peut faire partie de deux logiques: maintenir la vie sociale ouverte au minimum de risque, pourrir la vie des réfractaires à la vaccination. L’abandon des tests libres et gratuits pour suivre cette dernière logique serait en fait une grosse erreur. Avec des répercussions sur l’objectif le plus important de limiter les restrictions sociales massives. On pourrait également penser à tort que du point de vue économique, s’affranchir de tests coûtant de 3 à 5 le prix d’un vaccin serait également une bonne affaire.
Le mauvais choix de rendre les tests payants au 15 octobre a également été fait outre-Rhin. Avec cependant une vue plus large que dans le décret français des contre-indications médicales, plus de prudence vis-à-vis des femmes enceintes, et une attitude ambiguë sur la vaccination des adolescents.
Nous allons voir pourquoi les tests resteront durablement importants dans la lutte contre Covid19 ? Et de quels types de tests nous allons avoir besoin.
Vacciné, malade ou contaminant. Est-possible?
Hélas oui.
Prenons un exemple dont j’ai eu à connaitre ces jours-ci. Mme X 40 ans sans antécédents ni pathologie notable a été vaccinée par l’un des vaccins à RNA il y a plus de 2 mois. Comme touriste française, elle a été contaminée il y a 8 jours dans un pays du sud en pleine épidémie. Elle a présenté des signes cliniques et ses tests antigéniques et pcr sont positifs. Accessoirement, on ne sait pas quelle est la souche de son virus. Elle se propose de se rendre dans un pays d’Europe qui filtre sur le certificat de vaccination puis de rentrer en France. Elle dispose d’un pass sanitaire tout à fait valide basé sur son vaccin et pourrait voyager ainsi si son civisme ne la conduisait pas à s’isoler sur place deux semaines là où elle se trouve.
Exceptionnel et anecdotique donc sans importance épidémiologique? Hélas non. Et de moins en moins dans un futur proche et pour encore un moment selon l’évolution probable de l’épidémie.
L’efficacité du vaccin fait à première vue oublier les percées du virus ( « breakthrough » en anglais ) à travers la vaccination. L’expérience israélienne a fait d’abord penser qu’elles se limitaient aux sujets incapables de répondre au vaccin, déficits immunitaires insuffisants rénaux etc. Ces sujets n’étaient que 400 cas en Israël avec des formes graves ( 250 hospitalisés, 90 décès ). Mais l’étude des populations soignantes vaccinées a montré quelque clusters chez des sujets en bonne santé, dûment vaccinés. Une autre étude israélienne a montré que, miroir de l’efficacité individuelle de la vaccination, de tels cas symptomatiques ne concernaient que 2.6% de cette population. Mais ce qui pourrait à première vue être tenu pour négligeable, ne l’est pas en terme de propagation d’une vague épidémique. Car il faut d’abord se souvenir qu’il y a au moins 4 formes inapparentes pour une forme clinique, ce qui peut faire monter cette population de vaccinés contaminants à 10% lors d’un pic épidémique. On peut aussi craindre des variants échappant plus à l’immunité acquise comme Lambda, et d’autre part une atténuation de l’efficacité vaccinale avec le temps au delà de 6 mois.
Aucun fichier des tests positifs ne permet de suspendre un pass sanitaire. Dans notre pays et encore moins en transfrontalier. La péremption par décroissance des anticorps va aussi poser un problème autant métaphysique que pratique. Fixer une date limite arbitraire risque de conduire à sur stimuler de bons et longs répondeurs avec des risques d’effets secondaires pour les vaccins disponibles. Et revacciner à la demande, nécessiterait une politique de tests anticorps périodiques qui n’est pas mise en place.
Les masques aux orties ?
Annoncer que les lieux filtrés par le pass ne demanderont plus de port du masque, est aussi une illusion publicitaire. En dehors des rares échecs de vaccination dont nous venons de parler, il faut penser aux dépistés négatifs non vaccinés. Qui peuvent parfaitement être contaminés par les précédents. Aussi longtemps que la circulation virale reste importante, le masque reste hélas indispensable. A noter que le pic Delta n’efface pas la circulation à bas bruit des autres variants, à l’échelle en France de quelques centaines de cas « non Delta » par jour. Largement assez pour préparer la vague suivante.
Les scénarios du futur de l’épidémie. Un virus assagi, un bouquet final ou une disparition soudaine. L’immunité collective est elle possible, à portée de main ou lointaine ?
L’un des scénarii est celui d’un virus spontanément atténué, à l’instar de la diarrhée épidémique bovine qui est devenu en une quinzaine d’années un rhume inoffensif chez les veaux. Contribuant à chasser les autres variants et à protéger les coronavirus plus méchants. Certains voient dans le variant Delta un tel virus ou presque. Je ne le pense pas, car outre sa mortalité encore non négligeable, Delta n’est pas capable d’éradiquer les autres variants qui continuent à diffuser à bas bruit.

Courbe d’évolution des variants ( en nombre absolu ). Il reste 1500 cas par jour hors du variant Delta. ( G Rozier° )

En plein pic delta les autres variants n’ont pas disparu: la mutation E484Q représente 14% des cas dans l’Aude, 17% en Ariège et 6% dans le département du Nord, bien plus peuplé. Delta n’est donc pas encore un variant éradicateur…
Le bouquet final chaotique de souches agressives s’écroulant comme trop mortelles et instables après avoir éliminé les variants courants, n’est pas à écarter. Mais la disparition du virus balayé par un événement intercurrent comme une autre virose banale dominante ne peut être exclue.
A long terme, certes, le virus se sera assagi ou aura disparu. Mais nul ne peut dire dans quel délai cela se produira.
Il faut donc s’organiser pour une longue guerre mondiale contre le virus. Par les générations successives de vaccins mais aussi par les tests.
De quels tests avons nous ou aurons nous besoin ?
Seuls les tests génomiques et non antigéniques sont assez sensibles pour être utiles. Le prélèvement est lui aussi critique. Si le test nasal profond demande un préleveur expérimenté, le prélèvement salivaire est de qualité trop aléatoire quand il est pratiqué en auto-test. L’HAS a pris récemment ce point comme motif de dé-remboursement de tests génomiques de type Lamp ( sans machine à pcr ), prélevés ainsi. Rien n’empêche de faire des Lamp sur d’autres prélèvements. De plus un rinçage nasal automatisé par une poire ‘pschitt-pschitt » à ressort pourrait homogénéiser les auto-prélèvements.
Si des variants dégradent la couverture vaccinale avant que de nouveaux vaccins contre eux ne soient disponibles, il faudra durablement associer vaccin et tests et donc marcher sur deux jambes.
Notre système bâtard et très coûteux de tests prélevés dans des labos du coin de la rue, centralisés dans des plateformes privées de taille moyenne, a de plus le défaut de ne pas séquencer assez pour juger de la vie des variants et de leur émergence. Comme de ne pas avoir de capacités suffisantes pour faire face à des demandes massives ponctuelles qui seraient indispensables pour « coiffer » et étouffer un cluster. Les chinois viennent de tester ainsi à nouveau tout Wuhan ( 11 MH ) en 5 jours. Nous avons pour notre part laissé mijoter le variant Delta près d’un mois dans le département des Landes ( 400 000 habitants ), sans rien tenter de sérieux avant que l’épidémie ne diffuse.
Nous aurions besoin à la fois de capacités de haut débit focal d’installation mobile à 200 000 tests jours par sous-unité, réunies en potentiel d’un M de tests par jour sur un site donné. Et de tests systématiques décentralisés en auto tests. Réalisables de façon itérative sans dégâts ou dégoût nasal. Plusieurs M de test par semaine à un coup unitaire revu à la baisse du fait de leur volume, pourraient permettre le maintien d’une vie sociale ouverte par détection permanente.
Il ne faut pas opposer vaccination et tests qui sont tous les deux utiles. Mais croire que l’un sans l’autre pourra à court terme résoudre la question du contrôle épidémique me parait une illusion.